Chapitre 7.4 - LELYÂH - Diane

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Lelyâh est réveillée par des coups répétés à la porte. Son corps a des difficultés à émerger, il n'a pas son comptant pour se sentir alerte. Elle se rafraîchit dans une vasque d'eau tiède qui a été déposée dans sa chambre, puis se vêt à la hâte, avant de descendre prendre le petit-déjeuner avec Hékos et la famille Olmo.

— Tovim Lelyâh, as-tu bien dormi ? demande Lady Olmo.

— Tovim. Oui, merci.

Elle bâille à peine sa phrase terminée ; Diane pouffe discrètement alors que Lord Olmo poursuit :

— Tovim, il me semble avoir entendu des discussions jusque tard dans la nuit. Viens boire un guillermo, cela aidera ton corps à se réveiller.

Et il lui tend une tasse fumante. Lelyâh regarde leur fille et voit l'amusement dans ses yeux encore endormis. Son regard descend sur la nappe où deux tasses vides de guillermo trônent devant Diane. Elle prend place juste en face et la salue du regard. Le goût acidulé lui procure une sensation agréable en bouche et la tiédeur du liquide réconforte son corps ensommeillé. Elle avale quelques bouchées d'une grosse gâche garnie de fruits secs à la saveur sucrée et légèrement épicée.

Les aînés parlent des actualités politiques de la Contrée et d'au-delà. Elle entend cités des mouvements armés à la frontière entre la Terre d'Urca et la Contrée Cybeline. Cela ne représente rien pour la jeune fille, bien sûr, mais elle sent à leur ton inquiet que ce n'est pas habituel. Le petit-déjeuner terminé, Lord Olmo les invite à les suivre et tous se dirigent vers la volière. Le fauconnier est déjà présent et donne les dernières nouvelles du jour à la petite assemblée :

— Tovim mon Lord. Les oiseaux mangent toujours avec autant d'appétit et les malades montrent tous des signes encourageants faisant penser à une guérison prochaine. Le premier oiseau que Lelyâh a soigné a vu la taille de sa blessure diminuer fortement et les deux autres ont des plaies saines contrairement à la veille.

— Merci, peux-tu appeler les oiseaux pour nous, je te prie ?

Pendant tout ce temps, Lelyâh n'en revient toujours pas. Ne serait-ce pas le hasard qui ait voulu que leur guérison survienne au moment où je suis passée ? Dois-je me résoudre à accepter d'être une Animae perdue en pleines Terres d'Osany ?

Lorsque le Lord se tourne vers eux avec un aigle sur son bras, elle doit se rendre à l'évidence : il a le regard beaucoup plus alerte et sa blessure a bien meilleur aspect. Le sourire qui irradie sur le visage du Lord et ceux des femmes de sa famille réchauffe le coeur de Lelyâh. Si elle a pu être à l'origine de la joie qui se lit sur leurs traits, elle en est heureuse.

— Merci Lelyâh, lui dit Lord Olmo. Je commençais à désespérer de perdre tous nos protégés. Ç'aurait été un drame pour notre fille qui s'en occupe avec soin depuis sa plus tendre enfance.

Il a tout juste fini sa phrase que l'oiseau quitte son bras pour l'épaule de la jeune femme. Cette fois, elle sent comme si un canal de communication s'était ouvert entre eux de façon intuitive et elle lui enjoint de ne pas replier ses serres ; ce que s'empresse de faire l'animal. Elle se retrouve donc avec la sublime bête d'un noir d'ébène juchée sur son épaule sans la moindre protection. Les visages ahuris de la famille Olmo et d'Hékos lui font prendre conscience de l'incongruité de la situation. Le Lord s'alarme :

— Je vais le rappeler tout de suite, il doit te faire souffrir !

— Non, je ne sens rien, il fait attention de ne pas serrer sa prise.

— Comment est-ce possible ?

Et la Lady d'ajouter :

— Ils sont de nature plutôt sauvages, surtout avec les inconnus !

Le doute n'est plus permis, elle est bel et bien une Animae. La stupéfaction passée, Lord Olmo demande à Hékos un entretien privé. Ils quittent rapidement la volière suivis de Lady Olmo, laissant Diane et Lelyâh seules.

— C'est incroyable ! Tu crois que je pourrais essayer ?

— Je n'en ai pas la moindre idée. Je vais tenter de lui demander de venir se poser de la même façon sur ton épaule. Mais j'ai peur de rater, et qu'il te blesse à cause de moi.

