Chapitre 2.2 - BASTUS - Renforcement des frontières

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Bastus avance en première ligne. Lorsqu’il tourne la tête, il aperçoit un nuage de poussière grisâtre provoqué par le pas cadencé des hommes et des bêtes. Ses soldats sont excités par cette aventure. Ils ont soif de faits d’armes. Depuis leur entrée dans l’armée, au sortir de l'enfance, ils ont été bercé par les récits narrant le putsch de la Suprême Polémarque, et par la nécessité de défendre sa patrie contre de possibles rebelles pour honorer leur souveraine. La guerre entre Linéage a toujours été considérée comme une hérésie, elle n’a jamais eu lieu.

Et si le vent du changement soufflait en faveur des Animae ? Et si leur gloire irradiait sur le monde ?

C’est le subtil message que les énomotarques ont patiemment insufflé dans le cœur de leurs compatriotes. Ils n’ont pas peur de transgresser une loi tacite aussi vieille que le monde, ils sont galvanisés par l’idée de rendre gloire à leur Linéage.

Les regards hésitants de certains combattants cherchent du réconfort dans ceux de leurs camarades déterminés. Eux doivent se demander si tout cela est bien normal. Bastus, décontenancé, défendra son peuple contre n’importe quelle agression. Mais une guerre de Linéages ? Est-ce seulement possible ? Pourtant, il ne peut remettre en cause les rapports présentés par sa souveraine.

Le prince ne veut pas douter. Il se concentre sur la rythmique cadencée. Les cinq cents hommes qui l’accompagnent créent un concert de percussions, appel à la soumission face à la menace Vulcae. Bastus est fier de ses soldats. Ils avancent en rythme, un seul corps tourné vers le même objectif. Son regard est attiré sur la droite où progresse la vingtaine d’acynonyx, ces félins de presque deux toises de haut*. Leur pelage brun et doré s’est couvert d’une couche de poussière. Ils grondent par intermittence, véritable coups de tonnerre. Quelques rapaces tournoient dans le ciel, ils serviront d’oiseaux de liaison entre les camps et la capitale. Ses deux pygargues font partis de ses points mouvants dans l’azur. Ils lui transmettent leur plaisir du vol et l’attente de la chasse. Ils ont faim.

Un pauvre bougre chute et provoque l’arrêt d’un charroi. Bastus voit le supérieur du soldat s’approcher précipitamment, prendre le fouet destiné aux chevaux et asséner un coup puissant sur le dos de l’homme à terre. Le prince observe le regarde sévère du chef, les lèvres bougent mais le son ne peut lui parvenir. Puis un nouveau coup. Le malheureux s’était mis à quatre pattes. Il tombe de nouveau face contre terre. Les coups pleuvent jusqu’à ce que l'infortuné se tienne à nouveau sur ses deux jambes. Bastus crispe les poings sur ses rênes. Cette façon de faire est abjecte. Mais il lui est impossible d’intervenir sans compromettre l’autorité de sa souveraine. Elle trouverait le châtiment trop docile. Un individu mou ou lent mérite la mort. Bastus refuse à appliquer cette sentence cruelle, pourtant usitée par sa famille. C’est sa limite infranchissable, au grand désespoir de la Suprême Polémarque. L’homme repart, le dos voûté. Le charroi se met en branle. Ses lochos forment de nouveau un seul corps.

Vers la fin d'après-midi, les premiers signes de fatigue se font sentir. Comme il faut du temps pour monter le camp, il fait le choix de s'arrêter. Les équipes s'activent, coordonnant leurs tâches comme une horloge bien huilée. Le camp est en effervescence.

Au crépuscule, tout est parfaitement opérationnel et le repas commence à être servi. Malgré le souhait de tous d'être le premier à remplir son ventre gargouillant, chaque soldat se range calmement pour attendre son tour. Plusieurs longues files s'étirent entre les tables. La discipline mise en place au sein de l'armée de la contrée Cybeline confère au service du diner un air presque cérémonial ce qui dénote avec la brutalité dont ces hommes peuvent faire preuve à l'entraînement. Au menu : viande séchée marinée dans un potage de tubercules (des chervis à la couleur violette et au léger goût sucrée, des hellanthus d'un brun clair à la texture moelleuse mais peu savoureuses). Le tout est accompagné d'une miche de pain garnie de céréales. Un verre d'alcool d'hellanthus permet de détendre le moral des lochos. Au fil de la soirée, chaque table se remplit, les hommes s'attablent par affinité, entrechoquent les chopes et font fuser les blagues sallaces pour se détendre de cette journée de marche.

Bastus mange en compagnie de ses pentécontères et amis pour faire le point sur l'avancée de la journée et les étapes du trajet à venir.

— Tout se passe comme prévu. Si nous continuons comme ça, dans deux solaris, nous sommes arrivés, commence Teïos détendu.

Pozar, un des proches de Bastus, lui rappelle :

— N'oublie pas que nous n'avons parcouru que cinq lieues. Il en faut encore une bonne vingtaine pour arriver à Merinos.

