Chapitre 1.1 - LELYÂH - Le réveil

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Elle se sent remonter des limbes d’un sommeil sans fin, s'éveillant à demi. Une image fugace : celle d'un bras baigné d'une aura émeraude, tendu vers elle. Sa vision est floue, ne percevant que des amas de couleurs. Elle essaie de bouger mais est stoppée par une douleur sourde qui étreint son flanc droit, irradiant dans sa poitrine.

— Lelyâh, Lelyâh, maman t’appelle depuis cinq minutes. Il faut te lever ! lui intime une voix enfantine.

Sa vision revient peu à peu à la normale. Elle regarde autour d’elle. Personne !

— Qui est-ce ? s'enquiert-elle, anxieuse.

Aucune réponse. Le malaise grandit.

Où est-elle ? Et comment s’est-elle retrouvée sur ce chemin en bordure de forêt ? Elle se lève avec difficulté, dérapant sur les petits cailloux et la terre qui écorchent ses genoux. Son corps peine à supporter son poids, et la douleur s’intensifie dans sa poitrine. Pourquoi la fillette ne vient-elle pas l'aider ?

La jeune femme essaie d’avancer mais trébuche aussitôt, son visage heurte le sol. Quelques gouttes rougeâtres perlent à terre. Sa main vient tâter sa joue qui fourmille de petites décharges électriques. Du sang macule ses doigts mais la blessure ne semble pas importante. Péniblement, elle déchire un morceau de tunique pour éponger son visage. La douleur au flanc se fait plus vive. Elle soulève son vêtement en gémissant. Véritable supplice. Elle découvre une large ecchymose sur toute la longueur de ses côtes.

— Maman va te punir si tu ne te lèves pas ! reprend la voix de la petite fille.

Toujours aucun bruit de pas.

Soudain, une nouvelle vision : des cadavres d'hommes et de femmes allongés près d’un fleuve. Une odeur âcre agresse ses narines. Elle secoue la tête pour chasser cette hallucination oppressante.

Elle se redresse pour s’appuyer sur un arbre qui borde la route, pourvu d'un large creux en son centre. Ce simple geste l’épuise et provoque une suée le long de son dos. Avant de décider que faire, elle fouille dans ses souvenirs. Qui est-elle ? Lelyâh. Quel âge a-t-elle ? Vingt solemnum. Où vit-elle ? Elle ne sait pas. Elle frémit. Rien ne lui revient en mémoire hormis son nom et son âge.

Qu’est-ce qui a pu l’amener ici, au milieu de nulle part ? Pourquoi personne n’est-il venu la chercher ? La peur guette, prête à bondir. Elle essaie de se lever en prenant appui sur le tronc de l'arbre mais, chaque fois, elle dérape et retombe lourdement sur le sol. Chaque tentative accroît son désespoir. La peur fond sur son âme esseulée. Et le cercle vicieux se poursuit jusqu'à ce qu'elle se résigne, avachie contre l'arbre telle une poupée de chiffons.

Bouleversée, la jeune femme est incapable d’éveiller sa mémoire. Un trou noir a aspiré ses souvenirs, ne laissant que quelques réminiscences confuses. L'angoisse l'étreint avec violence, tel un reptile s'enroulant autour de sa proie avant de la dévorer.

Tremblante, la sans-mémoire commence à fouiller ses affaires en quête d'indices. Ses poches sont vides. Elle trouve, posés près d'elle, un arc et un carquois qui contient cinq flèches. Était-elle une chasseuse ? Une criminelle ? Était-elle en fuite ? L'étau manque la faire suffoquer.

Par instinct de survie, Lelyâh met ces questions de côté et poursuit avec la petite bourse qui pend à sa ceinture et dont elle sort deux petites pierres, du minerai à flammes. Une gourde vide est accrochée de l'autre côté de sa tunique. Elle constate qu'elle ne porte pas de bijoux, pas de bagages ni de parchemins. Elle n'est pas beaucoup plus avancée.

