Chapitre 9 - LELYÂH - Les voix

5 minutes de lecture

Ce matin, Lelyâh est réveillée en sursaut par un cauchemar. Elle est en nage, ses habits mouillés par la transpiration, des gouttes ruisselant sur son corps et perlant sur ses draps. Cela lui arrive de plus en plus souvent. Elle entend alors l'homme lui dire d'une voix inquiète :

— Lelyâh, il faut partir. Le danger se rapproche. Je ne sais pas combien de temps nous avons avant l'invasion, mais le temps presse. Les informations qui nous parviennent d'au-delà des frontières sont inquiétantes. Mets ce que tu peux emporter dans ce sac puis nous partons !

Cette nouvelle voix s'était manifestée peu de temps après la petite fille et avait fini par prendre une place importante quelques dizaines de solaris plus tôt. Aussi parfois, il lui arrive d'entendre le timbre doux d'une femme qui vient la rassurer quand elle sombre trop profondément. Depuis cinq solemnum qu'elle vit dans la propriété de la famille Olmo, elle n'en a toujours parlé à personne. Seule Diane, son amie et confidente, est au courant.

Elle se souvient encore, comme si c'était hier, des mots d'Hékos lui demandant de devenir soigneuse dans le domaine. Elle avait été à la fois surprise, touchée et inquiète de cette proposition.

Surprise de la confiance placée en elle, sans connaître ses origines ni ses capacités réelles. Touchée de la considération offerte en si peu de temps.

Inquiète de quitter le refuge à peine trouver au sein d'un foyer aimant et bienveillant.

Inquiète aussi de ne pas être à la hauteur des attentes placées en elle.

Elle avait longuement hésité.

Ce qui avait fait pencher la balance, c'était la possibilité de ne plus être à la charge d'Hékos et de Saëlle, d'avoir son propre salaire pour construire sa vie et peut-être, un solaris, oser affronter la réalité de sa vie passée. Le lendemain matin, elle avait alors annoncé les larmes aux yeux sa décision. Bien sûr, elle serait toujours la bienvenue chez eux, mais ils ne seraient plus là à chaque instant pour l'envelopper de leur gentillesse, et lui offrir le cadre rassurant qui éloignait le monstre tapi en elle. La peur de ne plus entendre les mélodieuses mélopées de sa mère de coeur la raccrocher à la réalité, quand le serpent d'ébène devenait trop puissant. Mais à son âge, elle devait pouvoir être autonome et c'était le meilleur moyen d'y parvenir.

Elle s'était rapidement fait une place au sein du domaine. Son don avec les oiseaux et les autres animaux de la propriété ne lui avait jamais fait défaut. Elle avait gagné en confiance dans le soin qu'elle pouvait offrir à toutes ces bêtes. Le lien qu'elle avait créé avec eux avait remplacé les chants mélodieux de Saëlle pour la rassurer et la contenir lors de ses crises d'angoisse.

Peut-être s'agit-il de délires, elle ne sait plus ce qu'il en est aujourd'hui. Trop de monde peuple sa tête pour avoir les idées claires. Depuis une centaine de solaris, les voix ont commencé à se faire plus présentes, elles lui aspirent désromais toute son énergie.

La jeune femme pense alors à Diane. Elle, saura la rassurer. Lelyâh sort aussitôt du lit, se rince le corps en vitesse dans un grand bac placé dans un coin, puis s'habille pour rejoindre la chambre de son amie. Lorsqu'elle ouvre la porte, elle retrouve Diane déjà préparée, en train de lire un ouvrage sur les rapaces.

— Comment vas tu ?

— Pour tout te dire je n'ai pas très bien dormi. Je me suis réveillée en plein cauchemar ce matin.

— Ça t'arrive plus souvent ces derniers temps. Qu'est-ce qui te tracasse ? On dit que les cauchemars permettent de gérer des angoisses ou des peurs non traitées dans la journée.

— Je sais, tu me l'as déjà dit, mais je ne vois pas. Je vais bien, hormis ces voix qui se multiplient dans ma tête. Elles vont me rendre folle !