— Ne t'inquiète pas ! Vu le nombre de fois qu'ils m'ont occasionné des blessures, c'est pas une de plus qui fera la différence. Et puis ce ne sera pas de ta faute puisque c'est moi qui le demande. S'il te plaît !

— Bon d'accord, je vais essayer.

L'espace de communication est toujours présent et sans trop savoir comment elle procède, Lelyâh transmet à l'animal son intention. Aussitôt l'oiseau s'envole et se dirige vers l'épaule de Diane. Lorsqu'il se pose, Lelyâh serre les dents, le visage crispé et la tête rentrée, par peur d'un échec. Elle attend avec appréhension le cri de douleur de sa camarade. À l'inverse, c'est un sourire resplendissant qui s'épanouit soudain sur le visage de son amie.

— C'est fantastique ! Il est si léger et si délicat ! Tu es merveilleuse Lelyâh !

Tout en parlant, elle s'est approchée doucement pour ne pas brusquer l'aigle, et a pris dans ses mains celles de Lelyâh.

— Oh merci, c'est un cadeau magnifique !

Elle voit une unique larme perler sur la joue de Diane. Elle sent alors une vague de chaleur se répandre en elle, amenant dans son sillon un sentiment de bien-être. Elle a réussi ! Elle se sent de nouveau accepté. Et comme c'est agréable de se sentir utile ! Lelyâh sourit à son tour en serrant légèrement les mains de l'adolescente.

— Bon, maintenant il faut organiser le voyage !

Les deux jeunes filles explosent de rire faisant résonner leur joie dans toute la volière.

Lorsqu'elles rentrent au manoir, Hékos demande à lui parler en privé. Lelyâh est sur la défensive. Elle se doute qu'il doit retourner chez lui pour s'occuper de ses plantes et retrouver Saëlle, mais elle a promis à Diane de tout faire pour rester jusqu'à la guérison complète des oiseaux. Ils entrent dans sa chambre et il lui offre un fauteuil face au sien, tapotant l'assise pour lui faire comprendre de s'assoir. Installés, il commence en lui prenant les mains :

— Écoute Lelyâh, je viens de parler à Lord Olmo, il m'a soumis une requête. Bien sûr, tu es libre de refuser. Je lui ai dit que je ne prendrais pas de décision sans en avoir parlé longuement avec toi !

De quoi peut-il bien vouloir me parler ? Il ne peut s'agir que de notre départ prochain. Est-ce si grave que ça ? Le ton sérieux et préoccupé d'Hékos la mettent en alerte. Son corps se raidit et ses mains deviennent moites. Elle commence à avoir froid.

— Voilà, il m'a demandé si tu pouvais rester au domaine pour t'occuper de ses animaux. Ils n'ont qu'une fille unique et ce sont ses compagnons. Il veut le meilleur pour sa fille. Et il a vu comment Diane est à l'aise avec toi. Il pense que cela ferait du bien à sa fille d'avoir une compagne de son âge avec qui échanger. Bien entendu, tu seras payée en tant que soigneuse. Si tu fais tes preuves, tu pourras intervenir auprès des autres animaux de la propriété.

— Je...

Lelyâh ne sait trop quoi penser. Cela fait beaucoup d'informations.

— Je sais, cela signifie quitter notre foyer alors que nous avons promis de te garder jusqu'à ce que tu aies retrouvé tes souvenirs. C'est pour ça, j'ai signifié au Lord que la décision te revenait.

— De combien de temps je dispose pour y réfléchir ?

— Autant que tu le jugeras nécessaire.

Lelyâh plonge son regard dans les yeux si bienveillants de celui qui la prise sous son aile comme un père. Elle y voit sa sincérité. Elle ajoute :

— Je crois que j'ai besoin d'être seule pour y réfléchir. Merci Hékos.

— Je t'en prie. Si tu as des questions, je suis là, n'hésites pas.

Et comme s'il avait deviné les tourments qui la rongent, il conclut :

— Tu n'es pas seule.

Sur ces mots, elle quitte la pièce pour rejoindre sa chambre. Les questions tournent et se bousculent pendant de longues heures. Elle ressent un besoin pressent de savoir qui elle est. En même temps, la sans-mémoire est terrorisée de découvrir la vérité. Si elle était une mauvaise personne ? Elle est incapable de dire pourquoi, mais cette pensée ne la pas quitter depuis son réveil sur le sentier. Elle retourne le problème dans tous les sens, alternant entre le besoin de savoir et l'angoisse de connaître ses origines. Au bout d'une lutte interminable, elle décide de mettre sous clé son passé au plus profond de son inconscient et de profiter des gens bienveillants qui l'ont accueillis comme un membre de leur communauté.

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