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J’attendis, pas longtemps, une éternité. Je l’aurais reconnue. Mais je fus étonné de voir arriver sur moi en courant la plus belle fille du monde, dans la fraîcheur de ses vingt ans.

De visage, elle n’avait rien d’extraordinaire, mais elle avait une façon si gracieuse de bouger qu’on ne pouvait que l’admirer. Son sourire, pour moi, était d’un accueil absolu. Je tombai immédiatement en extase. Entre le plaisir de retrouver ma petite sœur et cet emportement, je me trouvais bloqué.

Elle était toute à sa joie. Elle me sauta au cou, m’embrassant et me cajolant, déversant des flots de paroles, d’émotions. Je m’abandonnai dans cette confusion des sentiments, remué au plus profond de mon être.

Elle se détacha. Nous avions le visage ruisselant. L’intensité du moment nous assommait. Elle proposa que nous prenions un verre, pour parler. Je lui saisis la main, en lui suggérant plutôt de marcher ensemble. Elle serra ma main, posa sa tête sur mon épaule, dans un geste naturel, évident, et nous sommes partis pour cette promenade inoubliable. Chaque pas, j’attendais la rupture de l’enchantement, la fin du rêve. Chaque pas, mon cœur battait de béatitude.

Nous nous racontâmes nos vies. Nous alternions, chacun livrant une bribe, l’autre buvant chaque mot. Elle se pressait de plus en plus contre moi, cherchant à combler cette absence si longue de tendresses.

Elle était si petite lors du drame qu’elle n’avait pas compris. Elle avait pleuré, elle s’en souvenait. Grand-mère était très affectueuse. Grand-père était plus distant. Il était mort il y avait deux mois.

Nous avancions, réunis. Toutes ces années de séparation n’avaient jamais existé. Ce contact ne ressemblait en rien avec ceux de Tidiane, Zoé ou Emille.

La douceur de sa présence était étonnante. Nous nous parlions comme si nous nous étions vus la veille. Deux jeunes adultes se rencontraient et c’étaient les deux enfants qui se rejoignaient dans leur spontanéité.

Elle était intarissable.

— Tu sais, il a fallu attendre pour que je te retrouve dans ma tête. Les premières années, on ne parlait ni de papa ni de maman, encore moins de toi ! Vers dix ans, j’ai commencé à devenir infernale, car je n’avais pas de réponses, alors que j’avais trop de questions. Grand-père s’énervait. Un jour qu’il n’était pas là, grand-mère m’a ouvert les livres de photos et m’a enfin raconté. Papa était leur fils unique et adoré. Sa mort les avait anéantis. Grand-père était en colère contre papa. Ils s’étaient fâchés, à cause de toi.

— Mais je n’étais qu’un enfant ! Un tout petit enfant.

— Je crois que tu étais un monstre, une terreur ! Tu n’arrêtais pas de pleurer, d’être déchainé. Je crois que nos parents en ont bavé à cause de toi ! C’est ce que me racontait grand-mère. Moi, je ne me souviens pas. Sur les photos, tu sembles heureux.

— Tu m’étonnes ! Je ne me rappelle que de tendresses et de gentillesses de leur part.

— Ce n’est pas contradictoire. Je suis sûre qu’ils t’aimaient comme tu étais et qu’ils ont fait le maximum pour t’aider. Tu as dû avoir une petite enfance terrible. Je veux dire, avant qu’ils te prennent.

— Sans doute. Ce n’est qu’avec la maturité que ma colère s’est estompée. Elle est toujours là.

— Grand-père trouvait qu’ils se donnaient beaucoup de mal pour…

— Pour ?

— Pour un Arabe ! Il était raciste, surtout vis-à-vis des Arabes. Je ne sais pas pourquoi. Enfin, il ne t’aimait pas. Il te haïssait.

— Je me souviens seulement qu’il me repoussait, pas de méchanceté.

— Avec moi, il était adorable. Pour toi, il avait des mots… orduriers. Tu sais… Il était très riche. Normalement, tu aurais dû hériter de la moitié de sa fortune, en tant que petit fils. Il a laissé à grand-mère de quoi vivre, et il avait tout mis à mon nom, pour que tu n’aies rien. Il était notaire et il savait exactement comment faire.

— Pourquoi tu me racontes ça ? Je n’ai jamais rien eu et je n’aurai jamais rien. Je m’en fiche. Ça me fait mal d'apprendre qu’il me voulait du mal. Comment peut-on haïr un enfant ?

— Je te le dis, car en plus c’était un voleur. À mes dix-huit ans, j’ai hérité de maman et de papa. Toi aussi, du fait qu’ils t’avaient adopté. Ce n'est pas grand-chose. Même rien, puisqu’ils venaient d’acheter la maison.

— Ah ?

— Enfin, presque. Grand-père les traitait d’idiots, car ils devaient signer les papiers en rentrant de vacances. S’ils l'avaient fait avant de partir, ce sont les assurances qui auraient payé ! Parce que sinon, ils n’avaient rien !

— Personne ne m’a rien dit à mes dix-huit ans ! Peut-être que je n’aurais pas été obligé de me…

J’avais retenu le mot au bord de mes lèvres. Je le lui révèlerai, mais pas maintenant, pas de misérabilisme !

— Pas obligé de quoi ?

— Laisse ! De toute façon, tu dis qu’ils n’avaient rien. Ça n’a pas toujours été facile. C’est vrai que si on m’avait aidé… Non, tant pis. Je m’en suis tiré, seul, comme j’ai pu.

— Harry, tu as souffert…

— Oui. Mais c’est du passé. C'est sans importance puisque nous nous sommes retrouvés ! Si tu savais comme c’est extraordinaire pour moi ! Je retrouve ma sœur, et c’est la plus belle fille du monde ! C’est incroyable !

— Moi aussi, je suis tellement contente. Je n’espérais plus ton appel. Je pensais qu’on m’avait donné un faux numéro.

— Comment l’as-tu eu ?

— Mais très facilement ! Par l’orphelinat. Avec grand-mère, en cachette, nous avons pris contact avec eux. On savait tout de toi. C’était difficile, car on ne pouvait pas te faire signe. Grand-père nous aurait tuées s’il l’avait appris ! Si tu savais comme nous avons été contentes de te voir poursuivre de telles études !

— Ah ! J’aurais été si heureux de vous sentir près de moi ! On aurait pu… Non. Ça s’est passé comme ça, c’est tout. De toute façon, je n’étais pas seul.

— Tu avais des copains ? Des amis ?

— Oui, des amis, des vrais, ceux avec qui on partage le malheur ! Surtout, j’avais, j’ai toujours, mon frère !

— Tu as un frère ?

— Oui. Tidiane. C'est plus que mon frère ! Avec lui, j’ai tout vécu, nos chagrins, nos peurs, notre désespoir, notre détresse infinie. Nos joies, aussi. Je n’avais que lui. Sans lui, je serais mort, mille fois. Il a été ma raison de vivre.

— Harry !

— Julie, tu es revenue, tout est effacé. Tu dois connaitre Tidiane, il doit te connaitre, il faut que je vous associe tous les deux.

— Oui ! Je veux le rencontrer !

Nous avancions sans savoir où nous allions, uniquement dans ce bonheur de nos retrouvailles.

À la nuit tombée, nous nous sommes quittés, nous promettant de reprendre le lendemain.

À la boite, j’expédiais les affaires courantes et annonçais mon indisponibilité pour les prochains jours. J’avais mieux à faire : vivre ! De son côté, en quatrième année de médecine, elle estimait qu’elle pouvait éviter quelques cours.

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