Lelyâh manque une respiration. Puis deux. Elle tombe sur le sol, les deux mains placées sur sa gorge.

Un frisson glacé la parcourt. Contre toute attente, le froid qui l'envahit lui donne le coup de fouet nécessaire pour se ressaisir. Elle pose les deux pierres dans la paume de sa main droite et les observe un court instant. La sans-mémoire sait intuitivement quoi faire. Pourquoi ce souvenir ? Frottant les deux pierres l'une contre l'autre, une dose d’Essence se propage alors dans son corps pour atteindre les étincelles du minerai à flammes. Cela attise aussitôt les brindilles qu'elle a ramassées au pied de l'arbre. Le feu dansant réchauffe son corps et son cœur. Le temps s'étire, comme ralenti.

Lelyâh ne peut toujours pas bouger sans voir le paysage tourner autour d'elle comme une toupie. La panique n’est pas loin de la submerger à nouveau lorsqu’elle entend un bruit régulier se rapprocher. Elle aperçoit au loin un point noir qui grossit. Petit à petit, la jeune femme reconnaît un plassidia, une bête grise de la hauteur d’un homme mais presque aussi large qu'une charrette, pourvu d’une tête rectangulaire aux oreilles tombantes et de grands yeux dociles. Elle distingue des roues entre les pattes de l'animal. Puis, par intermittence, une carriole menée par un homme. Ce dernier fredonne une ritournelle.

Lelyâh l'observe. C’est un homme d’âge mûr, vêtu d’une chemise de coton beige et d’un pantalon vert foncé. Ses cheveux noirs parsemés de mèches blanches sont attachés en queue de cheval. Quand il arrive à sa hauteur, elle le regarde plus attentivement. Ses yeux d’un noir profond sont surmontés de sourcils épais. Des rides sont visibles au milieu de son front et au coin de ses yeux.

— Tout va bien ? Qu'est-ce que tu fais ici toute seule ?

— Je... Je ne... sais pas, répond-elle la voix chevrotante.

— Comment ça, tu ne sais pas, réplique-t-il méfiant. Tu sais quand même bien pourquoi tu attends sur le bord de la route ? Où est-ce que tu vas comme ça ?

— Je ne sais pas, répète-t-elle. Je suis perdue... Je crois.

— Et tu viens d’où ?

— Je ne me rappelle de rien, finit-elle par avouer, la gorge serrée.

L’homme se trouve un peu désemparé face à la mine déconfite de la jeune femme. Il se passe la main sur la nuque et regarde vainement le chemin par lequel il est arrivé, puis finit par proposer :

— Je m’en vais au sud, mais je peux déjà te déposer dans le prochain village, si ça peut t’aider. » Lelyâh réfléchit quelques instants et acquiesce d'un sourire timide. Elle se redresse, mais chancelle à nouveau.

— Oulah, ça n’a pas l’air d’aller. Attends, je vais t’aider.

Aussitôt, il saute au bas de sa carriole et passe son épaule sous le bras de la jeune femme pour l’aider à monter à l’avant du véhicule. Une fois la sans-mémoire sommairement installée, l'homme lui tend une outre en peau de capra :

— Tiens, si tu as soif.

La jeune femme prend quelques gorgées puis ils se mettent en route. Le conducteur essaie d'engager la conversation, mais devant l'air chétif et triste de la jeune femme, il baisse rapidement les bras. Lelyâh est trop abasourdie et concentrée sur la douleur irradiant de ses côtes pour réussir à dialoguer.

Au bout d’un long moment, ils arrivent dans un petit village dont les bâtisses sont formées d'un entrelac végétal de troncs et de branchages surmontés de cheminées en pierre. Il s'arrête devant un bâtiment un peu plus imposant que ses voisins. Lelyâh descend maladroitement et reste figée à ras du véhicule.

— Voilà, nous sommes arrivés. Je te dépose devant le Régisseur du village. Bonne route !

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