Chapitre 8.2 - BASTUS - Préparation de l'assaut

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Dès le lendemain, Kartos fait en sorte de surcharger son frère de travail, l'envoyant réquisitionner de nouvelles réserves de nourriture, auprès d'une population affamée et asservie. Bastus doit faire face à un mécontentement grandissant dont il ne se sent pas responsable. Kartos lui impose également un entraînement avec lui et les autres hauts gradés, l'empêchant d'avoir sa bulle d'oxygène pour se ménager un espace afin de souffler. L'armée composée de trente mille soldats dont cinq mille cavaliers, une centaine d'Acinonyx, ces féroces félins, et deux mille personnes pour gérer l'intendance, part de la capitale six solaris après l'arrivée de son jumeau à Merinos.

Dès les premières lueurs de l'aube, Bastus est réveillé par un messager. La missive est des plus brèves : réunion. Le prince reconnaît tout de suite l'écriture appuyée et sauvage de son jumeau. Il rêverait d'avoir le temps d'un guillermo et d'un coup d'eau fraîche sur le visage mais il ne veut manquer aucune information, et il sait que Kartos ne l'attendra pas. Il trouverait même prétexte à la réprimande si Bastus arrivait en retard. Ce dernier s'habille donc à la hâte et rejoint la tente de commandement à grandes enjambées. Kartos et Gherki sont présents, Bastus en déduit qu'ils n'ont pas prévenu Eklesia (la connaissant, elle serait déjà là). Bastus voit rouge mais il n'a d'autre choix que de ravaler sa colère.

— Bastus, d'où en est la collecte des vivres ?

— Mon général, nous venons de recevoir les dernières perquisitions hier. Le rangement doit être terminé d'ici demain.

— Gherki, envoie des messagers vers les autres campements pour relayer l'arrivée de l'armée et confirmer la préparation des hommes pour l'entrée en Terre d'Urca.

— Y a-t-il du nouveau sur le front Vulcae ? demande Bastus, espérant toujours dissiper ses doutes.

— Pas le temps pour ces considérations, nous devons être prêts dans quelques solaris et la liste des tâches est encore longue. Va surperviser l'agrandissement du camp, notamment les latrines. Nous ne devons pas risquer la moindre épidémie.

Évidemment que son frère lui dévoue cette corvée ingrate. Kartos poursuit :

— Demain, nous étudierons la route pour parvenir à Strombevio. J'ai envoyé trois équipes en repérage. Vadem.

Kartos congédie avec autant de tact qu'il ne convoque. Il n'y aura rien à ajouter pour cette matinée. Bastus passe par la tente d'Eklesia afin de répartir les tâches, son humeur déjà assombrie. Cette dernière insiste pour s'occuper de superviser l'aménagement du campement, le prince passe ainsi tout le solaris à organiser l'inventaire et le stockage des provisions récoltées auprès des habitants.

Les réunions stratégiques de planification de l'invasion du territoire Vulcae s'enchaînent et Bastus n'a plus le moindre moment pour se détendre auprès d'une femme ou regarder ses oiseaux chasser. Lorsqu'il est à deux doigts de perdre le contrôle et risque d'engendrer un incident diplomatique, une missive leur parvient pour les informer de l'arrivée prochaine de l'armée. D'ici le lendemain, un tiers des hommes fraîchement mobilisés arrivera à Merinos. Certes, il sera encore plus débordé, mais son frère le sera également et le laissera respirer. Il ne supporte plus de les voir, lui et son air suffisant à longueur de journée !

Chaque solaris qui passe, l'invasion l'inquiète un peu plus. Non pas qu'il ait peur du combat ou de perdre la vie, il a toujours eu en lui un côté désabusé et détaché qui l'a rendu imperméable à la peur de mourir. Mais s'attaquer à un ennemi qui ne semble pas en être un, ne lui procure aucun sentiment de légitimité dans la mission qui lui est confiée. Il est prêt à se battre pour ses idées et pour défendre les intérêts du royaume mais pas pour massacrer des populations innocentes.

