29

4 minutes de lecture

Ma vie, notre vie était merveilleuse. Elle bossait comme une folle, la tête penchée en permanence sur ses manuels. Quand elle me sentait près d’elle, elle la levait avec un sourire qui m’obligeait à l’embrasser. Je m’occupais de tout, voulant qu’elle se consacre uniquement à ses deux passions, ses études et moi !

Mon travail me passionnait et notre société se développait vite et bien. Une part importante de notre activité dépendait d’officines gouvernementales plus ou moins officielles. Robin conduisait cette expansion. Nos relations avaient beaucoup changé, la composante amicale et amusement n’existait plus. J’assurais toute la partie technique. Mon occupation principale était le lien avec le côté caché. Mon grand plaisir était de travailler avec David, dans la chaleur de son amitié.

Il ne demandait rien, mais notre rituel voulait que, sans en parler, je commence par les nouvelles de nos amis communs, sans oublier les derniers détails de ma vie avec Julie. Simulant l’indifférence, il continuait à pianoter sur son clavier. Seule sa vitesse de frappe m’indiquait l’intérêt qu’il portait à mes petites actualités. Après la partie sérieuse, nous reprenions mes faits divers, avant la séparation précédée d’une longue accolade. Ses collègues nous entouraient, casque sur les oreilles, yeux sur l’écran, cerveau dans la machine.

Toute ma bande connaissait notre relation particulière. La plus impliquée était Emille. Elle avait complètement changé. Peu avant la fin de ses études, elle avait été remarquée et sollicitée comme mannequin. Sa grâce et son élégance avaient fait le reste. Elle défilait pour des collections, homme ou femme, avec le même brio. Le travail était dur et dès qu’elle le pouvait, elle venait se détendre chez nous. Elle me couvrait alors de caresses, de baisers. Elle me mettait en transe. J’adorais et redoutais ces moments, car elle les interrompait toujours brusquement pour draguer gentiment Julie avec des conversations de filles qui les faisaient rire. Elles échangeaient de petits gestes érotiques. Nous dinions, elle recommençait ses cajoleries que je ne pouvais fuir, avant de s’éclipser, pressée par une autre obligation. Julie profitait de mes frustrations, me disant ensuite que j’étais le meilleur des amants. Ces nuits-là, je faisais l’amour dans une douce confusion sentimentale.

Zoé allait mieux, enfin ! Elle avait trainé, ne parvenant pas à progresser, à se défaire de ses poids morts. Elle avait trouvé un job qui l’intéressait, bien payé. Sa mère est tombée malade, sans ressources. Sa sœur avait besoin d’aides. Elle se retrouvait à assumer trop de choses, l’empêchant de s’occuper d’elle. Et puis Martin était apparu, un mec insignifiant, silencieux, sans attrait. Soudain, un sujet le captivait, la politique, la science, l’histoire. Ses yeux brillaient, il s’enflammait. Il était deux personnes en une. Bien sûr, Zoé faisait partie de ses passions. J’étais inquiet pour elle, car je n’arrivais pas à cerner Martin. Je l’ai pris entre quatre yeux et je lui ai dit que je protégerai Zoé, quelles que soient les conséquences. Il m’a regardé de son regard terne, avant de se transformer en un sourire généreux.

— H, je sais votre relation. Je ne sais pas si je tiens à Zoé autant que toi, mais je l’aime. Ne t’en fais pas.

Je le sentais sincère. Je relâchai mes préventions et je le vis avec d’autres yeux. C’était un mec bien. Il enchaina :

— Zoé m’a dit comment vous vous êtes connus.

— Ah ! Ce n’était pas la période la plus rose !

— C’est révoltant ! Une société qui oblige ses étudiants à se prostituer !

— On aurait pu trouver des solutions moins… C’est que nous le voulions bien, quelque part…

— Intérioriser son infériorité, voilà le drame, ce qui empêche les choses de changer…

— Martin, je suis d’accord avec toi ! Mais quand on se bat pour survivre, il faut être un surhomme pour lutter pour les autres. La générosité est plus facile pour les riches !

— Tu es dur ! Tu sais, je suis d’un milieu modeste, à peine plus…

— Excuse-moi. Je suis devenu égoïste.

— Ce n’est rien. C’est autre chose…

— Oui ?

— Voilà ! Depuis que Zoé m’a raconté ça, je te vois autrement.

— Parce que je me suis prostitué ?

— Non ! Parce que… tu as couché avec des hommes !

— C’était par nécessité. Je ne suis pas gay.

— Oui, Zoé m’a dit. Tu sais, tu es le premier mec que je connais qui a couché avec des garçons…

— Arrête ! Il y a plein de gays. Tu en as croisé, forcément !

— Peut-être ! Mais je n’ai jamais osé en parler avec l’un d’eux…

— Tu es tenté ? Tu veux essayer ?

Il m’avait pris les mains, s’agrippant à moi, attendant une réponse à sa question la plus intime. La situation s'était inversée, maintenant, c’était moi qui lui tenais les mains. Sa franchise, sa fragilité me remuait. Il m’avait donné toute sa confiance. Jamais Zoé ne souffrirait à cause de lui. Je voulais l’aider, car il venait d’entrer dans mon petit groupe des enfants perdus. Il m’avoua que Zoé l’avait poussé à me parler. Il continuait, en me dévoilant son fantasme, pour moi. Si ça devait se faire… Je le regardai. Ses interrogations le rendaient attendrissant. Je lui retournai des compliments, il avait besoin d’une appréciation exprimant le désir d’un homme. Je ne pouvais pas. Zoé savait que j’avais beaucoup d’amis dans ce milieu. J’ai orienté Martin vers l’un d'eux. Je n’ai jamais su la suite. Je crois qu’il n’y en a pas eu. Martin me restera reconnaissant de ce bref échange.

C'était par Jo que je connaissais plusieurs homos. Lui était demeuré constant sur ses préférences. La semaine, il travaillait. Le samedi, il soignait sa Ferrari qui reprenait doucement forme et vie. Le reste du weekend, il baisait. Il me présentait chaque fois son dernier amour, le vrai ! C’était pitoyable : il confondait sexe, sentiment, prostitution. Son physique attirait beaucoup et il n’avait aucun mal à trouver un nouveau partenaire. J’ai vu le meilleur et le pire, car il tenait à m’associer à ses coups de foudre, y compris quand il les monnayait. Ceux qui sont devenus ses amis étaient ceux qui y ont cru, venant chercher une explication sur leur amoureux. Jo avait eu le cœur brisé, comme nous tous. Comment bâtir une relation sans ces battements ? Parmi ceux qui se sont intéressés à Jo, certains sont restés proches : nous avions le même ami en perdition.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Jérôme Bolt ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0