Chapitre 23 - BASTUS - Les adieux

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Lorsqu'ils retournent au repaire, Gherki a disparu. Des gouttes de sang recouvrent le sol en un chemin rouge amarante virant sur le brun. Bastus hésite puis se résigne. À quoi bon lui courir après ? Soit sa blessure aura raison d'elle soit elle aura probablement rejoint les troupes Animae avant qu'il n'ait pu la rattraper. Et ensuite ? Serait-il finalement capable de lui ôter la vie de sang froid ? Aussi sombre que soit l'âme de la guerrière, il ne veut plus tuer, tant que cela reste possible. Hormis sa famille ; eux doivent périr pour le bien des peuples d'Agdistiae.

— Je suis désolée, j'ai dû faire une erreur de dosage.

Le prince se tourne vers Diane dont les yeux restent obstinément rivés au sol chaque fois qu'elle prend la parole.

— Gherki ne se soumet pas facilement. Elle aurait combattu son corps quelle que soit la quantité de somnifère ingurgitée. L'avantage c'est que nous sommes plus libres de nos mouvements désormais, explique Bastus pour la rassurer.

Cela semble fonctionner puisqu'elle lève la tête quelques instants pour échange un regard plein de reconnaissance. Il se tourne ensuite vers la dépouille d'Héphiane, commençant à la soulever délicatement.

— Où est ton cheval ? demande Lelyâh.

— Il s'est enfui. Gherki et ses hommes m'ont retrouvé alors que je descendais ma bien-aimée de mon cheval. Elle lui a asséné un sacré coup de pieds pour le faire détaler.

Lelyâh le fixe, pensive puis annonce :

— Nous allons t'aider à l'enterrer et nous pouvons te déposer dans une ville sur notre chemin, si tu le souhaites.

— Merci.

Un silence s'étire alors que le visage de la soigneuse montre une activité intense. Au bout de quelques minutes, elle ajoute :

— Lahärva accepte de la porter à l'endroit de sa tombe. Toi, comment dire...

Lelyâh se gratte la tête.

— Bon, je reprends ses mots : "Toi, tu marcheras pour te punir de la façon dont tu m'as parlé et pour te mêler de ce qui ne te regarde pas". Voilà les mots de Lahärva.

Bastus serre les poings. Se faire dominer ainsi, par un animal ? Il enrage intérieurement mais accepte. Une fois le corps d'Héphiane placé sur le dos de l'acynonyx, la petite troupe se met en marche, Bastus ayant repéré un arbre magnifique en contrebas où faire reposer la forgeronne. Ils descendent sur la roche sombre jusqu'à la plaine qui s'étend au pied du volcan et marche jusqu'au majestueux Cykoï. Le félin creuse de ses immenses pattes le trou de la dernière demeure d'Héphiane alors qu'une larme perle sur la joue du prince. 

Diane tire sur la manche de son amie qui lui lance des regards agacés en retour. La fille du lord se met alors à lui mettre quelques coups de coude dans les côtes. Lelyâh, rendant les armes face à la timidité de Diane, se renseigne :

— Comment accompagnez-vous vos morts pour l'au-delà ?

Bastus essuie d'un geste vif ses yeux humides avant de répondre :

— Nous les enveloppons dans un linceul puis la famille récite un hommage. Je... J'ai essayé de trouver les mots mais je n'ai pas réussi.

Sa voix se brise. Voyant la détresse du prince, Diane se fait enfin violence :

— Je peux agrandir une feuille pour que nous l'enveloppions dedans. Et... je... je peux réciter notre prière.

On dirait que la jeune femme va exploser tant le rouge qui a envahi son visage est intense. Lelyâh lui passe une main sur la joue pour l'encourager.

La fille du lord attrape une feuille de Cykoï, la pose au sol et, transfusant de l'Essence, la fait croître. La feuille,  comme mue par une volonté propre, grossit et grandit à vue d'oeil, jusqu'à atteindre la taille permettant d'envelopper le corps de la forgeronne. Diane s'arrête alors faisant signe à Bastus d'approcher. Ce dernier attrape son aimée et la porte telle une princesse pour la poser avec infinie douceur sur le linceul végétal. Avec d'infinies précautions, ils enveloppent Héphiane. Lorsque son visage disparaît derrière le rideau vert, le prince est empli d'une montée d'émotions mêlant chagrin, élan d'amour et sensation de vide abyssal. Jamais plus il ne contemplera son visage. Lelyâh et Diane se placent au niveau des pieds tandis que lui, attrape la tête, puis d'un même mouvement, ils la font basculer en douceur dans la tombe. Bastus pose ses bras l'un sur l'autre attrapant chacun de ses coudes avec ses mains en signe de prière. Il revoit les funérailles de sa grand-mère, il était trop jeune pour en garder un souvenir précis mais les chants harmoniques des voix des femmes en échos au timbre grave du maître de cérémonie lui reviennent en mémoire. Il entend l'abbesse inviter les prêtresses à entonner les chants ancestraux qui guideront l'âme vers l'au-delà, puis le tambour venir ponctuer cette demande. Rien que d'y penser, un frisson le parcourt de la tête aux pieds, instant de grâce. C'est alors que Diane se met à réciter le psaume qui emplit l'air comme une sollicitation aux forces de la nature d'accompagner la forgeronne dans sa dernière demeure :