Pourtant, quelques rapports récents venus de la capitale étayent les dires de Kartos et de la Suprême Polémarque. Les espions fidèles à Bastus n'ont de leur côté rien remarqué. Raison de son incertitude croissante dans le bien-fondé de leur mission punitive. Il doute de plus en plus.

— Mon commandant, laissez-moi enquêter auprès de votre frère, propose Eklesia.

— Tu connais mes doutes au sujet de cette attaque préventive, mais je ne te laisserai pas être la proie de mon frère !

— Vous savez qu'il a toujours eu un faible pour moi. Et mes rejets successifs n'ont fait qu'attiser son désir. Si je manoeuvre habilement, je lui arracherai ce qu'il sait. Nous y verrons alors plus clair.

— Je ne peux te laisser prendre le risque de partager sa couche. Tu connais la sauvagerie dont il fait preuve avec les femmes. Jamais je ne le laisserai te posséder ainsi !

— Je ferai tout pour éviter cette situation, mais nous avons besoin d'informations et c'est le moyen le plus rapide de les obtenir.

— Laisse-moi un peu de temps pour y réfléchir.

— Nous ne l'avons pas et vous le savez aussi bien que moi. Je suis entrainée à supporter douleurs et tortures. Une nuit au côté de votre frère ne sera pas pire que l'entraînement concocté par la Suprême Polémarque pour nous sélectionner. Faites-moi confiance !

Bastus voit dans ses yeux qu'elle ne vacillera pas. Il aura beau l'en dissuader, qu'elle finira par le faire sans son accord. D'autant qu'ils sont pris par le temps. S'il a une chance d'éviter cette tuerie, il doit la saisir ! Et si les Vulcae sont bien cachés derrière la frontière, alors il n'aura plus ces scrupules qui le rongent et l'empêchent de se vouer pleinement à son rôle de meneur d'hommes.

Mais rien que de penser à Eklesia partageant la couche de Kartos, il en a la nausée ! Bastus ne l'a jamais désirée car elle est pour lui comme une petite soeur, un second dévoué qui a toujours répondu présent. Il se doit de la protéger. Cette situation d'impuissance l'enrage !

Le soir venu, Eklesia s'assoit à côté de Kartos et engage la conversation.

— Mon général, je n'ai jamais vu un homme mettre aussi rapidement à terre ses attaquants. Évanouissement éclair de vos trois adervsaires ! Pourriez-vous m'apprendre la technique de clé que vous avez utilisée sur le dernier assaillant ? flatte Eklesia, en frôlant de ses doigts le bras de Kartos.

Le général la regarde une fraction de seconde surpris, puis un sourire carnassier s'étire subrepticement sur ses lèvres. Bastus bous.

— Il m'a fallu plusieurs solemnum pour parfaire cette attaque d'une efficacité redoutable.

— Je vous serai infininement reconnaissante de faire de moi votre apprentie, insiste-elle en laissant sa main se balader sur la cuisse de Kartos.

Ce dernier passe son bras autour de la jeune femme et l'attire contre son torse en un geste possessif, la main agrippée à son sein gauche.

Gherki surveille du coin de l'oeil Eklesia, des éclairs dans les yeux. Elle ne peut toutefois pas empêcher son supérieur de se laisser séduire. Bastus a du mal à voir sa seconde amadouer ce prédateur à la griffe acérée. Pourtant, il doit reconnaître son talent, elle pouffe avec finesse aux remarques bourrues de son frère et ne tressaille pas face aux gestes déplacés et indélicats que Kartos ne se gêne pas d'avoir à son encontre. Lorsque Kartos lui met la main aux fesses, elle ne sourcille pas. C'est Bastus qui est sur le point de perdre son sang froid. Il contient tant bien que mal son poing serré sous la table prêt à fendre l'air pour éclater la tête de son frère.

Lorqu'ils sortent de l'auberge où ils sont allés dîner, Eklesia est au bras de Kartos et ils s'en vont seuls vers la zone où sont frère a élu résidence. Bastus se ronge les sangs. Le temps semble s'étirer. Il avale plusieurs verres pour tenter de calmer ses nerfs, sans obtenir le moindre résultat.

