Chapitre 13.2 - LELYÂH - En fuite

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Le deuxième solaris, les deux amies poussent les montures à un trot soutenu, car la forêt se fait moins dense. La journée se passe sans encombre, dans le silence, toutes deux concentrées sur les lieues à parcourir pour s'éloigner du domaine familial. Lorsqu'elles s'arrêtent afin de préparer un abri pour dormir et trouver de quoi manger, les jeunes femmes sont fourbues de douleurs dans les jambes et le bas du dos à force de tenir la posture de monte. Ni l'une ni l'autre n'ont l'habitude de chevaucher autant. Les deux amies maintiennent le partage des tâches : Lelyâh à la chasse et la cueillette, Diane à la construction de l'abri et la préparation du feu.

Lorsque Lelyâh aperçoit un squirelle, elle sort doucement une flèche de son carquois, aussi silencieuse qu'un félin. Au moment où elle tire, sa flèche est déviée sous l'effet de la surprise. Elle vient d'entendre quelqu'un pleurer. La jeune femme focalise son attention sur le bruit afin localiser cette personne, lorsqu'elle entend :

— Grande soeur, ça fait longtemps que tu n'as pas joué avec moi, dit la fillette d'une voix boudeuse et triste. Pourquoi tu ne veux plus être avec moi ? demande-t-elle entre deux sanglots.

— Lelyâh, nous sommes très pris par nos missions auprès des autres Linéages, nous comptons sur toi pour prendre le relais auprès de Nezÿl durant nos absences, ajoute la voix de l'homme.

— Je veux que papa et maman rentrent à la maison !! finit par exploser Nezÿl (puisque tel semble être son nom) en larmes.

Elle renifle abondamment.

Lelyâh s'assoit dans le fourré où elle s'était cachée, se recroquevillant sur elle-même. A-t-elle laissé sa soeur livrée à elle-même ? Ses voix récurrentes sont-elles une punition pour ne pas avoir rempli son rôle auprès de cette enfant ? La fillette n'est-elle pas, au contraire, simplement le fruit de son imagination ? Est-elle atteinte d'un trouble mental ? Lelyâh se sent perdue et lasse d'être ainsi persécutée. Les voix ne sont certes pas malveillantes, mais leur présence empêche la jeune femme de se créer une bulle d'intimité ressourçante, et lorsque ces personnes sont touchées d'émotions négatives, cela l'affecte profondément.

— Lelyâh ! entend-elle hurler.

Elle ne connaît pas cette voix. Serait-ce encore un nouveau personnage qui vient hanter son esprit ? Puis elle réalise que ce n'est que Diane qui l'appelle, constatant du même coup que la luminosité a fortement baissé. Pourtant, la soigneuse a l'impression de n'avoir passé que quelques instants assise au sol. Il faut qu'elle reste attentive à ne pas se faire happer, cela pourrait les mettre en danger.

Lelyâh revient bredouille vers le camp où Diane a fini de fabriquer, grâce à son Essence, leur abri de racines et préparé le feu pour la nuit.

— Alors, tu nous a chassé quoi pour ce soir ? demande Diane, les yeux toujours rivés sur le foyer qu'elle finit d'installer.

— Je n'ai pas réussi à attraper de proie, répond Lelyâh la voix éteinte.

Diane relève la tête.

— Est-ce que ça va ? demande-t-elle inquiète en voyant le visage pâle de son amie.

— Les voix sont revenues. J'ai laissé filer la proie, désolé.

— Ce n'est rien, nous avons une bonne réserve de provisions et j'ai trouvé des baies juteuses en allant chercher de quoi allumer le feu. Allez viens, au dîner : pain, viande séchée et berberis.

— Merci Diane.

Lorsqu'elles se mettent au lit, sur une simple paillasse de feuilles et de mousses posée au sol, le serpent en profite pour attaquer. "Où crois-tu que cela va vous mener si tu n'es pas capable de faire ta part pour subvenir à vos besoins ? Combien de temps Diane devra-t-elle te traîner comme un boulet au bout de sa chaîne avant de s'épuiser ? Elle fait des sacrifices pour t'aider et tu la remercies ainsi ? Elle a une place qui l'attend, elle ! Toi, que deviendras-tu quand elle partira, lassée de se donner du mal pour deux ? Que feras tu alors, seule, face à toi-même ? Je te dirais bien de te remuer, mais je sais bien que tu n'en es pas capable ! Alors je vais profiter du spectacle. Voir quand cela se produira. M'amuser quand l'évidence te frappera de plein fouet, quand tu constateras que j'ai raison !"

La jeune femme n'arrive pas à fermer les yeux. Dès que ses paupières s'affaissent, elle voit une ombre tortueuse emplir son champ de vision, l'observant de son oeil couleur rubis. Elle a envie de pleurer mais se contient pour ne pas réveiller son amie. Elle se focalise sur la respiration de Diane, tranquille et régulière, et commence à chanter mentalement les mélodies de sa bienfaitrice. Cela l'apaise un peu mais la tristesse qui l'a envahie reste vive. Et si ce monstre qui la ronge avait raison ? Les doutes sont autant d'aiguilles plantées dans son âme, autant de dards venimeux.

Son ouïe est attirée par de légers bruissements lointains et réguliers. Une bête sauvage en approche ? L'esprit de la soigneuse est soudain alerte, ses sens aux aguets. Ils sont plusieurs. Elle tend machinalement son esprit en quête d'un des animaux en déplacement. Des chevaux ! Leurs poursuivants se rapprochent !

Lelyâh secoue vivement Diane qui peine à émerger d'un sommeil profond. Elle finit par sursauter, les yeux ahuris :

— Quoi ! Qu'est-ce qu'il y a ? Qu'est-ce qui se passe ? demande-t-elle anxieuse.

— Les hommes de ton père, ils ne sont plus très loin.

— Tu es sûre ? demande Diane la voix pâteuse.

— Oui, il y a quatre chevaux et deux chiens. Je n'arrive pas à savoir le nombre d'hommes.

— Je ne sais pas si je me ferais un jour à ce que tu puisses communiquer avec n'importe quel animal. Tu sais à quelle distance ils sont ?

— C'est difficile à dire de façon précise mais je dirais quelques centaines de toises, répond Lelyâh en commençant à ranger son paquetage. Ils ne progressent pas très vite car ils cherchent notre piste. Les chiens sont d'accord de ralentir les recherches, mais ils restent loyaux à leurs maîtres et les guideront jusqu'à nous, ajoute-t-elle.

— Profitons de ce cadeau et filons ! Je m'occupe de nos affaires. Prépare les chevaux et occupe-toi du feu, dit la fille du Lord en faisant disparaître leur abri dans la terre comme s'il n'avait jamais existé.

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