Chapitre 4.2 - LELYÂH - Domaine d'Olmo

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À peine levée, elle se dirige d’un pas décidé vers la volière avant le réveil de la demeure. La porte n’est pas fermée à clé, un soigneur est déjà au travail. Il sort son sifflet et un oiseau s'approche. Ce dernier se dirige directement vers Lelyâh, son vol silencieux fascine la jeune femme. À peine l’aigle s’est-il posé sur une branche juste à côté qu'elle tend délicatement une main vers lui. Elle forme une pensée simple et claire : son envie de faire connaissance. L'oiseau pousse un cri strident. Son regard se fait plus intense avant de poser une patte sur son bras. Elle n’ose pas bouger, ni même respirer… Ses serres commencent à s’enfoncer dans la peau délicate, Lelyâh grimace. Il allège aussitôt sa prise. La sans-mémoire se détend et remercie le rapace.

Le soigneur semble avoir deux billes à la place des yeux tellement il est surpris. Ne sachant quoi faire ensuite, Lelyâh reste là sans bouger. Avant qu'elle n’ait pu y répondre, elle voit le soigneur réapparaitre avec un gantelet. Il va pour faire partir l'oiseau.

— Non, dit-elle en mettant son bras entre elle et lui.

Il la regarde avec incompréhension.

— Il ne me fait pas mal.

Instinctivement, Lelyâh approche sa main libre de la tête de l'oiseau sans pour autant le toucher, puis elle descend doucement vers son ventre. Là, elle sent une chaleur intense envahir sa main. C'en est presque douloureux, mais la sensation s’en va au bout de quelques minutes.

La jeune femme voit alors l’oiseau diriger sa tête vers la sacoche du soigneur pour lui réclamer un morceau de viande. Passée la surprise, l'homme lui offre un morceau, suivi rapidement par plusieurs autres tellement l’animal est affamé. Il lui explique que cela fait plusieurs jours qu’il n’a pas vu l’oiseau manger avec autant d’appétit. L’animal part ensuite se percher dans un arbre et la jeune femme entend :

—Bravo, tu as réussi ! Moi, je sais bien que tu es la meilleure !

Une sueur froide coule le long de sa nuque. La petite fille est revenue. Le soigneur n'a aucune réaction, ce qui confirme à Lelyâh qu'elle seule l'a entendu. Qui est-elle ? Que lui veut cette voix ? Elle semble si réelle, si proche. Lelyâh sent qu'elle va perdre pied quand le fauconnier l'invite à regagner la demeure. Ils croisent Hékos surpris de la voir entrer de l’extérieur. Ce dernier semble inquiet :

— Où étais tu passée ? Je t'ai cherchée partout ?

— Dans la volière pour essayer à nouveau de soigner les oiseaux.

— Ton teint est si pâle, as-tu fait un malaise ?

— Non, je...

Hékos aperçoit sa manche ensanglantée :

— Mais que s'est-il passé ? Remonte ta manche et fais voir ton bras !

La jeune femme s'exécute. Avec tout ce qui s'est passé, elle en a oublié les serres qui ont lacéré sa peau.

— On dirait des griffures. Tu...

Il semble soudain avoir fait un lien et reprend :

— Aurais-tu, par hasard, réussi à approcher un des oiseaux ?

— Euh, oui.

Devant son expression, à la fois inquiète et curieuse, elle se sent dans l'obligation d'éclaricir rapidement ce qu'il vient de se passer :

— L'aigle est venu sur mon bras et il m'a blessé mais sans le vouloir ! Je n'avais pas mis de gantelet. Je crois qu'il a compris qu'il me faisait mal alors il a desserré sa prise. Puis j'ai passé ma main sur son ventre, une chaleur a envahi mes doigts quand j'ai touché l'oiseau. Ça a duré quelques instants avant que la douleur ne s'évapore. Après, il a mangé comme il ne l'a pas fait depuis plusieurs jours.

— J'étais sûr que tu réussirais !

Et Lelyâh voit la joie et la fierté envahir les traits d'Hékos. Il poursuit :

— Cet effort a peut-être trop sollicité ton corps. Je crois que ce transfert d'énergie t'a épuisée, tu n'aurais pas dû forcer autant. Je t'ai sûrement mis trop de pression. T'amener ainsi chez le Lord et te demander de soigner ses bêtes. Je...

Lelyâh cherche immédiatement à le rassurer. Elle ne se sent pas du tout fatiguée par le soin qu'elle vient à peine d'effectuer. Même si elle n'a aucune idée de ce qu'elle a fait exactement. Le devrait-elle ?

— Non pas du tout. Je me sens bien. J'ai juste eu du mal à dormir. Je voulais trouver la solution pour aider les oiseaux.