— Tu sais aussi bien que moi comme les vallons nous ont empêchés de progresser vite. Après, la plaine de Valhia sera un jeu d'enfants comparée à aujourd'hui.

Pozar demande en se tournant vers son princea cangeant subitement de sujet :

— Je n'ai pas oublié. Bastus, as-tu le retour des éclaireurs pour la fin du trajet en forêt ?

— Oui, l'avant-poste a bien dégagé un chemin. Comme on s'y attendait, ça devrait nous faciliter la tâche. C'est un tel fourbi de feuillage là-bas qu'on y perdrait le charroi autrement.

Teïos lâche absolument pas convaincu de la menace Vulcae comme la majorité des soldats :

— Ahh, si tout le trajet pouvait se dérouler ainsi ! Et une fois là-bas, il sera facile de prouver à ta mère les erreurs de rapports et hop retour au bercail.

Pozar le prévient en servant une nouvelle coupe d'hellanthus à ses camarades.

— Ne sois pas si confiant.

— Que t'attends-tu à trouver à la frontière ? Des armées Vulcae prêtes à nous piétiner ? Il n'y a jamais eu de guerres entre Linéages et cela ne commencera certainement pas demain.

— Les spéculations ne servent à rien. Nous verrons sur place, conclut Bastus lassé de ses questions sans réponse.

— Tu as raison. En attendant, tu dois regretter la chaleur de Julaïne. Tu vas devoir te réchauffer tout seul ce soir, lance Teïos en mimant les gestes empruntés de la demoiselle.

— Tu as raison, mon ami. Alors buvons plus d'hellanthus et vivement Merinos ! J'ai hâte de découvrir le charme des beautés du nord.

Après le dîner, une fois les dernières corvées accomplies et les derniers ordres donnés pour la ronde de nuit, Bastus se rend sous sa tente pour un repos salutaire. La marche et l'alcool le font rapidement sombrer dans les bras de Sommus.

~ ~ ~

Il est depuis peu en poste à la frontière, lorsqu'un messager arrive le souffle court dans sa tente. L'armée de la Terre d'Urca est bien là, et plus préparée que jamais. Les Vulcae sont en train de déferler sur l'avant-poste de Merinos. Bastus a tout juste le temps de s'équiper et de transmettre les ordres pour contrer cette attaque avant que les ennemis n'arrivent aux portes du campement. Il n'a pas souvenir dans ses cours d'Histoire d'avoir entendu récit d'une invasion entre Linéages, mais les faits sont là : le peuple Vulcae a envahi son royaume.

Ses lochos sont surpris mais la discipline Animae a fait ses preuves. Malgré le côté inédit de la situation, chacun riposte avec bravoure aux coups de glaives de l'agresseur.

Le prince aperçoit un homme avec un heaume rutilant, la carrure imposante et de nombreuses décorations sur le poitrail de son armure. Leur chef. Ce dernier fonce sur Bastus qui pare avec adresse une attaque à la tête avec son bouclier. Il riposte d'un geste vif pour porter un coup d'épée dans la gorge de son adversaire. Son estoc  entaille mais ne s'enfonce pas, ce qui permet à son opposant de lui décocher un coup d'écu dans l'épaule. Seul ses réflexes et la prouesse de son destrier empêchent une chute qui aurait pu le rendre vulnérable.

Afin de lui permettre de se reprendre, l'un de ses pygargues fond sur l'agresseur, entaillant profondément une joue. Bastus se ressaisit et dirige son arme dans la jointure de l'armure adverse au niveau du coude. L'articulation est bloquée; aussitôt Bastus sort sa dague et la plonge dans la gorge du chef ennemi, provoquant une cascade rougeâtre sur les flancs du cheval. La victoire est sienne. Enfin elle sera fière !

Il entend la voix de Teïos, lointaine :

— Remue-toi avant que ta gamelle soit froide ! Ça fait cinq minutes que j'essaie de faire lever ton sérinissime séant ! C'est ça ou le seau d'eau en pleine face.

Bastus émerge, son sourire béat s'effaçant à mesure que la réalité prend corps autour de lui. Un rêve, ce n'était qu'un simple rêve. Il se coupe aussitôt de la moindre émotion. L'idée de sa mère chantant ses louanges était séduisante mais trop irréelle. Il aurait dû le comprendre. Il sort du lit et pendant qu'il s'habille toujours à moitié endormi, Téïos reprend :

— Allez, ce sourire, c'était une fille. Elle était comment ? Ca devait être une sacré nana en tout cas. On m'appelle, j'ai débuté la levée de camp. Ton petit-déjeuner est sur ton bureau.

Puis son ami sort en courant pour continuer de préparer cette nouvelle journée de marche intensive. Bastus gobe son repas plus qu'il ne le mange avant de repartir.

*Acynonyx : Gigantesques félins trop fiers pour accepter d'être montés, ils s'avèrent de redoutables assaillants une fois dressés.

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