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Rapidement, je pus identifier sur le site de « rencontres » deux étudiants que je croisais régulièrement à la cité universitaire. Le premier, je l’avais repéré d’emblée, tellement il dénotait. Avec ses cheveux longs, sa stature gracile, il était difficile de déterminer son sexe. Cet être indéchiffrable suscitait la curiosité. Il affichait une telle distance, une telle réserve, qu’il semblait impossible à approcher. Il était toujours avec deux ou trois amis et amies, petit groupe fermé. Je connaissais son prénom, du moins celui qu’il donnait sur le site, Emille, qui avait une consonance troublante. Je profitais d’un rare instant d’isolement pour l’aborder :

— Bonsoir, Emille, sans bien savoir si je prononçais bien.

— Qui êtes-vous ? Que me voulez-vous ?

Le vouvoiement et le ton hargneux étaient décourageants.

— Non, rien. Je voulais juste faire connaissance.

— Pourquoi m’avez-vous appelé Emille ? Ce n’est pas mon nom !

— Désolé. Je croyais. Nous sommes sur le même site…

— Ah ! On en reparlera ! Je dois y aller.

Il s’enfuit. Mes essais suivants seront esquivés. J’étais attiré par ce garçon, sans bien comprendre cette pulsion. Quand je m’approchais, il s'échappait. Un jour, excédé, il m’apostropha :

— Ce n’est pas parce que tu es aussi une pute que nous avons des choses à partager. Si tu veux me sauter, tu connais le tarif !

— Emille…

— Ce n’est pas mon nom !

— C’est quoi alors ?

— Tu me lâches !

— Oui. Excuse-moi.

Je me tournai pour partir quand j’entendis :

— Émile.

Son attitude venait de changer. Il ne me souriait pas, mais son regard hostile s’était évanoui.

— Je ne veux pas te déranger…

— Je dois me préparer. Tu peux m’accompagner.

Je le suivis jusqu’à sa chambre, n’arrivant pas à prononcer la moindre parole. D’une façon surprenante, il s’effaça après avoir ouvert sa porte. Je murmurai en passant devant lui :

— Pardon, Emille…

— Tu tiens vraiment à m’appeler comme ça !

— Désolé ! Mais c’est beaucoup plus joli qu’Émile !

— Tu es qui ?

— H, on m’appelle H. Mon prénom est Harry, mais je le déteste. Je suis fasciné par toi…

— Tu veux baiser avec moi ?

— Non ! Ce n’est pas ça. Je ne suis pas gay…

— Ton annonce est pourtant évidente !

— Tu as été la voir ? Tu t’intéresses à moi ?

— Non, pas du tout ! Tu me colles tellement que j’ai voulu savoir…

— Pour le fric, j’accepte les hommes. De toute façon, il n’y a que des mecs pour se payer des putes…

Il commença à se déshabiller, sans façon. Je m'asseyais sur le bord du lit. De douces et délicieuses odeurs de parfums flottaient dans la pièce. Son corps était fin, agréable de proportions. Visiblement, il était de sexe masculin, alors qu’une féminité se devinait dans les courbes et les attitudes. Il parlait sans cesse, commentant ses gestes, ses vêtements. Une confusion m’envahit lentement, saoulé par ses propos insignifiants, dérangé par la beauté ambiguë qu’il me montrait sans gêne.

J’arrivai à murmurer :

— Tu es beau, très beau.

— Merci ! Beau ou belle ?

— Beau et trouble. Pourquoi belle ?

— Parce que je suis une fille, en vrai, dans ma tête.

Son visage fin, en triangle, ses cheveux longs, ses yeux doux pouvaient le laisser prendre pour une fille.

— Je te plais ?

— Oui ! Mais je n’ai pas envie de toi.

Sans gêne, il vint se poser à côté de moi, me frôlant de sa chaleur. Il tourna sa figure. L’instant d’une seconde, je pus lire toute sa détresse, tout son malheur, avant qu’il efface tout d’un clignement d’œil. Avait-il discerné la même chose en moi ? Ce bref échange scella notre relation. Il esquissa un baiser sur mes lèvres, me passa un doigt sur la joue, avant de lancer :

— Il faut que je me prépare !

Encore sous le coup, je le regardais enfiler des sous-vêtements de fille, en dentelle. Il termina, se maquilla. Son ambiguïté devenait totale.

— Tu verrais tes yeux !

Je baissais le regard en me sentant rougir. Une immense tendresse me portait vers lui, ou elle, mêlée d’admiration pour sa transformation et sa liberté de pouvoir paraitre ainsi.

— Je te trouve belle !

— Oui, je suis belle, une belle femme, même si je traine ce corps de mec. Tu viens ? Il faut que j’y aille !

Avant de sortir, il me prit par la taille et m’embrassa gentiment à nouveau. J’étais perdu.

— Tu retireras le rouge que je t’ai mis ! Tu reviendras ?

Puis il me tourna les talons, me laissant son dos et sa silhouette qui s’éloignait d’une démarche légèrement chaloupée.

Je restai sans réaction, le temps de comprendre ce que je venais de vivre.

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