Chapitre 2.1 - BASTUS - Renforcement des frontières

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La tête encore engourdie par le sommeil, il se hâte de se vêtir, Sekhma a décidé dans la nuit un conseil d’urgence, une heure après le lever du soleil. Et personne, pas même son fils cadet ne peut se permettre de faire attendre la Suprême Polémarque. Un membre de l'agéma -troupe d'élites au service d'un souverain ou d'un prince- rapprochée l’attend déjà à la porte de sa chambre. Son insigne agrafé au col de veste d’officier, il rejoint le garde qui l’accompagne à l’entrée de la salle du Cercle. Lorsqu'il ouvre la porte, la plupart des Conseillers sont installés et son frère, comme il se doit, a déjà pris place auprès de leur mère. Elle n’a pas besoin de prononcer la moindre phrase, un regard d’une froideur indescriptible se pose sur lui quelques instants avant qu’elle ne prenne la parole.

— Arrvida, comme vous le savez, nous avons envoyé quelques patrouilles à la frontière Nord pour surveiller les récentes activités du peuple Vulcae. Les derniers retours des renseignements nous informent que leurs agissements suspects ont augmenté, avec des déplacements inhabituels dans la région Sud de leur territoire. De nombreux indices montrent qu'il s'agit de guerriers. Pour prévenir toute tentative d'entrée sur nos terres, je détache, dès demain, cinq lochos supplémentaires. Elles seront réparties sur toute la frontière, entre Merinos et Estia. Simple mesure préventive. Je dois me rendre à l'Ouest pour superviser la mise en route de notre production d'acier. Kartos est donc Régent en mon absence. Bastus, c'est toi qui commanderas nos moraïs à la frontière. Une fois le déploiement effectué, tu resteras à Merinos pour gérer l'ensemble de notre détachement en attendant l'arrivée de Kartos.

En un discours aussi bref, la mère de Bastus a de nouveau trouvé le moyen de le rabaisser au rôle de second sous les ordres de son jumeau.

Tous deux doués pour les armes, Kartos se montre toujours intraitable, à la limite de la cruauté, ce qui en fait le parfait héritier aux yeux de leur mère. Bastus se rappelle, les années d'entrainement pour que son frère devienne Commandor, il se donnait alors un malin plaisir à mettre ses adversaires KO, même en cas de reddition. Plusieurs ont dû quitter définitivement l'armée suite à des sequelles invalidantes.

Bien qu'il n'ait pas la carrure massive de son frère, Bastus possède un corps athlétique. Il est cependant beaucoup trop svelte pour le regard exigeant de Sekhma. Sa stature longiligne lui vaut le surnom de "donzelle" de la part de sa mère. Elle aime appeler ainsi certaines femmes de hauts dignitaires. Un jour, il saura faire la différence ! Pour l'instant, il se sent faible et conforté dans le fait qu'il n'est pas à la hauteur de celle qui est à la fois sa Régente et sa mère.

Pas le temps de s'apitoyer davantage sur son sort, Sekhma reprend déjà :

— Vadem Bastus.

— Vadem Suprême Polémarque.

Sur cette prise de congé, Bastus sort, suivant déjà le fil de ses pensées. Il n'y croit pas : il n'y a jamais eu de guerres entre Linéage. Mais depuis que Sekhma est arrivée au pouvoir elle a veillé à fournir au plus grand nombre d'hommes une formation militaire des plus rigoureuses dès leur plus jeune âge. Tous les Enomotarques ont appris des stratégies mises en place par la nouvelle souveraine ainsi que tout ce qui est nécessaire à l'organisation d'un camp et au déplacement d'hommes.

Le discours officiel est la prévoyance. Cette tradition séculaire pourrait évoluer selon elle. Personne n'y croit bien sûr, mais tous obéissent, ils connaissent les conséquences de la désobéissance. Et puis, elle ne voudrait qu'il lui arrive ce qu'elle a fait subir au précédent gouvernement ; un putsch sanglant, une vraie boucherie. Le prince est donc préparé à ce qu'il doit faire. D'où peuvent provenir ces informations ? Il n'en a pas la moindre idée, mais il fera ce qu'on attend de lui. C'est donc détaché, qu'il part donner les ordres pour le départ. Bastus avance d'un pas pressé pour se rendre directement aux écuries afin de réveiller les palfreniers, ils auront beaucoup à faire pour que les montures soient prêtes. La liste de ce qu'il faut préparer est longue, il ne doit pas tarder. Cela l'empêchera de penser aux regards d'adoration que sa mère voue à son frère. Comment peuvent-ils être si différents alors qu'ils ont vu le jour avec si peu d'intervalle ? Cette question lui revient souvent depuis quelques temps.

Il se rend ensuite aux cuisines pour les provisions nécessaires au voyage. Une fois sur place, ils seront nourris par la population locale ; la Suprême Polémarque y a veillé.

Il passe en coup de vent par la chambre de Teïos, son bras droit et ami de longue date, pour qu'il s'occupe du réveil des soldats qui doivent préparer leur paquetage.

— Bon réveil mon vieux ! Pas le temps de te laisser émerger, nous devons être partis après déjeuner, au plus tard. Et tu connais ma mère lorsque l'on ne suit pas à la lettre ses demandes. Enfin, si on peut parler de demandes.

Teïos regarde le visage planté à quelques centimètres du sien : une machoire anguleuse, un nez droit, des yeux d'un bleu azur et des cheveux immaculés lâchés sur les épaules ornés d'une tresse à ras de l'oreille droite, comme le veut la tradition. Un bel homme à n'en pas douter, mais Teïos aurait préféré être réveillé par des formes plus généreuses. Pourquoi n'a-t-il pas envoyé une servante pour le sortir du lit et le faire venir au poste de commandement ? Il dégage les mèches blanches de son ami qui lui tombe sur la figure et lui intime :

— Ne parle pas trop fort, tu as beau être son fils, tu sais que ça peut te coûter cher. On doit être prêt à quoi d'ailleurs ?

