28

5 minutes de lecture

Il fait chaud. Nous sommes sur la plage. Papa somnole derrière un livre, nous creusons un trou, Julie et moi. Soudain un cri : « Clara ! ». Papa se lève en courant, je le suis des yeux, tout à mon trou qui s’effondre.

Plus tard.

Des cris, des gens qui se massent au bord de l’eau, le maitre nageur qui vient en courant. Je ne vois rien, jetant un œil sur cette agitation bruyante. Au travers des jambes, j’aperçois un maillot rouge, comme celui de papa, allongé sur le sable. L’attroupement laisse passer des exclamations d’effroi. Je me lève et regarde, sans rien comprendre. Du monde accourt de partout. Il me semble entendre que quelqu’un s’est noyé. Je sens la petite main de Julie se mettre dans la mienne. Elle a perçu l’inquiétude générale. Des gens quittent le groupe, le visage grave, d’autres le rejoignent en riant. Une sirène qui approche, des pompiers qui courent sur la plage avec du gros matériel. Ils ont du mal à écarter la foule. Au bord de l’eau, je revois la tache rouge. Plus loin, je distingue un maillot rose fluo, comme celui de maman. Il ne se passe rien. Julie tient ma main.

Plus tard.

Les pompiers remontent les deux civières, couvertes d’une couverture de métal jaune qui brule les yeux sous le soleil. Ils partent. L’attroupement se disperse dans un brouhaha. La plage retrouve son aspect habituel. Je ne vois ni papa ni maman. Je les cherche, essayant de les apercevoir parmi les baigneurs. Je ne comprends pas, ils ne nous laissent jamais seuls. Julie a envie de faire pipi. Je l’emmène au bord de l’eau. J’entends une remarque. Nous restons au bord de l’eau. Je ne vois toujours pas nos parents. Une gigantesque inquiétude grandit en moi, je ne sais pas quoi faire.

Plus tard.

Nous sommes assis dans le poste de secours. Une maitre nageuse, très grande, très forte, nous a donné des petits gâteaux et un gobelet d'eau. J’ai envie de pleurer, je ne sais pas pourquoi. Je ne comprends pas ce que nous faisons là, avec nos affaires. Papa et maman vont nous chercher, ils vont être inquiets. Personne ne nous parle. Un policier et une policière arrivent. J’ai peur. Nous avons dû faire quelque chose de mal. Je n’aurais pas dû emmener Julie faire pipi au bord de l’eau. Pourquoi nos parents ne sont-ils pas avec nous ? Julie a toujours sa main dans la mienne. Elle ne dit rien.

La policière s’assied devant nous. Elle ne sourit pas.

— Bonjour, les enfants. Moi, c’est Emma. Et vous ?

— Harry, et elle, c’est Julie.

— Vous pouvez me dire comment sont vos parents ?

Je lui décris leurs maillots de bain, la couleur de leurs cheveux. Elle me demanda s’ils portaient des bijoux, des tatouages. Elle se tait, nous regarde :

— Votre maman a eu un accident. Votre papa a voulu l’aider et il a eu aussi un accident. C’est eux que les pompiers sont venus secourir.

— Ils sont morts ?

— Oui. Ils sont morts tous les deux. Nous allons vous aider. Il faut être courageux. Vous êtes grands. Vous allez aussi nous aider.

Je ne pleure pas, car je ne comprends rien à tout ceci. La main de Julie me serre un peu plus fort. Elle a senti que des choses importantes sont en train d’arriver.

Plus tard.

Quand la policière nous demande où nous habitons, je lui donne notre adresse à Vaucresson. Elle veut savoir où nous habitons pour nos vacances, mais je suis incapable de lui répondre. Nous retrouvons facilement la voiture sur le parking. Je leur dis qu’il faut bien attacher Julie dans son siège. Elle me fait monter devant, bien que ce soit défendu, pour que je lui montre le chemin. Nous ne sommes là que depuis trois jours. J’ai beaucoup de mal à trouver comment on rentre à la maison. La policière ne s’énerve pas et m'encourage avec gentillesse. Nous retrouvons l’appartement. Julie va dans notre petite chambre pour jouer. Je ne sais pas où nos parents rangeaient leurs papiers. Deux autres policiers sont venus l’aider et ils cherchent partout. Je les regarde, en pianotant le téléphone de maman. Quand les policiers s’en aperçoivent, ils me demandent de leur montrer les numéros de nos grands-parents, d’amis. Je ne connais pas grand monde dans cette liste interminable qu’elle me lit.

Plus tard.

Une dame les a rejoints. Nous devons la suivre. Elle nous emmène dans un endroit où il y a plein d’enfants, comme une colonie. Nous y restons deux jours. Personne ne nous parle. Je m’occupe de Julie, qui ne me quitte pas.

Nos grands-parents arrivent. Julie leur saute dans les bras. Ils pleurent. Ma grand-mère m’embrasse, mon grand-père m’ignore.

Plus tard.

Il y a une messe, avec les deux cercueils. Nous sommes devant et tout le monde nous embrasse, surtout Julie. Dès qu’elle le peut, elle me prend la main. Ça me fait du bien. Je ne comprends pas ce qui se passe. Je sens au fond de moi un malheur infini, mais je ne vois rien de différent. Papa et maman me manquent. Ils ne seront plus jamais là.

Plus tard.

Nous vivons chez nos grands-parents. Ils sont tristes, sans arrêt. Une fois, je vois grand-père pleurer. Il vient de lâcher son journal. Au creux de son immense fauteuil, il a les yeux fermés et les larmes coulent sur ses joues. Je m’approche, car je veux le consoler. Je mets ma main sur la sienne. Il arrête de pleurer et nous restons un petit moment dans cette position. Il ouvre les yeux et s'aperçoit que c’est moi. Il retire vivement sa main, en criant :

— Toi, tu ne me touches pas !

Il se lève brusquement, retombe au fond de son fauteuil avant de se relever et de partir, en me poussant du pied. Je ne bouge pas. Je sens la main de Julie.

Plus tard.

Je vais à l’école, c’est toujours la même, car nos grands-parents habitent aussi Vaucresson. Je retrouve mes copains. Ils font tous une mine pas possible. Certains me demandent ce que ça fait. Je ne sais pas répondre. La vie avec mes grands-parents ne me plait pas. Au bout de quelques semaines, ou mois, ils me disent que je vais aller dans un endroit qui sera mieux pour moi, avec plein de copains. Ils m’emmènent à la Maison. Pas un au revoir. Julie dormait quand nous sommes partis. Je ne sais pas que je ne les reverrai pas.

***

Chaque fois que Julie me prenait la main, une réminiscence remontait. Je passais des heures à défiler ces fragments oubliés avec Jérôme, reconstituant ce casse-tête épouvantable.

Je repensais souvent aux paroles de Julie me disant que j’étais en colère perpétuelle, que nos parents avaient tout essayé pour la calmer ou éviter qu’elle ne démarre. Je savais que j'avais été en fureur, mais je ne me souvenais pas de ces crises. Seul un doux souvenir restait de ces années avec eux.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Jérôme Bolt ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0