Chapitre 25 - BASTUS - Animis

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Le prince prend tout naturellement la parole :

— Dans mes jeunes années, pour fuir l'atmosphère du palais, je prenais un conduit d'évacuation des eaux usées pour passer inaperçu. Cela nous permettra de rentrer facilement dans le palais. Ensuite, c'est là que ça se complique, ma mère est parano, son agéma est nombreuse et patrouille en permanence dans le palais.

Diane frotte doucement le bout de son nez, puis elle prend la parole, ayant laissé sa timidité derrière elle :

— L'agéma est nombreuse. Mmmh, la Suprême Polémarque ne doit donc pas connaître tout le monde ?

— Elle retient bien les visages mais, même elle, ne peut mémoriser une centaine de personnes couvertes de heaumes.

— Lorsque nous sortirons du conduit, peut-on accéder discrètement à la salle d'intendance des affaires militaires ? questionne la fille du lord.

Bastus réfléchit :

— C'est faisable. Le bâtiment se situe à l'arrière du palais tout comme l'arrivée du conduit. Il faut parcourir quelques toises à découvert avant de pouvoir parvenir à l'arrière de l'intendance. Il y a une porte de service, je l'utilisai parfois pour sortir après l'entraînement, et là nous arrivons directement à l'armurerie. Effectivement, habillés ainsi, nous pourrons facilement entrés à l'intérieur.

— Parfait. Peux-tu nous dire les moments où nous avons le plus de chance de la trouver seule ? interroge Lelyâh.

— Mmmh, aux premiers rayons du soleil, elle s'entraîne... Mais, oui, elle s'entraîne dans la salle attenante à l'intendance ! C'est un rituel qu'elle ne manquerait pour rien au monde, un esprit sain dans un corps sain, comme elle aime à me le marteler. Et elle s'est résolue à s'y rendre seule, pire qu'un acynonyx au réveil ! Ses partenaires d'armes ont vite abandonné.

— Demain matin ! assène Diane en se rongeant les ongles. Après, il faudra encore régler le sort de ton frère, alors ne perdons pas de temps !

Une fois les détails peaufinés, le petit groupe se dirige vers la capitale. Les deux jeunes femmes ont les yeux en ébullition face à la vaste enceinte de pierres rouge percée d'une porte de bois sombre devant laquelle une grille imposante est fichée dans le sol. Un passage latéral permet un accès aux piétons. Bastus se dirige au poste de gardes et contre quelques pièces laissent les chevaux en charge pour pénétrer dans la cité à pieds.

Le prince a la déstabilisante impression de ne pas être venu ici depuis une éternité ! Il se sent étranger à ces lieux pourtant familiers. L'entrée d'Animis est formé de rues quadrillées aux maisons de pierres et de colombage ordonnées avec une exigence militaire. Ces travaux d'aménagement ont été entrepris par sa mère dès son accession au trône et dénotent avec le fouillis de ruelles et de passages du coeur de la cité. Il ne s'est jamais senti très à son aise dans ces quartiers modernes, préférant se perdre dans les méandres de celui plus animé du coeur de ville. Les deux jeunes femmes regardent tout autour d'elles émerveillées. Elles s'attardent sur les nombreux pigeonniers et autre tours accueillant de nombreux oiseaux d'espèces variées. Leurs yeux s'agrandissent en voyant des animaux sortir par des trappes situées le plus souvent près de l'entrée des habitations. Cela lui paraît des plus naturel, mais après avoir vécu plusieurs solemnum en Terre d'Urca, il perçoit bien l'étrangeté que peut revêtir cette omniprésence animale en zone urbaine. Arrivés près d'une volière de ville, de la taille de quatre ou cinq maisons, Diane s'arrête les yeux pétillants d'envie.

— Regarde Lelyâh !

Puis se tournant vers Bastus avec le regard d'une enfant devant une friandise :

— Je suppose que les oiseaux entrent et sortent des maisons, passant librement de la volière aux habitations ?

— C'est bien ça, c'est à ça que servent les nervures que tu vois tout autour.

— C'est extraordinaire ! s'extasie-t-elle.

Lelyâh de son côté est bouche bée tandis que Diane semble prête à sautiller sur place.

— Si nous voulons une certaine discrétion, soyez moins enthousiastes, s'il-vous-plaît, chuchote le prince.

Il est obligé de les pousser pour les faire repartir tandis que leurs visages se transforment en un masque de déception avant de se reprendre quelques instants après. Ils déambulent longtemps, évoluant de l'organisation spartiate du tour de la ville aux entremêlement de ruelles du centre-bourg pour repartir à l'est vers des quartiers de nouveaux ordonnancés. La route monte, de plus en plus raide, vers une colline d'où le palais surplombe la cité. Ils débouchent sur la place royale pavée de pierres éclatantes sous les rayons du soleil contrastant avec la pierre anthracite des murs. De nombreux oriflammes flottent aux couleurs cybelines sur l'allée qui mène à l'intérieur du domaine. De chaque côté et dans le fond, des bâtiments et des tours s'alternent dans un fouilli organisé aux styles architecturaux des plus variés. La demeure de la Suprême Polémarque est un patchwork d'ajouts successifs de chaque dirigeant en hommage à la grandeur des hommes et des animaux du pays. Les trois jeunes gens contournent la place pour se diriger vers une artère secondaire à l'arrière du château. De là, ils s'enfoncent un peu plus pour arriver devant une devanture de briques noires comme la suie dotée d'une porte de la même teinte. Bastus toque et un regard apparaît dans une étroite ouverture qui s'est opérée en faisant coulisser un petit panneau de bois.

