Chapitre 6

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Je la regarde à travers l’ouverture étroite de la porte, observant sa silhouette à peine éclairée par la faible lumière de la pièce. Elle est là, dans son coin, recroquevillée, comme une proie qui sait qu’elle est prise mais qui ne peut pas se résoudre à accepter sa position. Milena ne sait pas encore que je suis là, mais je sais que ses sens sont aiguisés, qu’elle ressent ma présence. Elle l’a toujours fait. Peut-être est-ce sa survie instinctive qui la garde sur ses gardes, ou peut-être quelque chose de plus.

J’ai observé ces derniers jours son comportement. À chaque mouvement, chaque parole, chaque regard, elle me teste. Ce n’est pas quelque chose qu’elle fait consciemment, mais je la vois. Elle essaie de comprendre qui je suis. Elle n’a encore rien compris. Elle pense que c’est juste de la peur, mais c’est plus que cela. C’est une attirance mutuelle, une tension qui se tisse entre nous, bien que, pour elle, cela n’ait aucun sens. Elle veut croire que c’est une rébellion. Je le vois dans ses yeux quand elle me fixe. C’est un défi silencieux, une invitation muette à voir jusqu’où je peux aller, à voir si je céderai, si je flancherai.

Je fais un pas dans la pièce, le bruit de mes bottes glissant sur le sol en carrelage froid la tire de ses pensées. Elle relève la tête, ses yeux sombres se fixant sur moi, mais elle ne dit rien. Elle sait. Elle le sait. Tout comme je sais qu’elle est en train de décider si elle va continuer à me défier ou s’il est temps de se soumettre.

J’avance lentement, sans bruit, et je m’arrête à quelques pas d’elle, suffisamment proche pour qu’elle puisse sentir ma présence, mais pas assez pour qu’elle puisse m’atteindre. Je suis un homme qui ne bouge que quand il en a envie. Je suis un homme dont les mouvements sont calculés, mes pensées toujours en avance sur les événements. Il n’y a pas de place pour les faiblesses, pour la précipitation. Tout est froid, précis. Calculé.

— Tu ne dis rien ce soir ? dis-je d’une voix calme, presque neutre, mais il y a un sous-entendu, quelque chose dans ma manière de parler qui fait que l’air devient plus lourd autour de nous.

Elle serre les poings, je peux le voir. Son corps se tend, prête à répondre, à riposter. Mais il n’y a rien qu’elle puisse dire. Je la connais déjà mieux qu’elle ne se connaît elle-même. Elle n’a pas de défense contre moi. Pas encore.

Je m’accroupis. Je veux voir ses yeux à hauteur des miens. Elle veut me haïr, mais ce n’est pas de la haine que je vois dans ce regard. C’est une tempête confuse. Peur, fierté, rage... et autre chose qu’elle-même n’arrive pas à nommer.

Je devrais la briser. L’écraser. C’est ce que je fais avec ceux qui me défient. Mais au lieu de ça, je tends la main et replace une mèche de ses cheveux derrière son oreille. Mon pouce effleure sa joue. Sa peau est froide. Pourtant, ce simple contact provoque en moi un frisson que je n’ai pas ressenti depuis… trop longtemps.

Tu perds ton temps, Aleksandr.

Ce n’est qu’un pion. Une fille dans l’équation.

Et pourtant, je reste là. À la regarder. À la détailler. La finesse de ses traits. La façon dont ses lèvres tremblent à peine, comme si elle s’interdisait d’exister pleinement en ma présence.

Je m’assois dans la chaise en face d’elle, lentement, avec la précision d’un geste calculé. Elle doit comprendre que tout ici se joue selon mon rythme, pas le sien.

Mes yeux croisent les siens. Elle soutient mon regard, mais je sens la tension dans sa mâchoire, dans la manière dont elle se raidit. Elle veut me défier, encore. Ça l’amuse peut-être. Ou c’est sa seule manière de rester debout.

Un sourire froid étire mes lèvres.

— Tu croyais vraiment que ça te mènerait quelque part ? Ce silence. Cette posture. Tu te berces d’illusions, Milena. Tu ne résistes pas. Tu joues. Tu testes.

