Chapitre 15

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Je choisis stratégiquement de me tenir à carreau des ennuis le lendemain en me contentant de suivre Nino à chaque cours et de retrouver Rose et les autres à la pause du midi. J'ai compris que les relations entre la bande d'amis, Eyden et même Shun reposaient sur un équilibre précaire. Sûrement dû à des cicatrices mal refermées dans la précipitation, c'est sans doute pour cela qu'ils semblent vouloir taire le passé d'un accord tacite.

Mais s'il y a bien une chose que je sais par expérience, c'est qu'il finit toujours par nous rattraper. On ne peut pas fuir qui l'on est éternellement alors j'ai la certitude que le temps m'apportera mes réponses et me révèlera la véritable nature des enjeux. J'ai juste à me laisser porter par la vie jusqu'à ce temps-là. 

Lorsqu'arrive seize heures qui sonne pour moi la fin de ma journée de cours, j'annonce à Nino mon intention de passer à la bibliothèque universitaire. Avec tout ça, je n'ai pas eu le temps de m'y rendre la veille pour aller chercher le livre dont nous a parlé notre professeur. Je suis soulagée lorsqu'il me propose de l'accompagner. J'avoue en être soulagée puisque je n'ai pas encore eu le temps de faire le tour de tout le grand bâtiment. 

Mes yeux s'écarquillent quand je vois la taille de la salle et tous les ouvrages qui la composent. J'ai envie de laisser mes doigts glisser le long des côtes, de sentir cette odeur familière de papier et de me composer une pile à lire. Mais je sais que ça durera des heures et Nino est avec moi alors je me contente de me tourner vers la documentaliste.

—  Bonjour. J'aimerais savoir si vous avec "L'art d'avoir toujours raison" de Schopenhauer.

—  Désolé. Le dernier exemplaire vient d'être emprunté. 

Elle désigne du menton une fille aux longues boucles emmêlées et aux lunettes rondes qui lui mangent le visage. Je retiens un soupir et entraine mon ami vers la sortie.

—  Désolée de t'avoir fait venir pour rien. 

—  C'est pas grave, tu ne pouvais pas prévoir. 

Nous continuons de discuter jusqu'à ce que l'on arrive devant la grille du lycée où nous nous séparons après nous être salués. Je commence à marcher seule vers mon arrêt de bus en pensant toujours à mon livre puis je m'arrête d'un coup. Au fait, je connais une librairie au bord de la plage !

Je sors mon téléphone de ma poche pour retrouver le numéro de Noah. Je tapote l'écran de mes doigts quelques instants avant de me lancer.

Salut ! C'est Hana, la fille que tu as ramenée de boîte l'autre jour. J'aurais besoin d'un livre pour les cours et je voudrais savoir si tu l'as. Merci d'avance.

La réponse me parvint dans la minute suivante.

Hana ! Ça me fait plaisir que tu me contactes, pour dire vrai je ne savais pas si tu le ferais. Tu as frappé à la bonne porte ! Accepterais-tu qu'on en profite pour aller boire un café ensemble ?

Je souris en repensant au visage de Noah. Il a déjà quasiment les traits d'un homme et un air chaleureux qui s'en dégage.

Bien sûr, avec plaisir ! Je quitte encore à seize heures demain, on pourra peut-être se retrouver après ?

Je ferme à dix-sept heures mais le temps que tu arrives et que tu découvres un peu ma boutique ce sera bon. Je note ce rendez-vous. À demain, douce Hana.

Je ne peux m'empêcher de rougir en lisant le surnom, et surtout, il a bien parlé de rendez-vous ? Ce n'est pas ce à quoi je m'attendais au départ mais je dois avouer que ça ne me dérange pas. Je range mon téléphone dans ma poche comme je vois le bus arriver. Ma conversation avec Noah me tourne dans la tête pendant tout le trajet du retour jusqu'à ce que je pousse la porte d'entrée. 

Je suis accueillie par une mélodie qui résonne dans toute la maison. Je balance mon sac dans l'entrée et laisse mes pas me guider jusqu'à la source de cette belle musique. C'est avec surprise que je trouve Eyden assis devant un piano en train de s'abandonner aux notes. 

Mon souffle se coupe devant ce spectacle. Les yeux fermés, un air profond que je ne lui ai jamais vu, il est transporté par la mélodie, il vit ce qu'il joue. Je reconnais les accords de Rivers flows in you de Yiruma et je m'étonne de le voir exécuter cette douce chanson aussi aisément. C'est frappant comme une évidence que le piano l'aide à se décharger de ses émotions. 

Les touches noires et blanches me fascinent encore plus que les mains agiles qui courent dessus. Plus je l'observe et plus j'ai la certitude que cet instrument achromatique peut créer quelque chose de chaud et sublime. J'ai toujours pensé que l'absence de couleur entrainait une absence de sentiments, un vide. Mais Eyden me donne la preuve juste à cet instant que la beauté peut survenir de n'importe où, de n'importe quoi. Parce que juste là, sous mes yeux, le noir et le blanc s'associent dans une perfection qui fait naitre une douce chaleur au fond de mon cœur. 

Et c'est là que je comprends qu'Eyden est comme moi. Tiraillé entre noir et blanc. Entre douleur et espoir. Entre passé et présent. Il se bat sans arrêt contre la noirceur qui l'attire malgré lui. Je réalise que j'ai eu la chance de le voir lorsque son envie de se libérer de toute cette pression prenait le dessus. 

Il est là le véritable Eyden, il est en train de montrer toute sa sensibilité en une chanson. C'est là, alors qu'il se laisse guider par les accords, que je vois pour la première fois le tiraillement en lui aussi clairement. La musique le met face à lui-même, elle lui permet de se retrouver et qui sait, peut-être est-ce un point d'ancrage qui lui prouve que l'espoir est encore possible. Que l'amour est encore possible. Mais la vie est une mélodie que personne ne peut jouer seul et à cet instant, j'ai envie de joindre mes mains aux siennes en une œuvre à quatre mains et de la composer avec lui.

Consciente de la pureté de cet instant, je laisse la musique emplir l'atmosphère de nos sentiments et relier nos cœurs dans l'harmonie du moment.

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