— Le couvert et deux chambres pour trois voyageurs, je vous prie, annonce Bastus.

Le guichet se referme un long moment, laissant les deux femmes de plus en plus sceptiques. Puis la porte s'ouvre et un homme au visage buriné leur fait signe d'entrée. Ils procèdent le long d'un petit couloir qui débouche sur une large pièce sans fenêtres où flottent, pour le jeune prince, un air de nostalgie. Sur chaque table, plusieurs bougies et aux murs des lampes galvaniques créent une atmosphère feutrée. Quelques tentures ocres ornent les murs afin de réchauffer la pièce au plafond recouvert de peintures vives d'animaux en tout genre. C'est ici qu'il se retrouvait avec ses amis, faisant le mur et multipliant les conquêtes d'un soir.

L'homme leur indique une table ronde dans un coin de la salle où ils prennent rapidement place.

— Vous prendrez ? demande le serveur, le visage toujours impassible.

Diane et Lelyâh se regardent puis se tournent vers Bastus.

— Trois coupes d'hellanthus à la pouilleuse.

Le silence plane jusqu'à ce que le serveur revienne avec les trois chopes en verre épais incrustés de bulles d'air et un grand plat. Bastus tend alors son bras pour le passer autour de celui de Diane qui recule légèrement.

— Ce n'est pas comme ça que vous partagez un verre ? demande le prince étonné.

— Euh, non. Montre-moi comment vous faites, propose-t-elle pour s'excuser d'avoir coupé cet élan de convivialité.

Bastus passe le bras autour du sien et ainsi entremêlés, chacun boit une gorgée avant de passer au suivant. Ils font ainsi de même chacun leur tour avec Lelyâh, incrédule. L'arrivée sur sa terre natale n'a ravivé aucun souvenir.

Puis au moment où le prince s'apprête à manger, il relève le menton pour observer les deux femmes qui semblent chercher quelque chose sur la table. Après un instant d'hésitation, il leur explique :

— Nous mangeons directement dans les plats, comme ça, et se faisant il plonge sa main dans la nourriture pour saisir un morceau de viande qu'il enfourne aussitôt dans sa bouche. Il n'y a qu'au palais que nous devons user de couverts, une vraie plaie !

Lelyâh suit rapidement le jeune homme alors que Diane essaie de cacher de son mieux son malaise. Ses joues légèrement rosies ne sont pas pour me déplaire. Elles réhaussent son charme ! Mais comment puis-je penser à une pareille chose maintenant ! Puis le prince se rappelle que, malgré l'amour inconditionnel qu'il ressentait pour la forgeronne, cela ne l'avait jamais empêché de regarder une belle créature. Il n'avait pas envie de partager sa couche pour autant. Cela le rassure quelque peu, il redoutait sa maide trahir la mémoire de son aimée.

Soudain, il lève la tête, plongeant son regard dans celui de Lelyâh.

— Qu'est-ce qui vous arrive ? demande Diane.

— Lahärva est arrivée, lâche-t-il en coeur avec le sourire.

— Je lui ai expliqué où elle pouvait nous attendre demain matin, complète Bastus.

Il voit Diane tendre une main fébrile vers le mijoté de viandes posés sur un lit de qemakh, une céréalé dorée et pilée. Elle hésite. Ses deux compagnons pouffent. La fille du lord vexée, plonge alors sa main dans le plat et place avec empressement la nourriture dans sa bouche qu'elle se met aussitôt à mâcher.

— Mmmh, c'est délicieux ! s'exclame-t-elle surprise en reprenant une autre bouchée. Et cette alcool légèrement anisée, j'adore !

Après le dîner, l'homme qui les a accueillis les mène d'abord à la chambre des deux jeunes femmes qui saluent Bastus d'un bref hochement du chef, puis à celle du prince. Aussitôt la porte fermée, ce dernier s'allonge sur son lit les jambes croisées, les mains derrière la tête. Ses pensées reviennent d'abord au manque cruel d'Héphiane. Puis il se projette et se sent saisi d'un doute : sera-t-il capable de tuer sa mère ? Non pas qu'il est de scrupules à l'occire mais c'est une combattante aguerrie entrainée à l'art de tuer. Il passe un long moment à osciller entre sa résolution de mettre fin à ces horreurs, la peur d'un imprévu et l'inquiétude d'être plus faible que celle qui lui a donné la vie. Il finit par s'endormir alors que la lune a déjà tracé un bel arc dans le ciel étoilé.

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