Elle ne bouge pas, mais son regard s’assombrit. Je perçois la lueur de défi. Elle ne me répond pas, et pourtant, elle hurle tout ce qu’elle pense avec ses yeux. Je commence à connaître ses silences mieux que ses mots.

— Tu veux croire que tu me détestes, que je suis ton bourreau, celui que tu peux haïr sans nuance… mais c’est plus compliqué que ça. Tu ne veux pas l’admettre, mais ce que tu ressens te trouble. Tu es piégée, pas seulement par moi, mais par toi-même.

Ses lèvres tremblent légèrement. Elle les presse l’une contre l’autre. Elle veut répondre, mordre, mais elle se contient. Elle croit que se taire me frustre. Elle se trompe.

Je penche la tête, l’observant comme un chasseur regarde une proie imprévisible.

— Ce n’est pas pour ta mère que tu es en colère. Pas seulement. Ce que tu ne supportes pas, c’est ce que tu es devenue ici. Ce que je fais ressortir en toi. Tu te hais pour ça.

Elle ferme les yeux une seconde. Un battement à peine perceptible. Et ce simple geste me dérange plus que je ne l’aurais cru. Je ne devrais rien ressentir. Rien. Mais elle m’agace… et me fascine. Je retiens chaque détail. Son souffle. La tension dans ses épaules. Même la manière dont ses cheveux tombent en rideau autour de son visage.

Je me redresse, brisant le silence.

— Tu peux continuer à te bercer de ton mépris, Milena. T’accrocher à ton indignation. Mais la vérité, c’est que je suis le seul à décider ici.

Je m’avance. Pas à pas. Le sol froid résonne sous mes bottes, lentement. Je sens son souffle se bloquer quand je réduis la distance entre nous. Elle ne recule pas. Elle ne me fuit pas. Ce n’est pas du courage. C’est de l’orgueil.

Je m’arrête juste devant elle. Son regard monte vers moi, brûlant d’une colère inutile.

— Tu veux savoir pourquoi tu n’as pas le choix ?

Je me penche légèrement, suffisamment pour qu’elle sente mon ombre l’envelopper.

— Parce que je ne t’en laisserai jamais. Pas tant que je n’aurai pas brisé ce feu dans tes yeux. Ou appris à m’y brûler.

Je me redresse sans un mot de plus. Mon regard reste accroché au sien une seconde de trop. Je le sens. Et pourtant, je ne détourne pas les yeux.

Je ne devrais pas la regarder autant. Je ne devrais pas… la garder.

Et pourtant, je suis toujours là.

Je me détourne d’elle, sans attendre une réponse. Je n’en ai pas besoin. Elle est déjà sous ma coupe, même si elle se persuade du contraire. Elle finira par le comprendre. Quand je l’aurai façonnée à mon image. Quand elle cessera de lutter pour respirer selon ses règles, et apprendra à survivre selon les miennes.

Je m’arrête une seconde, mon regard glissant de nouveau vers elle. Droite. Les bras croisés. Le menton levé. Elle me défie, encore. Comme si elle n’avait rien à perdre. Comme si elle pouvait me blesser.

Un sourire moqueur s’étale lentement sur ses lèvres. C’est volontaire. Elle veut provoquer. Elle veut tester. Me faire sortir de mes gonds.

Je sens la tension remonter dans ma nuque. Je serre la mâchoire brièvement. Mais je reste immobile. Inébranlable.

— Tu te crois tellement supérieur, hein ? Sa voix fend l’air, glaciale. Un homme sans cœur, sans âme, qui se cache derrière ses règles pour écraser les autres. C’est ça, Aleksandr ? Tu ne sais exister qu’en inspirant la peur ?

Je ne réagis pas. C’est ce que je fais de mieux : encaisser. Me faire rocher. Me faire vide. Mais ses mots s’infiltrent malgré moi. Pas parce qu’ils me blessent. Parce qu’ils me réveillent.

Je la fixe, droit dans les yeux. Et je sens cette fine ligne, ce fil entre l’agacement et… autre chose. Une tension sourde. Un appel presque instinctif. Qu’elle ignore, mais que moi, je commence à entendre.

— Tu parles trop pour quelqu’un qui ne sait rien. Ma voix claque, froide, sans émotion. Et ce que tu penses de moi… ne change rien.

