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Les motivations de David s'affichaient moins claires. Je distinguais juste un immense besoin de liberté.

Il avait été victime d’une autre forme de défection. Son esprit et son corps n’avaient pu s’accorder convenablement. Il me paraissait un peu autiste. Avoir pu, de façon si simple et si rapide, entrer en contact avec lui avait été un exploit dont je ne me rendis pas compte sur le moment. De toute façon, ce n’est qu’avec un fort recul que je prendrai conscience de nos rapports. Il parlait peu, plus exactement jamais ! Je le comprenais facilement, ce qui n’était pas le cas de tout le monde. Il a accepté Robin, car il était avec moi, mais leur relation demeurera distante. Quand nous étions sur nos écrans, alors nous ne formions qu’un, nous entendant d’un regard, d'à peine un signe de tête pour approuver. Dans ce contexte, il était pourtant capable de discuter pendant des heures. Chacun était redoutable d’intelligence et de connaissances. J’arrivais à le suivre, même s’il me devançait en permanence.

Malgré la bourse, les aides, les prix spéciaux pour la chambre et les repas, il ne me restait rien à la fin de chaque mois. J’avais trouvé une association qui distribuait des vêtements : ça ne se voyait pas dans ma tenue relâchée, très estudiantine. En revanche, pour tout ce qui était scolaire, je devais l’emprunter ou m’en passer.

Je m’étais totalement ouvert à Thomas, avec qui je dinais souvent. Ses copains, également en économie, avaient des théories à l’opposé de celles de Robin. Le monde se constituait des gagnants, eux, et des loosers, tous les autres merdeux ! Malgré cela, ce groupe était sympathique et chaleureux. Avec eux aussi, je m’étais dévoilé. Je n’avais pas honte de ma situation, sans chercher à la porter en étendard. L’information avait dû circuler, car dès qu’une dépense importante, une sortie, une toile était prévue, je n’avais rien à débourser, sans savoir qui remercier. Pourtant, j’en connaissais deux ou trois qui n’étaient pas plus riches que moi.

Ma vie avait changé et, finalement, je m’étais bien adapté. J’étais entouré de camarades qui devenaient des amis.

Tidiane était heureux de son stage. Jo avait remonté la pente et caressait l’idée de racheter à son patron une Ferrari 250 GTE et de la remettre en état. Il semblait apaisé.

Mes ressources financières limitées n’étaient pas un problème. L’important était que je travaillais sur des sujets passionnants. Je découvris que je savais beaucoup de choses. Leur apprentissage de façon construite multipliait ces savoirs et m'ouvrait des horizons incroyables. Les travaux pratiques extrascolaires avec Robin et David complétaient tout ceci.

Notre projet de regroupement avec Tidiane l’année prochaine allait être difficile (impossible ?). Mais je ne voulais pas y penser.

Tout bascula un soir de fin d’hiver quand en arrivant, je vis la porte de ma chambre entrouverte, fracturée. Mon PC, ma vie, avait disparu, volé. Toute la pièce était en l’air, et mes vêtements avaient également été emportés : je n'avais plus rien du tout. Je courus chez Thomas. J’étais perdu, meurtri par cette agression, incapable de réagir et, de plus, n’ayant aucune idée des suites et des actions à entreprendre.

Thomas et sa bande s’occupèrent de tout. Robin n’était pas loin. Vu mes activités, mon PC était protégé et crypté, rendant son utilisation impossible. En revanche, la machine pouvait être identifiée sur le réseau dès son branchement. David la détecta très rapidement. À eux deux, ils trouvèrent facilement l’adresse IP et sa localisation physique. C’était inutile, car quelques soirs plus tard, une meute vint s’installer pas trop loin de nous. Je les entendais lancer des vannes contre la racaille, les Arabes, les Noirs, tous les différents. Il fallait nettoyer le pays et reprendre à ces parasites tout ce qu’ils avaient pompé. Je compris qu’ils s’adressaient à moi, se vantant et me narguant à mots couverts. Le calme de ma réaction et mon indifférence affichée m'étonnèrent. J’enregistrais très précisément les traits de celui qui paraissait le plus arrogant. David me confirma qu’il s’agissait de mon braqueur. Tout aussi facilement, nous avons identifié les autres. Une attaque très ciblée permit de détruire toutes leurs données et de rendre leurs machines inutilisables : il ne leur restait que la quincaillerie pour pleurer.

Pour Kevin, mon voleur, j’ai attendu. Je le surveillais sans cesse. Quand j’ai été sûr de mon coup, je l’ai explosé. Je ne m’étais pas battu depuis des années. Je n’avais rien perdu. Je l’ai démoli. Toute ma colère s’est focalisée sur lui, ce nanti qui m’avait pris le peu que j’avais, par haine de mon physique. Cette « agression sauvage d’un jeune étudiant par un groupe de sauvages » fit la une des journaux. Beaucoup connaissaient le bras justicier, mais l'affaire s'arrêta là, sauf pour Kevin. Je ne voulais pas le marquer autant, le défigurer. Lui éclater un testicule n’était peut-être pas utile : il lui en restait malheureusement encore un pour perpétuer sa connerie.

La violence qui m’avait submergé m'a surpris, sans que je parvienne à regretter mon geste. Son attaque avait été aussi forte, stupide et inutile.

Je travaillais avec Robin ou David, mais il me manquait l’essentiel. Quand Thomas m’apporta un PC en remplacement, déniché par une chaine de solidarité incroyable, j’en ai pleuré d’attendrissement. Décidément, le monde ne m’était pas qu’hostile.

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