— À partir pour la frontière avec cinq lochos pour soutenir les hommes présents sur place.

— Ça n'a pas de sens.. Pourquoi les Vulcae ferait venir des soldats ? Tu sais bien que ça n'existe pas, les guerres entre Linéages !

— Les espions ont repéré une augmentation de mouvements suspects en bordure de territoire. Il s'agit de soldats. Moi aussi, je n'y crois pas mais tu sais comme moi le prix de la désobéissance. On y va, on valide qu'il n'y a rien et on rentre à la capitale, point. J'ai encore une liste longue comme le bras, alors je te laisse gérer les hommes.

— J'imagine que dans ta liste tu as compté le petit tour par la chambre de Délya. À moins que tu ne préfères celle de Julaïne.

— Que diraient les dames de la cour si je ne leur offrais pas d'aurevoirs dignes de mon statut, et pourquoi choisir ? Cela ne m'empêchera pas d'être à l'heure.

— Je sais, tu ne voudrais pas avoir maman sur le dos, dit Teïos en rigolant.

— Allez dépêche-toi plutôt que de te moquer !

— Je fais au plus vite. Laisse-moi m'habiller tranquille ! Vadem.

— Vadem.

Après avoir échangé avec tous les corps de métiers, Bastus s'accorde une courte pause déjeuner avec sa garde rapprochée. La Suprême Polémarque a eu la largesse de lui laisser choisir son agéma, et il s'est tout naturellement tourné vers ses quatre amis de toujours. Ce ne sont pas les meilleurs soldats pris indépendamment mais leur honnêteté, leur confiance mutuelle et leur complémentarité en font un groupe de premier choix. Bastus est convaincu qu'ils peuvent rivaliser sans difficulté avec la garde de Kartos. Leur ego les empêche de travailler de concert, Bastus et son agéma évoluant comme un seul corps pourrait aisément trouver la faille adverse en créant la désunion. Il ne s'y est jamais risqué, son frère pourrait le lui faire payer et à ses amis aussi, ce qu'il ne souhaite en aucune façon.

Ils mettent à profit ce moment de partage pour se répartir les tâches à suivre afin de respecter les délais jusqu'au départ. Une fois le reste des préparatifs planifiés, il se dirige vers la chambre de Délya qui l'attend allongée lascivement sur son lit, un livre à la main. Elle se lève, sa chemise de nuit vaporeuse meut ses formes plantureuses à chacun de ses pas :

— J'ai entendu dire qu'un départ de lochos était imminent.

— Oui, je suis navré, mais je vais devoir m'absenter quelques dizaines de solaris. Je ne pouvais partir sans te dire au revoir, cela m'aurait fendu le cœur.

Tout en lui parlant, Bastus a négligemment laissé tomber sa veste pour la rejoindre prestamment dans son lit afin de savourer les délices de son corps.

Prétextant se rendre aux écuries, il part retrouver Julaïne qui lui ouvre sa porte la mine boudeuse.

— Tu arrives bien tard ce matin.

— Désolé petit oiseau, la Suprême Polémarque a décidé de mon départ cette nuit.

— Ton départ, comment ?!

— J'ai peu de temps avant de partir pour plusieurs dizaines de solaris. Mes hommes attendent encore les dernières directives, mais je ne pouvais quitter le château sans te dire au revoir, cela m'aurait fendu le cœur.

— Mais tu ne peux pas ...!

— Souhaites-tu passer nos derniers instants à comprendre les raisons de ma mère ou profitons-nous de ce moment avant qu'un de mes gardes ne me retrouve ?

Il a toujours eu cet effet d'attraction sur les femmes, une sorte d'envoûtement qui les hyptonise comme la lanterne avec les insectes au coeur de la nuit. Elle se précipite à son cou, l'attirant dans ses draps avec précipitation. Julaïne peut se montrer compliquée à amadouer mais, une fois dans la couche, ses mains expertes enflamment son corps comme peu de femmes savent le faire.

~ ~ ~

Le repas de ses hommes tout juste terminé, la tour de l'horloge résonne pour annoncer le début de l'après-midi. Derrière les portes de l'enceinte de la ville, les soldats se mettent au garde à vous à l'arrivée de leur chef, dans un alignement millimétré dont toute nation serait fière. Bastus est en tête, vêtu de son armure en laiton reflétant la lumière du jour. Il monte Egara, sa jument de combat caparaçonnée aux couleurs du royaume.

Il est de coutume que le Polémarque -chef des armées- viennent saluer les lochos afin d'augurer les présages de la victoire. Sa mère n'y fera pas exception, elle tient à son image plus qu'à ses propres enfants. À peine s'est elle postée devant lui pour le signe rituel de bonne fortune, qu'elle replace ses décorations et lui murmure à l'oreille :

—Certains de tes hommes montrent quelques signes de laisser-aller. Profite du trajet pour corriger au plus vite ces écarts avant que cela ne me nuise.

Puis elle ajoute à haute voix :

— Que l'aura de Faona et l'esprit de nos ancêtres veillent sur ta mission et sur tes hommes. Vadem Bastus.

Il a beau se dire habitué à ses remarques et même les mériter, puisqu'il est évident qu'il n'est pas à la hauteur, une part de lui s'emplit de colère à ses paroles. Il reste aussi droit que possible et salue à son tour sa Suprême Polémarque avant de lancer l'ordre de départ.

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