Chapitre 17.1 - LELYÂH - Douloureuse vérité

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Diane met rapidement sa stupeur de côté pour répondre à Zaphyne qui ondule d'impatience.

— Je suis une Chloridiae. Lelyâh doit être une Animae.

— Comment ça, doit être ? Elle l'est ou elle l'est pas. Je ne connais pas tout sur les différents Linéages mais je sais bien qu'on le sait dès sa naissance, ça !

Le regard de Lelyâh est un mélange de douleur provoquée par l'émotion de Zaphyne et de tristesse. Ce vide qui l'accompagne depuis son réveil vient la submerger de nouveau.

Qui est-elle ? Que lui est-il arrivé ?

Elle avait réussi à enfermer ces questions dans son inconscient, préférant l'incertitude à la vérité qui pourrait se révéler écrasante. Depuis quelques temps, cela la hante. Elle crispe les poings à s'en faire blanchir les phalanges. Sa lèvre inférieure tremble.

Diane, voyant la détresse de son amie, répond :

— Lelyâh a perdu ses souvenirs. C'est pour ça que nous voyageons. Nous allons en Contrée Cybeline pour trouver une piste. Elle a un don extraordinaire avec les animaux, alors elle vient forcément de là-bas !

— Ce serait tellement chouette de vous accompagner ! Je ne suis jamais allée chez les Animae ! Mais je dois rejoindre ma famille, ils doivent être morts d'inquiétude ! Quand serons-nous en Terre d'Urca ?

— Il nous faut encore dix solaris pour arriver à la frontière et je pense encore la moitié pour parvenir à Strombevio, explique Diane.

— C'est long ! soupire Zaphyne.

La boule noircit d'un seul coup, provoquant une nouvelle onde de douleur dans son sillage.

— En bonne compagnie, tu auras l'impression d'arriver en un rien de temps ! s'exclame Lelyâh forçant un côté enjoué qu'elle ne ressent aucunement.

La sans-mémoire est toujours empêtrée dans ce néant qui l'aspire et l'angoisse.

Qui est-elle ?

Le serpent lugubre est sur le point de la tourmenter. L'acynonyx se met à ronronner doucement.

— Merci Lahärva, murmure la soigneuse en souriant timidement. Tu as raison, je ne dois pas me tracasser avec ça.

Lelyâh entonne le chant préféré de Saëlle. Au fur et à mesure des paroles, elle sent la pression dans sa tête refluer.

— J'adore ! s'extasie la petite boule noire en virevoltant entre les oreilles de Lahärva.

— Veux-tu que je te l'apprenne ?

Cela lui évitera de laisser les sombres pensées prendre trop de place et maintiendra l'humeur joyeuse de la fillette.

— Oh oui ! C'est tellement joli ! C'est un chant Animae ?

— Non, répond Lelyâh en repensant au visage plein de douceur de Saëlle, c'est une Chloridiae qui me l'a appris.

Elles passent l'après-midi à entonner les airs mémorisés durant son séjour chez Hékos et Saëlle. La petite est aux anges tandis que Diane se laisse bercer par leurs voix. L'acynonyx ronronne par moment pour les accompagner pour un effet des plus cocasse.

En fin de journée, elles se répartissent les tâches à effectuer. Zaphyne accompagne Lelyâh ; elle ne semble pas se rendre compte qu'elle ne peut rien accomplir dans le monde réel. La petite fille fredonne toujours les airs de Saëlle, ce qui fait sourire la soigneuse. Ces derniers ont vraiment un effet particulier sur les âmes en peine. Quand elle pense à Saëlle, Lelyâh se demande si elle a bien fait de partir. N'avait-elle pas une situation confortable auprès de gens bienveillants ? Et si la réalité s'avérait trop dure à digérer ? Elle est terrifiée d'avoir honte de ses origines et de ne plus oser se présenter devant eux.

Puis elle pense à Diane qui a tout quitté pour l'aider. Bien sûr, cela arrange son amie, mais peut-être aurait-elle accepté le mariage s'il n'y avait pas eu ce malaise pesant affectant sa soeur de coeur ? Malgré ses peurs, elle n'a pas d'autre choix que de continuer. Et qui sait, peut-être une jolie découverte l'attend-elle au bout du périple ?

Une fois qu'elles se sont couchées, et tandis que Lahärva est partie chasser, Lelyâh sent de nouveau une pression dans sa tête. Un élancement pulse à intervalle régulier. Diane dort paisiblement, roulée en boule à ses côtés. Un nouveau danger imminent ? Entre deux élans éprouvants, Lelyâh focalise son attention pour localiser Lahärva, si un danger les guettait elle serait sur le qui-vive. Elle la sent de façon très diffuse, au loin, à traquer un cervidé. Aucune menace imminente. Alors pourquoi cette douleur qui s'accentue ? Elle attrape sa tête entre ses mains et observe la petite boule noire qui flotte dans le coin de la construction végétale fabriquée par Diane. Cette dernière semble très agitée. Zaphyne se contracte puis s'agrandit à un rythme de plus en plus rapide, modifiant au passage l'intensité de sa noirceur. Le nombre de poussées douloureuses augmente.

Zaphyne se met soudain à murmurer :

Papa, maman où êtes-vous ?

J'ai mal partout !

Pourquoi hurlez-vous ?

Où sont Kellhi et Annelou ?

J'ai peur, j'ai mal !

Quel froid glacial !

