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Nous revoir me procura un effet encore plus fort que la veille.

— Tu sais, grand-mère m’a dit qu’elle ne m’avait jamais vue aussi rayonnante !

— Tu habites toujours chez eux ? Ils habitent toujours au même endroit ?

— Tu te souviens ?

— J’ai quelques images. J’aimerais la revoir.

— Je ne sais pas. Elle m’a poussé pour que je te revoie. Elle me harcelait depuis l’enterrement de grand-père. Moi, j’avais peur ! On a perdu des mois !

— Quelle importance ! Nous avons la vie maintenant !

— Tu sais, je crois qu’elle a peur de toi. Elle regrette tellement d’avoir laissé grand-père t’emmener à l’orphelinat.

— C’est un peu tard !

— Ne juge pas. Tu ne sais pas comment il imposait ses volontés. C’était un tyran.

Elle me raconta alors son enfance. Avec des mots simples, sans plainte, elle exprimait une tristesse infinie. Grand-père régissait tout. Elle se souvenait à peine de l’accident, de l’enterrement, de mon départ. Elle avait ressenti que c’était irrémédiable, sans bien savoir pourquoi. Elle avait un vide. Sans fond. Maman lui manquait. Papa ne la consolait plus. Pour toute explication tombaient ces mots :

— Arrête de pleurnicher. C’est la vie. Tu es une grande fille.

C’était la seule réponse qu’elle a jamais obtenue. Quand elle regardait les photos avec grand-mère, elles bloquaient à ses cinq ans, à sa vie d'avant. Elle n’avait plus de vie au-delà.

Elle n’avait pas d’amies, pas de copains. Elle vivait avec des vieux. Elle se sentait si loin des autres, avec leurs conversations de futilités. Pendant deux ans, à la fin du collège, elle avait eu une grande copine avec laquelle elle pouvait parler des choses importantes, des choses de la vie. Les garçons la tourmentaient, lui courant après, puis lui envoyant des méchancetés, des injures quand elle les repoussait. Elle en avait trouvé de gentils. Ils finissaient par lui demander un baiser. Ça ne l’intéressait pas. Elle ne voulait aimer personne. Elle attendait. Depuis quelques mois, elle s’était rapprochée de Germain, mais ça restait distant. Alors, depuis toujours, elle travaillait.

Chez ses grands-parents, elle n’a pas pu parler à table avant ses onze ans. Elle n’allait pas bien, mais il était hors de question qu’elle se fasse aider : tous les psychologues sont des charlatans qui prennent votre argent en vous faisant croire que vous avez besoin d'eux. Tous des voleurs, ces Juifs, ces Arabes ! Grand-Père pataugeait dans ses rengaines. Il avait quitté l’Algérie enfant. Cela avait été dur. Terrible ! Il en parlait avec des mots effrayants. Souvent. Trop souvent. Ressassant des haines qui ne lui appartenaient peut-être pas. Ses malheurs à elle, en comparaison, étaient dérisoires, ils n’existaient pas. On ne pouvait s’en sortir que par la volonté. Il fallait tout maitriser, tout contrôler, tout attaquer. Sinon, on n’arrivait à rien. On était un minable. Regarde les pays africains, arabes, ils ne peuvent pas se développer !

Elle répétait ces ritournelles, tellement rabâchées, servant à tout expliquer, avec dégoût et lassitude. Elle ne comprenait rien à la vie.

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