— Je t'ai déjà dit d'en parler à mon père, je suis sûre qu'il trouvera un moyen de t'aider.

— Je ne suis pas prête. Je...

— Je sais, ne t'inquiète pas, je ne dirai rien. Allez, viens voir ce livre déniché chez le marchand ambulant, les illustrations sont incroyablement détaillées !

Les deux amies passent un bon moment à regarder les images, profitant des rayons matinaux de l'astre diurne.

— Regarde Lelyâh, celui-là c'est mon préféré ! Celui avec la tête rouge et les yeux verts. Dis, tu le trouves comment ? surgit la voix de la fillette dans son esprit.

Il ne se passe plus une journée sans que la jeune femme n'entende sa voix. Elle a essayé de l'ignorer, puis de lui parler voire de la disputer pour la faire cesser, mais rien n'y a fait ! Elle revient toujours aussi insouciante et envahissante. Il lui arrive d'apprécier sa voix enjouée et haut perchée, mais le plus souvent, elle se sent envahie dans sa bulle d'intimité. Cette intrusion l'agace fortement. Diane sent la tension palpable chez son amie et lui propose :

— On va faire un tour à cheval ?

Une fois en selle, les deux compagnes chevauchent un temps en silence. Ce ne sont pas de grandes bavardes, elles apprécient donc passer du temps sans parler, profitant simplement du moment présent et de ce qui les entoure. Elles savent que cela ne durera plus longtemps, Diane étant de plus en plus souvent pressée par sa famille à prendre époux. Vingt-quatre solemnum commencent à être un âge avancé pour se marier. Diane a su repousser l'échéance grâce à son tempérement déterminé, mais ce ne sera pas le cas indéfiniment. Soudain, elle rompt le silence :

—Tu te souviens, quand on s'est rencontrées, je t'avais proposé de partir à la recherche de tes souvenirs. Finalement, le temps a passé et nous avons mis de côté cette quête d'aventures.

— Je crois que c'était plus raisonnable.

— Tu as sans doute raison. J'y pense encore parfois. Qu'est-ce que cela aurait été si j'avais osé demander à mes parents ? Tu ne rêves plus d'aventures ? Tu ne penses plus à tes souvenirs ?

— Parfois, mais je me sens bien ici, alors je mets ça de côté. Je pourrais avoir de mauvaises surprises aussi, peut-être que mon passé est douloureux ou sombre. C'est peut-être mieux de ne pas savoir...

— Je suis plus curieuse que toi alors. J'imagine souvent quelle pouvait être ta vie avant et trouver enfin ta mémoire quelque part en Contrée Cybeline.

— Ce ne serait pas plutôt pour échapper au mariage ?

— Mais non voyons !

Lelyâh la regarde de travers et Diane continue, le rouge aux joues :

— Bon d'accord, peut-être un peu. Voire... beaucoup. Mais tu sais aussi que j'ai toujours rêvé d'aventures et que j'en rêve encore !

— Oui, je sais.

— Allez, viens ! On fait la course pour le retour !

— Tu vas voir, mon cheval sera le premier ! lance Lelyâh.

Et les deux amies poussent leur monture au galop finissant les cheveux tout emmêlés devant le manoir. Elles sont arrivées en même temps. Diane a bien conscience que son amie l'a fait exprès. Si elle le veut, elle peut demander à son cheval bien plus que cela, mais elle ne se permettrait pas de le faire avec elle. Lelyâh a toujours été convaincue que cela revient à tricher. Pourtant, ce ne sont plus des adolescentes, elle est assez mature pour accepter cet avantage. Pour autant, Diane est touchée de l'attention de son amie. Son arrivée au domaine a changé sa vie. Elle, l'éternelle solitaire au visage triste, a pu retrouver le sourire grâce à Lelyâh. Avoir quelqu'un avec qui partager ses joies et ses peines, avec qui rire et chahuter. Elle n'avait jamais connu ça, mais elle s'était rendu compte en la rencontrant à quel point cela avait manqué dans sa vie. Pour ça, elle ne pourrait jamais assez la remercier.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 14 versions.

Vous aimez lire Valériane San Felice ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0