Cette phrase semble provoquer l'effet inverse puisqu'il reprend aussitôt :

— Je suis vraiment désolé. J'aurai dû m'apercevoir que c'était un poids lourd à porter. Je te promets de me montrer plus à ton écoute et s'il te plait, n'hésite pas à venir me parler si quelque chose te tracasse ou t'inquiète. Tu peux compter sur moi pour être présent et t'aider du mieux que je peux. Même si tu es entrée chez nous il y a peu, tu es comme la fille que nous n'avons jamais eu avec Saëlle. Je... Je suis navré.

Les mots semblent bloqués dans sa gorge. Lelyâh est touchée par ces paroles. Comme sa propre fille, ces mots sont presque un rêve pour elle qui n'a plus personne. Elle ne peut absolument pas lui dire qu'elle entend des voix. Il serait mort d'inquiétude. Lelyâh fait le choix de taire ce sujet, pour le moment tout du moins.

Toujours aussi peu à l'aise devant des manifestations d'affection, en particulier face à celui qui est toujours resté plutôt en retrait depuis qu'il lui a sauvé la vie, elle répond :

— Merci Hékos. J'aurai dû partager mes peurs avec toi. J'espère que tu ne m'en veux pas trop.

— Non, bien sûr que non ! C'est après moi que j'en ai ! Je suis extrêmement fier de toi. La famille Olmo en sera profondément soulagée. J'ai hâte de retrouver le Lord pour que nous allions voir ce miracle de nos yeux !

Lord Olmo arrive sur ces entrefaits et le soigneur lui explique ce qu’il s’est passé un instant auparavant. Il semble réfléchir à ces propos mais ne dit rien. Il les convie plutôt au petit-déjeuner qui se déroule dans un silence méditatif. Lelyâh essaie de ne plus penser à la voix de la petite fille, ce qui n'est pas aisé. À la fin du repas, le Lord fait part de sa conclusion : ils retourneront voir l’animal le lendemain matin afin de constater son état. À partir de là, ils verront si Lelyâh doit faire de même sur les deux autres animaux malades.

~ ~ ~

À peine le petit-déjeuner terminé le lendemain matin, ils partent au pas de course à la volière où ils retrouvent le soigneur affairé à nourrir le malade que Lelyâh a approché la veille. L'homme se dirige rapidement vers eux, un sourire radieux aux lèvres.

—C’est à n'y rien comprendre, il a retrouvé l’appétit et sa plaie a séché. Elle est toujours aussi importante mais elle a un aspect beaucoup moins inquiétant !

Il n’en faut pas plus pour que le maitre des lieux prépare un gantelet pour lui et pour Lelyâh. Elle accepte par politesse. Puis, il appelle les deux autres malades. Lelyâh commence à sentir sa poitrine se serrer. Avec difficulté, elle repousse cette sensation au plus profond d'elle-même et essaie de retrouver son état d’esprit de la veille pour approcher ces deux animaux avec la même disponibilité.

Immédiatement, elle a la même sensation au bout de ses doigts : une chaleur intense et douloureuse. Elle dure à nouveau quelques instants puis s’apaise. Les deux volatiles agressent alors pratiquement le pauvre soigneur pour réclamer de la nourriture. La jeune femme a l’impression que cela a encore fonctionné et elle sent ses épaules s'affaisser d'un coup, soulagée de ne pas avoir échoué. Il lui propose de faire le tour des occupants avant de partir pour une balade à cheval dans la forêt de la propriété.

Cette promenade permet à Lelyâh de se rendre compte de l'étendue du domaine et de la beauté des lieux. La forêt offre toutes les nuances de vert qu'il semble exister sur Agdistiae. Ils croisent quelques cervidés au pelage fauve, où se dessine une courbe vermeille du coin de l'oeil jusqu'à la queue de l'animal. Il est pourvu de quatre bois assez courts qui font penser à un arbre hivernal. Ils assistent également à un ballet de squirelles en pleine préparation de réserves en vue de l'hiver. Lord Olmo propose une pause déjeuner au bord d'un étang d'un bleu sombre dérivant vers le turquoise sur les bords, et surmonté d'une cascade entourée d'une végétation luxuriante. De grandes fougères s'épanouissent sur le pourtour, clairsemées de touffes pourpre et jaune vif. Un arbre s'avance au-dessus de l'eau pour déployer une cascade de feuilles où s'épanouissent de larges fleurs immaculées. Cette sortie est des plus ressourçantes.

Au retour, la sans-mémoire se dirige vers sa chambre pour étudier des ouvrages sur les espèces de rapaces lorsqu'elle tombe nez à nez avec la fille du Lord.

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