Lelyâh sent une onde violente éclater dans son crâne.

Comment apaiser Zaphyne ? Elle ne peut attraper la boule sombre pour lui faire un câlin. Comment la rassurer alors ? La pression devient intenable au moment où Zaphyne pousse un cri étouffé. Diane ouvre un oeil puis se rendort.

Lelyâh tremble, vacille. Les ténèbres sont proches.

Puis une voix mélodieuse. Son ancrage. La sans-mémoire se met à fredonner. D'abord avec hésitation. À mesure que la boule se tranquillise, le chant de Lelyâh gagne en intensité pour envelopper l'âme esseulée de la fillette.

Lelyâh peut enfin se rendormir, épuisée mais apaisée.

Au petit matin, Diane est en train de faire chauffer deux tasses de guillermo lorsque Lelyâh sort de la construction végétale. Zaphyne flotte toujours sous leur abri, comme endormie.

— Tu n'as pas très bonne mine ce matin, lance Diane en lui jetant un rapide coup d'oeil avant de sortir les tasses fumantes du feu.

— De violents maux de tête ont entrecoupé ma nuit. C'est en lien avec Zaphyne. On dirait que ses émotions déclenchent des vagues successives de souffrance. Tu... n'as rien senti ?

Diane hausse les épaules :

— Non, c'est bizarre. Si tu as raison, que se passera-t-il lorsqu'elle comprendra que son peuple a disparu d'Agdistiae ?

— Oh divine Florea, je ne préfère pas savoir ! Il va falloir trouver un moyen de se séparer d'elle avant que ma tête ne finisse en bouillie. Pauvre petite !

— Bon, chaque chose en son temps, tiens du guillermo. Peut-être que ça nous aidera à trouver une idée lumineuse.

— Dans quoi s'est-on fourrées ? En même temps, on ne pouvait pas la laisser seule. Tu as déjà entendu parler d'âme errante ?

— Je n'en ai pas souvenir. Près de Strombevio, il y a la plus grande bibliothèque du continent. Peut-être pourrons-nous y trouver des informations ? Cela nous fait un petit détour, mais on aura sûrement des réponses pour aider Zaphyne sans provoquer de catastrophe dans ta tête.

Lelyâh se perd en conjectures. Peuvent-ils vraiment aider Zaphyne ? Pourquoi être la seule ressentir ses vibrations ? Cela fait-il parti du don Animae ? La soigneuse arrive à la dédution suivante : comme elle peut ressentir les émotions des animaux, elle peut les ressentir aussi pour les âmes errantes. Cela explique par ailleurs comment Diane peut entendre sa voix sans percevoir ses états d'âme.L La sans-mémoire préfère garder ses hypothèses jusqu'à ce qu'elles soient parvenues à Strombevio.

— Tu crois que les hommes de mon père sont bien rentrés au domaine ? demande Diane à brûle pourpoint, le visage sombre, tournant un bâton dans son breuvage.

Lelyâh a bien noté la façon dont son amie a été secouée par la perte du bras de Kevos. Elle-même revoit encore parfois l'image du sang maculant abondamment le sol.

— Oui, c'est certain, affirme Lelyâh avec plus d'assurance qu'elle n'en ressent réellement.

Elle a tellement peur d'avoir provoqué la mort d'un homme. Au moins, si cette idée la terrifie à ce point, c'est qu'elle ne devait pas être si mauvaise dans son ancienne vie, non ?

La fille du Lord explose en sanglots :

— Tu crois que papa va renvoyer des gens à nos trousses ? Je ne veux pas provoquer un nouveau malheur ! Mais, je ne veux pas rentrer, je veux ma liberté, je veux t'aider à savoir qui tu es.

— Je n'en sais rien, répond Lelyâh en passant la main sur le dos de son amie. On va faire de notre mieux pour que personne n'aie plus à souffrir de notre décision. Merci d'être là, avec moi.

Diane relève la tête et la regarde avec un mélange de tristesse et de joie.

— Tu sais, ton arrivée chez mes parents a changé mon existence. J'ai toujours été seule. Je n'ai pris conscience du poids de ma solitude qu'avec notre rencontre. Je ne sais pas comment j'ai pu vivre ainsi. Je suis tellement heureuse de t'avoir dans ma vie !

Les deux amies s'enlacent.

— Merci à toi de m'avoir accueillie. Tu sais à quel point notre amitié éloigne mes tourments.

— Quand est-ce qu'on part ? demande la voix de Zaphyne pleine d'énergie, à peine sortie du sommeil, si tant est que l'on puisse parler de sommeil pour une masse sombre immatérielle.

Les deux femmes relèvent la tête. L'enthousiasme de la petite boule est communicatif. Elles rangent leurs affaires alors que Lahärva les rejoint.

— Lelyâh, je t'attends. C'est long ! Je n'aime pas être seule ! surgit soudain la voix de Nezÿl.

Lelyâh est déstabilisée, elle ne l'avait plus entendue depuis plusieurs solaris. Elle ne s'y fera jamais !

— Lelyâh, nous devons vite passer la forêt, j'ai peur que nous nous retrouvions pris en tenaille. Il faut se dépêcher, presse la voix de l'homme.

Annonce-t-il un danger en approche ? Doit-elle se fier à ces mots ? On dirait que ces voix la guident mais elle n'en est toujours pas certaine malgré le nombre de solemnum qu'elles la hantent. Elles semblent tout aussi bien se donner un malin plaisir à la tourmenter.

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