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Cette nouvelle vie n’était donc pas si pénible. Les amitiés que j’avais nouées, si différentes de celles de la Maison, étaient gratifiantes. Mes anciens attachements de lycée étaient oubliés, me paraissant fades aujourd’hui.

Quand je pensais à tous mes amis, je me disais que chacun m’était indispensable. Mais chacun était insuffisant. Je devais courir de l’un à l’autre pour assouvir mon contentement. Ma vie affective était un puzzle à rassembler en permanence.

J’étais allé à la fête de départ de Tidiane. Tout le monde était heureux. Nous avions trouvé du travail pour lui, dans une boulangerie, pas loin du studio que j’avais déniché. Tout était prêt pour accueillir mon petit frère.

Mes amis ne se posèrent pas la question de savoir comment je payais le loyer. Ils ignoraient les problèmes d’argent, qu’il fallait parfois aller le chercher dans le caniveau !

Nos retrouvailles furent un long moment de bonheur. Me retrouver blotti dans les tentacules de géant de mon petit frère me faisait revivre ces moments d’apaisement total. J’avais ressenti en partie cet étanchement dans les bras d’Emille et cette consolation dans ceux de Zoé. La plénitude n’était possible qu’avec Tidiane.

Nous avons trouvé notre rythme. Tidiane se levait à trois heures, quand je rentrais de chez Zoé, de chez Emille, ou, le plus souvent, quand je finissais nos entreprises obscures avec Robin et David.

Bien sûr, Tidiane avait fait connaissance de toute ma nouvelle tribu. Il accrochait fort avec Zoé, peu avec les autres. Il avait peur d’Emille, n’arrivant pas à le ou la cataloguer.

Certains soirs, je devais m’absenter, sans lui préciser mon occupation. Je ne pus lui cacher longtemps la vérité. Cela était normal et généreux, m'exprima-t-il simplement, sans rien ajouter. Peu après, il sortit des billets de sa poche, avec un immense sourire.

Je le grondais gentiment. S’était-il bien protégé ? Il me rassura. Il m’avait espionné et savait les dangers et les erreurs à éviter. Il m’avait vu travailler sur le site d’annonces et avait profité d’une courte absence pour s’inscrire. Il n’y connaissait rien en informatique, mais il avait réussi à masquer les traces de son utilisation, sur mon PC.

Entre la fin de son service et mon retour, il faisait des « après-midi ». Il me dit qu’il trouvait aussi bien des femmes que des hommes.

Pourtant, il n’était attiré que par les filles. Il m’avait raconté ses nombreuses aventures, parfois en riant, parfois en pleurant, car lui aussi fuyait au premier signe d’attachement. Nous étions de vrais frères, partageant tout, y compris nos labyrinthes !

Il rapportait plus que moi, pris par mes études et mes occupations. On s’engueula sévère, car il envisageait d'abandonner son boulot pour nous faire vivre de ses passes. Je refusais absolument que mon petit frère devienne uniquement une pute. Il devait avoir une existence normale. Dans cette période, ces rentrées nous ont facilité la vie. Il m’était impossible de lui interdire ce que je faisais moi-même.

Nous étions si fragiles, tous les deux, à apprendre et à se battre dans ce monde qui nous avait tourné le dos si longtemps. Il était très soucieux pour moi et exigeait que je réussisse. Il était fier de moi, autant que je l’étais de lui, blanc de farine quand je pouvais aller le chercher dans son laboratoire. Ses compagnons me connaissaient. Le patron adorait son ouvrier. Nous vivions semblables aux autres, presque. Chacun, nous avions encore ces moments d’effondrements, où seul le frère pouvait aider.

Il me surprit plusieurs fois, clamant son désir de détruire cette société totalement hostile. Ce n’était pas le Tidiane que j’avais laissé. Ses propos n’étaient pas cohérents, il s’énervait. Le lendemain, je retrouvais mon géant doudou, si attentif à moi. Après deux ou trois épisodes, je lui demandais s’il allait bien. Il me rassura, je n’avais pas à m’en faire. De temps en temps, la fatigue ou pour une autre raison, il partait dans des délires sans s’en rendre compte. Ou plutôt, il s’en apercevait en redescendant. Oui, ça lui était arrivé l’an dernier. Ce n’était rien. Ça passait.

Le plus pénible, le plus déroutant était l’impossibilité de créer une communication avec lui dans ces périodes. Il ne me reconnaissait pas, moi, son frère aimant et protecteur. Il m’appelait par mon nom, mais, visiblement, cela ne signifiait rien pour lui.

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