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L’intégration dans cette nouvelle école, cette nouvelle vie, ne fut pas si facile que ça. Hormis Robin, j’avais perdu tous mes amis, même si nos contacts sur les réseaux étaient constants. Leur présence physique me manquait. Tidiane, Zoé, Emille étaient trop loin. À l’école, comme tous ceux qui avaient suivi un cursus similaire, nous étions tenus à l’écart, car n’étant pas passés par la voie royale du concours. Il n’empêche : dans notre spécialité, il n’y avait pas photo entre nous et ces élus-élites. Quand nous avons rendu publique notre idée de start-up, il y eut une queue de quémandeurs ayant reniflé le fromage.

L’autre point difficile était le mépris dont j’étais entouré. Avec ma gueule d’Arabe et mon absence de références culturelles, je n’existais pas pour ces nantis qui pensaient qu’ils avaient mérité leur passeport pour la vie, les dispensant de regarder les autres. Ce rejet était d’autant plus violent qu’il était exprimé de manière très policée quand il fallait m’exclure.

Tous n’étaient pas de la même eau et je me liai avec certains. Robin était à l’aise dans son milieu et m’épaulait dans mon laborieux changement de statut social.

La plus merveilleuse rencontre fut celle de Jérôme. J’avais trouvé son adresse par hasard et l’accès à son cabinet était facile à partir du campus. Dorénavant, ma seule contrainte sera d’être à moins d’une demi-heure de chez lui. Pourtant, les débuts furent difficiles. J’avais l’impression de ne pas avancer. Chaque fois que je terminais un sujet, il me relançait « Et alors ? », m’obligeant à approfondir. Au bout de deux ans, j’avais fini. Je n’avais plus rien à raconter. J’étais devant l’immensité de ma question. Cela me déprima complètement, il m’était impossible de continuer. Sa réponse fut celle que je ne voulais pas :

— H, tu es au pied du mur, devant toi maintenant ! Tu sais des choses que je ne sais pas. Je sais des choses que tu ne sais pas. Moi, je te le dis : tu vas passer le mur. C’est pour cela que tu es ici, que tu vis. Tu vas y parvenir, car c’est ta vie. Cela te prendra cinq ans, dix ans, peu importe. Je t’accompagnerai jusqu’au bout.

Ce fut un parcours éprouvant, que je n’ai pas pu achever. Jérôme était un psy merveilleux. Jamais je ne m’étais senti autant en confiance. L’inconvénient était que mon nouveau surplus de revenus partait presque intégralement dans ces séances. Je dus reprendre mes activités rémunératrices.

Un jour, j’avais un rendez-vous juste avant ma séance. Cela s’était mal passé et j’arrivais démoli. Jérôme ne fut pas long à me faire cracher la réalité. Jamais je ne fus engueulé avec une telle véhémence : me détruire d’un côté pour me reconstruire de l’autre, était d’une absurdité sans nom. En opposition avec toutes ses règles, il fixa le prix des séances à un niveau compatible avec mes ressources : une somme ridicule ! Cette attention, cet attachement, cette volonté de m’aider, de m’accompagner m’ont bouleversé. Je pus avancer, j’en avais tellement à raconter !

Ces deux années furent chastes, sans que cela me gêne. Quand je retrouvais Emille ou Zoé, nos effusions étaient sentimentales, fortes, mais sans sexe. Je savais qu’ils avaient chacun besoin de continuer à se vendre. Passer une nuit de tendresses avec eux m’aurait semblé profiter d’eux, malgré l’affectation sans limites que je leur portais.

Le job et mes séances avec Jérôme m’occupaient suffisamment l’esprit.

Notre start-up décollait vite. Les parents de Robin nous avaient épaulés. Robin assurait le commercial et la direction, j’étais responsable de la technique et David nous avait rejoints, sans faire partie de la société, se consacrant au côté ténébreux de notre activité. En cinq ans de coopération, nous avions acquis des informations sur les failles de sécurité de beaucoup d’entreprises. Prendre contact avec leur responsable alors qu’un coup de semonce venait d’être envoyé était facile. Le convaincre de se faire aider pour sécuriser son système devenait évident. Nous n’embauchions que des grosses têtes. Officiellement, nous sous-traitions la prospection et la recherche. David supervisait ces correspondants invisibles, qui agissaient par conviction ou par passion. Il nous était impossible de nous couper de la branche obscure, la plus active et la plus en pointe.

Je n’étais plus le même : j’étais un manager respecté, avec un bon salaire. Ma vie sentimentale était plate et je n’avais aucun temps à lui consacrer. Ma vie affective n’en était que plus forte, entretenant les liens avec mes amis, mes vrais amis.

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