Peu après mon arrivée à la Maison, on avait installé à côté de la salle commune, où la télévision braillait toute la journée, une pièce avec trois ordinateurs, grâce à un don. J’ignorais tout de ces engins, mais leur écran me fascinait. Ceux qui les utilisaient semblaient maitriser leur affichage. Je regardais de loin, impressionné, et trop petit pour tenter d’en toucher un. Je me blottissais dans un coin pour les observer. Cela paraissait si simple. La plupart du temps, ils étaient sur des jeux où l’on voyait un gros balaise, un soldat, avec plein d’armes et qui tirait sur toutes les silhouettes qui apparaissaient. Ou une voiture qui bousculait toutes les autres. Quand il n’y avait pas d’éducateurs à proximité, c’était devant des pornos que mes camarades bavaient. Je me suis formé avec ces films…

Ce fut Ahmed qui m’initia, amusé sans doute par mes regards d’envie. Il m’expliqua comment lancer la machine et la manipuler. C’était facile et magique. J’ai joué pendant une semaine. Tuer avec facilités tous ces ennemis me défoulait. Très vite, cela devint sans intérêt. J’ai cherché alors à savoir comment tricher à ce jeu. Ahmed m’avait montré comment obtenir des réponses à n’importe quelle question. C’était très enfantin : j'avais trouvé comment faire, j'avais gagné ! Résultat, j'ai perdu mon compte pour « non-respect des règles ». Je crois que c’est de là que tout est parti, de cette vexation primordiale.

J’avais la rapidité et la souplesse pour avoir un des trois ordis. Je m’en étais donc attribué un et ma réputation hargneuse limitait les revendications.

Au début, rien n’aboutissait. J’étais énervé et excité. Ce fut une des rares fois où je me suis engueulé avec Tidiane. Puis la machine a cédé. Plus exactement, j’ai compris comment elle réagissait. J’avais gagné !

J’ai mis plus d’un an, mais j’y suis arrivé : j’ai piraté le jeu et je me suis classé dans les dix meilleurs. Les neuf autres étaient mes complices du forum où nous avions travaillé à niquer le jeu.

Ce n’était pas difficile, mais le gamin de onze ans était fier. J’avais aussi maintenant une bande de copains que je ne connaissais pas, mais avec lesquels je passais du temps, j’apprenais. J’ai tout de suite senti que je devais rester invisible, me cacher. J’étais dans une communauté, puis on m’en suggérait une autre, plus intéressante. J’absorbais tout ! J’étais à l’aise dans ce monde de machines et de réseaux. J'obtenais toujours de l’aide quand le problème s’avérait trop ardu.

J’avais découvert que certains groupes agissaient contre des cibles. J’ai eu du mal à me faire accepter, mais j’ai trouvé ma petite place. Quand ils réussissaient une intrusion, c’était la fête, discrète et secrète ! Les motivations ne m’intéressaient guère, la difficulté à percer les murs me suffisait.

Quand les flics sont venus, beaucoup plus tard, ils ont identifié l’ordi. Ils l’ont emporté, mais ils ne pouvaient pas repérer qui était responsable de l’attaque contre une administration. J’avais participé, mais pas en première ligne. J'ignorais comment ils avaient pu remonter à moi. J’avais dû commettre une grosse erreur, ne pas assez me dissimuler. À la Maison, tout le monde me regardait de travers, présumant que j’étais le coupable. Face aux policiers, même mes pires ennemis se turent. Paul, l’éducateur principal, m’a demandé des explications après leur départ. J’ai reconnu des actions un peu limites, sans avouer. Il paraissait plutôt vouloir comprendre de quoi il s’agissait. Je l’ai vite perdu dans les éclaircissements, mais je continuais tellement il semblait admiratif de mes connaissances (et de mes prouesses ?). Ce jour-là, j’ai eu chaud. Ensuite, j’ai encore ajouté des couches de masquage.

Je finis par appartenir à un groupe informel de hackers. Nous menions de belles attaques. J’avais même commenté une de nos incursions dans le système d’un marchand en ligne, sous un masque anonymous. C’était un raid contre des forbans.