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Le plus dur fut l’annonce de la maladie de Tidiane. Ses délires l’avaient repris. Gigi en avait parlé à l’hôpital : tous avaient fait le même diagnostic. Lui ne se souvenait de rien et niait tout problème. Elle était perdue. Elle n’avait pas voulu m’embêter et quand j’ai découvert leur situation, j’ai été atterré. Il refusait toute consultation. Ses flambées de folie n’intervenaient qu’avec Gigi, donc c’est elle qui délirait. Elle n’avait pas osé me le dire, mais elle avait déchargé son cœur auprès de Julie. Leurs deux enfants, si mignons, mes filleuls, étaient chacun le fruit d’une crise particulièrement aiguë. Julie avait compris que, les deux fois, Gigi n’avait pas été consentante. Tidiane l’avait violée. Ils aimaient leurs gamins, elle s’interdisait le moindre reproche à Tidiane.

Mon explication avec lui fut éprouvante. Nous avons failli nous battre. Parler au psychiatre, forcer Tidiane à accepter le rendez-vous fut difficile. Quand il est tombé dans mes bras en pleurant, j’ai retrouvé mon petit bout, les cent kilos en plus.

Le plus dur était à venir. Le diagnostic de schizophrénie fut terrible, même avec des mots laissant espérer un cas pas trop grave. Ce jour-là, nous avons perdu à jamais Tidiane, même si sa carrure s'imposait toujours à nous. Abruti par les médicaments, il devint l’ombre de lui-même. Incapable de continuer son travail, il errait toute la journée. Ses enfants restaient sa joie. De temps en temps, il refusait cette camisole qui lui enserrait le cerveau. Nous retrouvions notre Tidiane dans sa splendeur et sa gentillesse. Une crise stoppait ce moment de liberté. Gigi assurait les petits, son poste d'infirmière, malgré son idole à terre. J’étais près d’eux, impuissant, rageant contre le sort. Cette maladie n’avait rien à voir avec son histoire. Le destin avait jugé bon de s'acharner. Un état supportable finit par se mettre en place, dérisoire par rapport à ce qu’il méritait.

Pourtant, la vie continuait. Julie était un rayon de soleil permanent. Ce que j’aimais le plus, c’était quand, épuisée par son travail, elle venait se lover contre moi. Elle me tournait le dos, se glissait sous mon bras et se recroquevillait. Elle devenait minuscule et se fondait en moi. Nous ne faisions qu’une vibration, comme pendant nos moments d’amour. Elle s’apaisait. Plusieurs fois, j’ai senti des larmes. Elle était tellement calme que je n’ai jamais compris.

Depuis qu’elle était suivie, elle allait mieux, ses cauchemars avaient presque disparu.

Nous étions inséparables. Une fois, grand-mère nous demanda crûment si nous étions frère et sœur ou si nous couchions ensemble. Nous nous sommes regardés, interloqués : c’était donc visible ! Avant que nous ayons répondu, elle conclut par :

— Il faudra vous marier alors ! Vous êtes un beau petit couple. Vous vous aimez, cela se voit.

Ensuite, à chaque occasion, elle s'inquiétait d'où nous en étions. Une bise de chaque côté était notre réponse.

Quand je questionnais Julie sur ce qu’elle en pensait, sa réplique invariable était une pirouette :

— Je ne veux pas porter le même nom que toi !

Tout était déjà présent dans cette répartie assénée sèchement. Chaque nuit, elle ne s’endormait apaisée que quand elle avait pu oublier son malheur, au paroxysme de notre rapport. C'était elle qui nous avait poussés sur ce chemin délicieux et salvateur. Je n’ai jamais perçu dans cette phrase la disjonction entre ce besoin vital et cette répulsion profonde pour ce lien transgressif. Nous nous sentions si bien, alors qu’elle se détruisait.

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