Chapitre 14.2 - BASTUS - Étincelle

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Le lendemain, avant de partir, Bastus repasse à la forge, du matériel impeccable est l'une des règles d'or des Animae. Il a passé ses hommes en revue et rassemblé les armes à réparer. Il termine par Teïos :

— Qu'est-ce qui t'arrive ? On aurait pu s'en occuper à notre retour, dans trois solaris, demande son ami étonné.

— Nous partons en reconnaissance, nous n'avons pas besoin de toutes nos armes. Comme ça, nous serons prêts à notre retour pour mater cette rébellion.

— Ça sonne faux ton histoire ! Toi qui te négliges depuis longtemps maintenant ! Me dis pas que le vrai Bastus est de retour ? demande-t-il sans trop d'espoir.

Teïos a fait une croix il y a plusieurs solemnum déjà sur l'homme qu'il a connu. Quelque chose s'est brisé en Bastus. Pour lui, son ami est mort durant la guerre.

Avant que Bastus ne puisse rétorquer, il ajoute, comme pris d'une évidence :

— Ahhh, je vois ! Un prétexte pour séduire la jolie apprentie ! Méfie-toi de son dragon protecteur. Personnellement, je m'y aventurerais pas. Mais je suis heureux de te voir revenir parmi nous, mon ami me manquait. Je te préfère éternel inassouvi de femmes que d'alcool.

Bastus avait complètement oublié la magnifique jeune fille. Même après plusieurs bouteilles et sous abstinence forcée par son état dépressif, il n'a jamais effacé une belle créature de sa mémoire aussi vite. D'ailleurs, depuis la veille, il n'a pas touché une seule bouteille. Que lui arrive-t-il ? Bastus préfère ne pas s'attarder sur ces considérations et prend le parti de jouer le jeu de son ami de toujours :

— N'oublie pas que je vais te faire de l'ombre à nouveau, elles préfèrent une compagnie plus raffinée, provoque-t-il en caricaturant un côté bourru que Teïos ne possède bien évidemment pas.

— Tu verras, c'est moi qui mettrait l'apprentie dans ma couche ! relève son ami avec amusement, une lueur de défi dans le regard. Je déjouerai son cerbère.

Le prince revient à ses préoccupations immédiates :

— Plus sérieusement, je m'attends à une visite surprise de mon frère ou de ma mère et je veux être prêt. Ils ont eu assez de raisons de me railler ces derniers temps !

— Tu as raison, on n'est jamais trop prudent avec ceux-là. Ça me fait plaisir de te voir reprendre du poil de la bête ! Tu m'as manqué ! Bref, trêve de sentimentalisme, je pars vérifier nos provisions et nos montures, je te laisse passer à la forge. Vadem.

— Vadem, mon ami.

Bastus arrive à la forge, les bras chargés d'une dizaine d'armes. Lorsqu'il passe le pas de la porte, deux d'entre elles glissent de ses bras.

— Attendez, je vais vous aider !

Il sent des mains le délester d'une partie de son fardeau puis voit une silhouette déposer le tout sur un large établi le long du mur. Lorsqu'elle se retourne, la forgeronne se dirige de nouveau vers lui pour prendre le restant.

— Behrrey, le salue-t-elle en plongeant son regard dans le sien. Je vous laisse ramasser celles qui sont tombées.

Le prince a chaud ! Comment fait-elle pour passer ses journées dans une fournaise pareille ? Il en serait bien incapable. Il ne se sent pas très bien d'un coup, pris de bouffées de chaleur.

— Behrrey, dit-il d'une voix mal assurée.

— Vous savez, j'ai du travail plus qu'il n'en faut ! Vous aviez peur que je m'ennuie ? demande-t-elle, les mains sur les hanches.

Bastus reste pantois quelques instants, les bras ballants. Son éloquence habituelle s'est envolée.

— Pardon pour la plaisanterie, cela ne plaît pas à tout le monde, reprend-t-elle. Je vous propose un verre d'eau fraîche pendant que vous m'expliquer ce que vous souhaitez que je fasse avec toutes ces armes ?

Prenant les devants, la forgeronne hèle son apprentie :

— Zélia, va me chercher deux verres d'eau s'il te plaît !

La jeune fille revient avec deux gobelets qu'elle tend à ses aînés. Bastus n'a pas quitté Héphiane des yeux. Il jette tout de même un rapide coup d'oeil à l'apprentie pour la remercier. Il est surpris. II sait évaluer la beauté d'une femme, et Zélia est sans conteste bien plus séduisante que sa patronne. Alors pourquoi ne peut-il détourner les yeux d'Héphiane ?

— Merci Zélia, tu peux y aller, dit la forgeronne.

Bastus prend conscience de son impolitesse.

— Merci mademoiselle, ajoute-t-il en lui adressant un sourire.

La jeune fille rosit légèrement et fait une brève révérence avant de quitter la pièce.

— Je préfère que les choses soient dites. Vous semblez avoir un drôle d'effet sur la gente féminine. Je sais que vous avez remarqué la façon dont elle vous regarde. Laissez-la tranquille ! Je ne doute pas qu'il y ait assez de jolies femmes qui vous accordent leurs faveurs. Bon, ceci étant dit, que puis-je faire pour vous ?

Lui qui a toujours été fier de ses conquêtes, se sent soudain mal à l'aise. Il finit par répondre :

— Elle a beaucoup de chances d'avoir trouvé une personne aussi investie pour elle. J'aurai aimé croiser quelqu'un comme vous dans mon enfance. Vous pouvez être tranquille, répond-il avant d'en venir au sujet de sa venue, personne ne s'approchera d'elle. Combien de temps vous faut-il pour réviser toutes ces armes ? Votre prix sera le mien.

La forgeronne crispe sa main sur son verre, le regard perdu dans le vague.

— Qui allez-vous pourchasser avec ça ? s'entend-t-elle prononcer avec une légère agressivité dans la voix.

— Je...

— Excusez-moi, je n'aurai pas du dire cela, ajoute Héphiane en lui coupant la parole.

Bastus se sent envahi d'une profonde tristesse. Des images de cadavres défilent devant ses yeux. À chaque nouvelle vision, ses poings se contractent un peu plus. Bientôt quelques gouttes vermeille tombe sur le sol.

— Vous avez tout à fait le droit de dire ça et je vous remercie d'accepter ma commande.

Héphiane relève la tête. Elle le regarde avec intensité. On dirait qu'elle lit à travers son âme. Bastus est troublé. Il a peur aussi, peur de ce qu'elle peut voir, les horreurs qu'il a perpétré au nom d'une menace fantôme. Il se sent honteux. Son coeur est lourd.

— Je ne veux pas de votre sollicitude ni de remerciements, dit-elle avec autorité avant de revenir au sujet immédiat. Revenez avant le déjeuner, je vais regarder votre matériel pour évaluer ce qu'il y a à faire. Je vous donnerai le prix à ce moment-là, ainsi que mon délai.

Bastus s'apprête à la saluer, mais il se rend compte qu'il n'a pas touché au verre. Il l'a posé machinalement sur l'établi près de lui. Il ne veut pas paraître impoli et le boit alors d'une traite.

— Merci pour le verre, à tout à l'heure.

Héphiane le suit des yeux, les bras croisés jusqu'à ce que sa silhouette disparaisse derrière la porte du château. En ramassant son verre sur l'établi, ce dernier lui échappe des mains. Il tombe au sol. La forgeronne se penche pour le ramasser et découvre étonnée les petites gouttes de sang sur le sol. Les battements de son coeur s'accélèrent.

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