Chapitre 3.1 LELYÂH - Voix intérieures

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Après le déjeuner, alors que Saëlle est partie se reposer, Lelyâh repense à son arc. Elle passe par sa chambre pour le récupérer ainsi que le carquois puis s’éloigne vers le fond du jardin qui comporte un bout de forêt. Elle respire calmement, bande son arme, vise et tire. Elle touche avec exactitude le point qu’elle avait repéré sur un arbre à trois ou quatre toises de là. La jeune femme ressent quelque chose de rassurant et de familier dans ce geste. Cela signifie qu'elle n'a pas oublié ses compétences. Son histoire, par contre, semble irrémédiablement partie dans le néant. Elle aperçoit une petite bête à une quarantaine de pieds et dont elle se rappelle le nom, un squirelle. De là, il n'est qu'une masse fauve mouvante mais elle sait que ses yeux vert clair sont aux aguets et ses longues moustaches noires en mouvement. Il ferait un repas idéal et cela lui permettrait de remercier ses hôtes.

— Grande soeur, ne le tue pas, il est si mignon ! crie la fillette, d'une voix triste et apeurée.

La jeune femme se retourne. Pas l’ombre d’une enfant ! Elle scrute pendant de longues minutes tout autour d’elle sans identifier âme qui vive. La voix n'étant pas revenue, Lelyâh pensait que l'hallucination était dûe à sa chute. Ce désagréable constat se mêle à l'éprouvante surprise d'entendre à nouveau l'enfant. La peur l’étreint. Comment expliquer cette voix ? Une boule noue sa gorge, sa respiration devient difficile. Qu’est-ce qui lui arrive ? Comment avoir des réponses quand le vide habite sa tête ? Devra-t-elle supporter chaque solaris ces invasions intempestives dans son esprit ?

C’est alors qu’elle repense aux chants de Saëlle. Elle se met à les fredonner. Cela l’apaise et, au bout de plusieurs longues minutes, Lelyâh retrouve assez de calme pour respirer normalement. Elle décide de tirer à nouveau pour enfin attraper sa proie. Cette dernière s’est bien évidemment volatilisée depuis longtemps. La jeune femme déçue, reste quelques instants les bras ballants. Des questions s'imiscent : Où a-t-elle appris à tirer ? Dans quel but ?

L'angoisse dépose son manteau lesté sur ses épaules. Ses jambes flageollent, elle a chaud. D'un geste rageur, la jeune amnésique jette son arme avant de venir la ramasser, désolée. Heureusement, l'arc n'est pas endommagé, c'est l'un des rares objets qui lui appartienne réellement, il aurait été rude de le voir briser par un élan émotif. Ne plus penser, cela devient sa priorité, un besoin vital. Elle reprend alors sa séance de tirs, pour faire le vide en elle. Lelyâh augmente petit à petit la distance. Au fil du temps, elle ne fait qu'un avec son arc, focalisant toute son attention sur la cible, sentant vibrer son arme sous ses doigts. Lorsque Lelyâh commence à perdre en précision à une bonne vingtaine de toises, Saëlle l’appelle pour les travaux de l’après-midi.

Malgré l'épuisement de la journée, son sommeil est agité, Lelyâh entend des cris de terreur venant des limbes de la nuit. Elle voit de nouveau le bord d’un fleuve et quelques personnes maladives étendues le long de la rive. Elle se réveille à l’aube couverte de sueur, grelottant sous cette humidité devenue froide qui colle à sa peau. Et bien qu'elle se soit couchée tôt la veille, le stress des cauchemars qui ont crispé tous ses muscles et hâché sa nuit, l'accable de fatigue.

La jeune femme arrive dans la cuisine qui jouxte la pièce de vie où les chants de Saëlle emplissent l’air et apaisent les nerfs à vif de la jeune femme. Son hôte la voyant trempée, lui indique une rivière non loin de là où elle pourra se laver. Après s'être habillée aussi vite que le lui permet son état, elle se rend au bord de l’eau et commence à se dévêtir lorsqu’elle entend la petite fille.

— Lelyâh, allons nous baigner dans la rivière, ça va nous rafraîchir ! J’ai trop chaud. Allez, viens vite !

Lelyâh a beau se convaincre que cette voix provient de son imagination, il lui est difficile de l’ignorer tant elle parait réelle. Elle secoue la tête et s’immerge d’un coup. Le temps s'égrène, alors que la jeune femme reste ainsi en apnée, les cheveux ondulant vers la surface. Elle se sent en sécurité, comme revenue dans le ventre de sa mère. L'eau l'enveloppe de sa bienveillance, nettoyant les pensées obscures qui noircissent son esprit. Purifiée, elle émerge, la jeune amnésique espère une renaissance. Pourtant les souvenirs sont toujours absents, mais du moins la voix est-elle partie.

Saëlle lui laisse ensuite gérer seule le poulailler. Lelyâh a de nouveau pu ramasser les œufs en coopération avec les poules, ce qui impressionne sa bienfaitrice. Il n'y a pas beaucoup d'Animae par ici. Les Linéages ne se mélangent pas, sauf parfois dans les grandes cités.

La journée est assez sereine, pourtant Lelyâh est vivement contrariée par son corps qui ne répond pas encore comme elle le souhaiterait. Il lui faut de nombreuses pauses pour récupérer son souffle. Son corps refuse de porter des charges soulevée pourtant avec facilité par Saëlle. Lelyâh va devoir se montrer patiente. Quelle frustration de se sentir ainsi dépendante, chétive et faible ! La bête lugubre rôde, prête à bondir. De rage, Lelyâh frappe dans un rondin de bois. Quand pourra-t-elle partir en quête de ses souvenirs ? La jeune amnésique ressent le besoin urgent de s'isoler. Elle part se réfugier dans sa chambre, prétextant être fatiguée.

La jeune femme se recroqueville sur son lit, les interrogations ne lui laissent aucun répit. Quand pourra-t-elle combler ce vide qui la ronge ? Comment trouver des pistes pour la mener vers sa famille ? Si tant est qu'elle en est une. Oui, cela ne peut être autrement, tout le monde a une famille. L'idée d'être seule au monde menace de provoquer un tsunami. Comment vivre sans attaches ? Comment trouver une raison d'avancer ? Ses hôtes sont bienveillants, mais combien de solaris faudra-t-il avant qu'ils ne la mettent à la porte ? Retourne à la rivière, laisse-toi couler. Ta peine prendra fin. Tu n'auras plus peur de te sentir seule. Elle entend sussurer le serpent sorti des sinistres et sombres méandres de son esprit tourmenté. C'est à ce moment-là que le barrage se fissure, laissant le flot s'écouler de ses yeux jusqu'à ses draps.

— Ne me laisse pas seule, entend elle la fillette murmurer dans un sanglot.

L'enfant est l'écho de sa douleur. Lelyâh gémit doucement, ses pleurs redoublant d'intensité sous la vague immense qui la noie de chagrin. Tu vois que j'ai raison. Plonge dans la rivière. Reste au fond, assène le reptile de sa voix doucereuse.

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