Elle esquisse un pas vers moi. Pas assez pour me menacer. Juste assez pour me défier.

— Vraiment ? Parce que j’ai vu tes yeux tout à l’heure. Et tu sais quoi ? Mes mots t’atteignent. Même si tu veux pas l’admettre. Ça t’énerve. Tu peux faire semblant d’être au-dessus de tout… mais je vois clair en toi.

Je reste impassible. Mais mon cœur bat plus vite. Pas de rage. Pas de peur. Autre chose. Cette fille a un don pour gratter là où il ne faut pas. Et c’est justement ce qui me rend malade : je n’arrive pas à la faire taire. Pas dans ma tête.

Je m’avance d’un pas. Pas brusquement. Lentement. Calculé. Suffisamment pour faire vaciller sa fausse assurance.

— Tu veux jouer à ça ? Je murmure, la voix grave. Tu veux tester mes limites ? J’espère que tu sais ce que tu fais, Milena. Parce qu’à ce jeu-là, je suis maître. Et je ne joue pas pour perdre.

Son regard se durcit. Mais je vois une brève hésitation. Elle croit encore pouvoir me pousser, m’atteindre. Alors elle frappe plus fort.

— Tu sais ce que t’es ? qu’elle lâche, son ton empoisonné. Un lâche. Un mec qui se planque derrière une façade de pouvoir, parce qu’il sait qu’au fond… il est vide. T’as besoin que les autres te craignent pour exister. T’es juste un homme de plus, Aleksandr. Un pantin qui tremble à l’idée de ressentir quelque chose de vrai.

Je reste là, immobile. Le silence devient plus lourd que ses mots. Dans mes veines, quelque chose pulse. Lentement. Profondément. Elle ne sait pas à quel point elle est proche du feu. Et pourtant, je ne la coupe pas. Je la regarde, encore. Longuement.

Parce que malgré tout… elle est là. Brûlante. Vivante. Insolente.

Et je ne sais pas encore si je veux la faire taire… ou l’embrasser jusqu’à la faire taire elle-même.

Je reste immobile, presque hypnotisé par son audace. Elle se tient là, à quelques centimètres de moi, défiant chaque muscle de mon corps de céder à cette tension qui nous consume. Mais je ne cède pas. Pas encore.

— Je vais faire ce que je fais toujours, Milena, je murmure, ma voix basse tranchante comme une lame. Je vais te briser… pour mieux te façonner à mon image.

Un silence s’installe, lourd, presque palpable. Elle sourit, un sourire qui pourrait être celui d’une reine avant la chute.

— Façonner, hein ? C’est ça ton excuse pour tout contrôler ? Pour m’enfermer dans ta prison invisible ?

Je détourne les yeux, pour une fraction de seconde. Puis je la regarde à nouveau, cette fois avec une intensité différente, presque obsédante.

— Peut-être que je ne veux plus seulement te contrôler. Peut-être que je veux autre chose… quelque chose que je refuse d’admettre.

Mes mots restent suspendus dans l’air, et même si elle ne dit rien, je sais qu’elle les entend. Quelque part, au fond, je sens que j’ai ouvert une porte que je ne pourrai plus refermer.

Je me redresse, recule de quelques pas, mais cette distance ne calme pas cette tempête intérieure qui gronde. Milena, dans son silence provocateur, devient un aimant. Et moi, malgré moi, je suis attiré.

Je lève la main, presque malgré moi, comme pour effleurer une mèche rebelle qui tombe sur son visage, mais je retiens le geste à la dernière seconde.

— Tu ne sais pas ce que tu fais, Milena. Pas encore. Mais tu vas le découvrir. Et moi aussi.

Je me détourne finalement, laissant derrière moi ce regard qui brûle encore dans mon dos.

Elle s’avance un peu plus, et dans un mouvement brusque, elle essaie de me repousser d’un coup de pied. Un coup rapide, précis, mais complètement inutile. Je l’avais vu venir. Dès que son pied s’élance dans ma direction, je la saisis en un éclair par la cheville, la contrôlant instantanément.

— Tu crois vraiment que ça va m’effrayer ? Ma voix est glaciale, tranchante, sans la moindre émotion. Tu n’as pas la moindre idée de ce que tu viens de provoquer.