Tard le soir, Bastus entend des pas approcher de sa tente. Eklesia entre avec discrétion. Il la regarde à la fois surpris, soulagé et inquiet. Mon frère a-t-il levé la main sur elle ? A-t-elle pu échapper à la couche de Kartos ? Dispose-t-elle de nouvelles informations ? Les Vulcae sont-ils massés derrière la frontière ? Autant de questions qui se bousculent et s'entrechoquent, laissant Bastus en proie à la confusion. C'est son second qui rompt le silence :

— Après de nombreux verres, j'ai réussi à le faire parler. Heureusement que je tiens bien l'alcool car votre frère a une sacrée descente !

— Alors ?! demande-t-il avec empressement.

— Il a fini par me confier que la Suprême Polémarque a une vision et que les missives que nous avons reçues répondent à cette ambition. Il ne s'est malheureusement pas résolu à m'en dire plus. Je suis désolée.

— Jusqu'où es-tu allée pour obtenir ses confidences ? demande-t-il, l'inquiétude perçant dans sa voix.

— Il m'a pressée de partager sa couche, mais j'ai prétexté une indisposition féminine pour éviter de me retrouver dans son lit ce soir. Cela n'a pas le moins du monde calmer ses ardeurs. Je lui ai alors proposé de boire un ou deux verres afin de se détendre et j'y ai discrètement glissé une poudre somnifère, une recette transmise par ma mère insomniaque. Je suppose qu'il reviendra à l'assaut sous peu avec beaucoup d'ardeur, ajoute-t-elle en faisant une moue écoeurée.

— Tu seras loin d'ici là, je te le promets.

— Merci de votre sollicitude mon commandant.

Se sentant plus léger - il était plus angoissé qu'il voulait bien se l'avouer, il récapitule :

— Donc, ma mère a une ambition mais il n'a pas voulu te confier laquelle. Il n'a ni infirmé ni confirmé la véracité des missives.

— C'est cela, mon commandant.

— Merci Eklesia. Va te coucher, l'assaut démarrera sous peu et tu auras besoin de toutes tes forces.

— Vadem mon commandant.

— Vadem Eklesia.

Le lendemain matin, Bastus part vérifier que tout est en ordre pour l'arrivée de l'imposant contingent. Le terrain est fin prêt pour les accueillir. Les réserves ont réussi à être rassemblées, malgré quelques révoltes vite matées par les soldats de Kartos. Il repasse en revue les informations dont ils disposent. Si Kartos était sûr de la présence Vulcae, il l'aurait sans aucun doute confié à Eklesia. Cela semble confirmer l'hypothèse qu'aucune menace n'existe de l'autre côté de la frontière. Tout à ses réflexions, il se rend à la tente de commandement pour faire son rapport à son général. C'est alors que Bastus entend des cors résonner dans la plaine. Les moraïs sont déjà en vue, d'ici une à deux heures elles seront aux portes du campement. Bastus se hâte de retrouver son général et ses seconds. En attendant les hommes, ils font un dernier point sur l'offensive qui aura lieu cinq solaris plus tard, le temps pour les hommes de se reposer et d'être en bonne condition physique pour se battre. Ils entreront simultanément sur le territoire Vulcae à partir de Merinos, de Berphï et d'Estia. L'idée est de déborder les Vulcae et de les diviser sur plusieurs fronts pour mieux les dominer. Bastus ne peut s'empêcher de questionner cette décision :

— Qu'en est-il de la voie diplomatique ?

— Elle a échoué, répond prestamment Kartos.

— Qu'ont-ils répondu ? Ne peut-on réessayer ?

— Me suis-je mal exprimé ?

Tous les regards se tournent vers Bastus, ceux de Gherki et de Kartos sont allumés d'une étincelle de haine. Si Bastus continue dans cette voie, il risque de se retrouver marginalisé, ce qui ne lui apportera rien. Il n'a d'autre choix que de faire profil bas :

— Non, mon général. Nous serons prêts dans cinq solaris.

— Je préfère ça, répond Kartos sans même lui accorder un regard.

Les cors résonnent à nouveau. Les moraïs sont arrivées au camp.

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