Ô divine Florea

Accueille cette âme

Au creux de tes bras

Rallume sa flamme

Pour passer l’au-delà.

Ô divine Florea

Offre lui pénitence

De sa vie ici-bas

Ôte lui la souffrance

Et guide ses pas.

Ô divine Florea

Vers la réincarnation

Accompagne-la

De ta bénédiction

Elle reviendra

Poursuivre son ascension.

Ô Florea,

Humble, elle se présente à toi.

Et tandis que les mots de Diane s'envolent vers la nuages, Bastus sent une boule grossir dans sa gorge menaçant de le faire imploser. Il ne peut toutefois se résoudre à flancher devant elles. C'est lorsque Diane a terminé qu'elle prend son amie par la main pour retourner vers la grotte, laissant Bastus seul face au chagrin qui le terrasse. Il se met alors à pleurer des torrents de larmes tandis que de ses mains nues, il fait glisser la terre dans la crevasse. Il ne peut retenir le hurlement qui franchit sa bouche. Lahärva rugit en écho à sa souffrance. Le prince est touché par ce simple geste. Malgré la douleur, il réalise la chance qu'il a d'avoir été ainsi accompagné avec respect et humanité. Tout ce que sa famille n'a jamais su lui montrer. Il devient souffrance, il n'est que douleur. La tombe refermée, il se recroqueville dessus, les larmes continuant de maculer le sol de longues heures durant.

C'est en sentant la brise matinale que Bastus réalise qu'il s'est endormi sur la tombe. Il ne se sent pas prêt à affronter les deux jeunes femmes et préfère ramasser des fleurs et des pierres pour orner la sépulture. À mesure qu'il pose les décorations, sa tristesse se mue peu à peu en colère. Une détermination émerge des cendres de sa peine : tuer sa mère et son frère. Il répète ces quelques mots comme une formule faisant barrière à sa souffrance, attisant la flamme de la haine , nouveau moteur à son existence. Une rage sourde qui l'enflamme en un brasier vengeur.

Si Lelyâh et Diane vont en territoire Animae, il les accompagnera. Sa mère a dû rester à la capitale pour maintenir le contrôle sur son jeune empire en laissant à Kartos le soin d'orchestrer l'invasion Chloridiae laissant une armée réduite en Terre Cybeline. Ces pensées évitent au prince de sombrer dans une folie délétère. Soutenu par cette énergie nouvelle, il retourne à la grotte où Lelyâh lui offre une tisane alors qu'une vive inquiétude se peint sur son visage :

— Est-ce que ça va ?

— Oui, assène-t-il d'une voix forte et tranchante comme de l'acier.

— Tu en es sûr ? insiste la soigneuse.

Le regard noir qu'il pose sur elle fait reculer Lelyâh.

— Je dois tuer ma mère. Ensuite, je tuerai mon frère et j'empêcherai l'invasion Chloridiae.

— Je t'accompagne ! lance aussitôt Diane avec assurance.

— Diane ! Tu n'y penses pas ! La réputation de la Régente n'est plus à démontrer ! Que...

La fille du lord se tourne vers Lelyâh et plonge son regard dans le sien, une détermination sans failles irradiant de tout son corps :

— Elle n'a pas le droit de s'en prendre à mon Linéage. Si je rentre maintenant comme mon coeur m'intime de le faire, je ne servirai à rien. Mais en allant en Contrée Cybeline, je pourrais au moins tenter d'éviter les massacres.

Bastus voit la soigneuse les regarder alternativement.

— Raaah, tu as déjà décidé pour moi de mon départ et tu as bien fait. Je n'aurai jamais oser me confronter à la réalité qui m'attend. Merci d'avoir le courage pour nous deux, je vous suis !

Le pacte est scellé par le rugissement de Lahärva.

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