Putain. Elle ose. Oser me toucher. Qui elle croit être ?

D’un mouvement sec, je la force à reculer, ses pieds ne touchant plus le sol. Elle se débat, agitée, mais je serre plus fort, mes yeux brûlant d’une intensité implacable. Elle est suspendue, vulnérable. Sa respiration s’accélère, mais elle n’a aucune chance de m’ébranler.

— Tu veux jouer avec ma patience, Milena ? Je la fixe, dur comme le béton. Grave erreur. Personne ne me teste et s’en tire indemne.

Elle gigote, tente de se libérer, mais je la ramène violemment vers moi, ses yeux accrochés aux miens. Je murmure, ma voix devient presque un venin doux et mortel. “Tu n’as aucune putain d’idée à quel point tu t’es mise en danger.”

Ses yeux flambent d’un défi désespéré. Mais elle est à ma merci. Je la tiens fermement, appréciant ce pouvoir que j’exerce sur elle, cette vulnérabilité qu’elle refuse de reconnaître.

— Alors écoute-moi bien, Milena, je souffle, mes lèvres frôlant son oreille comme une menace. Tu es en train de danser avec le feu. Et moi, je suis celui qui tient le briquet.

Elle reste suspendue entre mes bras, proie figée dans la toile. Elle veut jouer, mais elle ne mesure pas encore l’abîme dans lequel elle s’engage. Je la relâche enfin, la repoussant doucement, le regard tranchant comme une lame.

— Si tu veux vraiment tester mes limites, tu ferais mieux d’avoir plus d’armes que ça.

Je me détourne, la laissant là, figée, incapable de saisir la véritable profondeur de sa faiblesse. Mais je sais que ce jeu n’est pas terminé. Chaque défi qu’elle lance, chaque geste qu’elle ose, me pousse à vouloir creuser plus loin cette fracture entre nous. Et, contre toute logique, ça m’enivre.

Je me dirige vers la porte, la mâchoire crispée, les muscles tendus. Mes pensées s’emballent, piégées dans cette tempête intérieure qui me déstabilise.

Je déteste ça. Ce putain de déséquilibre. Je suis Aleksandr Petrov. Je suis le contrôle incarné. Tout. Tout sauf cette foutue sensation qu’elle éveille en moi.

Elle m’a défié. Sarcastique, insolente. C’est une insulte. Je refuse la moindre faiblesse. Elle n’a rien vu de moi. Rien compris. Pourtant, elle a osé me pousser à bout. Et j’ai laissé faire. Ça me bouffe.

Pourquoi est-ce que je la laisse me faire ça ? Pourquoi est-ce qu’au lieu de la briser, c’est elle qui me consume ?

Je ferme la porte derrière moi, l’air chargé d’une tension électrique. Un de mes hommes m’interpelle d’un signe discret, il a tout vu — ce moment où je faiblis, où cette putain de tension a failli m’échapper.

Je le fixe, sans ciller.

— Attache-la au lit. Immédiatement. Qu’elle comprenne bien une chose : jamais, au grand jamais, on ne me défie. Pas dans ma maison, pas sous mon toit. Pas elle. Pas maintenant.

Ma voix est glaciale, sans appel, chaque mot pèse comme une sentence. La menace est palpable, elle pèse déjà sur elle, même si elle ne s’en rend pas encore compte. Je ne veux pas qu’elle s’échappe, je veux qu’elle sente la cage qu’elle a sous-estimée.

Je prends mon téléphone, le serrant fermement dans mes mains. Mes doigts effleurent l’écran, je compose rapidement.

— Aleksandr, tu as réfléchi à notre conversation ? demande la voix familière à l’autre bout du fil.

Je n’ai pas de temps à perdre avec des courbettes ou des hésitations.

— J’ai trouvé une épouse.

Un silence pèse un instant.

— Qui est-ce ? insiste-t-il, intrigué.

Je souris intérieurement, froid, calculateur.

— Tu la rencontreras ce soir. Au club.

Je raccroche, l’air toujours aussi impassible. Le jeu ne fait que commencer. Elle doit comprendre qu’ici, c’est moi qui tire les ficelles. Que sa rébellion ne sera qu’une illusion passagère, vite brisée.

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