Chapitre 16.3 - BASTUS - Héphiane

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On toque à la porte.

— C'est moi, Teïos.

— Entre.

La porte à peine entrouverte, Héphiane est déjà cachée sous les draps.

— Eh bien je vois que tu as repris du service ! Ça fait plaisir, mon vieux. Je préfère ça à la bouteille. Tiens, un peu plus farouche que les autres on dirait.

Bastus se raidit. Quelle image s'offre à Héphiane ?

S'est-il déjà soucié de ce que pouvaient penser ses nombreuses conquêtes ? Pourquoi s'en inquiète-t-il aujourd'hui ?

— C'est différent, répond Bastus en faisant de grands signes de croix avec ses bras pour intimer à son ami de changer de sujet. Qu'est-ce qui t'amène ?

Teïos se retient de pouffer de rire. Il n'a jamais vu le prince embarrassé devant une demoiselle. Devrait-il s'en inquiéter ? Tant que Bastus retrouve une joie de vivre, cela importe peu.

— Eklesia vient d'arriver. Elle veut te voir au plus vite. Elle...

Tout en le poussant du coude, Eklesia interrompt Teïos.

— Arrvida, mon commandant ! Excusez-moi de vous déranger, je devais vous voir dès mon arrivée.

Bastus comprend que ce n'est pas maintenant qu'il retrouvera la tranquillité. Il s'apprête à leur faire signe de sortir le temps qu'il se rhabille et que son amie puisse s'en retourner à la forge, mais Eklesia reprend :

— Me permettez-vous de parler ?

— Est-ce si urgent que ça Eklesia ?

— Oui, non... Je ne sais pas... mais ce sera bref. J'ai sollicité l'autorisation de vous rejoindre, ce que Kartos a bien évidemment refusé. Il a plutôt chercher à me mettre à nouveau dans sa couche.

Bastus sent ses poings se serrer à cette simple idée. Pourvu que...

— Il n'a pu aller jusqu'au bout de son entreprise. Je crains avoir laisser quelques stigmates sur son visage... Entre autre.

Soulagé, Bastus cherche à conclure afin de libérer la forgeronne :

— Il va vous le faire payer mais vous savez que je prendrai votre parti.

Le prince ressent une petite jouissance à l'idée de ce qu'Eklesia a fait subir à son jumeau.

— Mon énomotarque, ce n'est pas tout.

Bastus la regarde droit dans les yeux. Elle se tord les doigts.

— Je... Je suis partie sans autorisation. J'ai peur que Kartos ne fasse passer cela pour une désertion. Mais il fallait que je vous rejoigne !

Bastus sait à quel point elle a veillé sur lui depuis la fin de la guerre. Elle a toujours été là pour l'aider à retrouver sa chambre lorsqu'il était trop soûl, à excuser ses retards et ses absences, à soulager sa peine dans la mesure de ses moyens.

Impossible d'analyser les conséquences de cet acte, pour le moment. Il va sans dire qu'il préfère la savoir loin de Kartos. Mais il n'a aucun doute : son jumeau le lui fera chèrement payer.

Il sent Héphiane se crisper.

— Teïos, je te laisse loger Eklesia, le temps que je me rhabille et nous nous retrouvons pour faire un point sur la situation. Vadem !

— Vadem ! répondent en choeur Eklesia et Teïos.

Quelques instants passent dans un silence religieux. Puis Héphiane jette d'un geste rageux les draps dévoilant son corps dénudé. Vu le regard chargé d'éclairs qu'elle lui lance, Bastus n'est pas excité par cette vision, malgré tout l'attrait de ses formes galbées.

— C'est quoi ces histoires de conquêtes ?! Et cette Eklesia ? Elle outrepasse les ordres pour vous suivre, c'est votre maîtresse, c'est ça ! Enfin l'une d'entre elles, devrais-je dire !

Les mots se bousculent et les bras de la forgeronne gesticulent avec colère rythmant sa tirade. Bastus est interdit. Jamais une femme ne s'était emportée de la sorte. Bien sûr qu'il a brisé quelques espoirs et fait pleurer certaines demoiselles, mais une telle rage dans le regard, jamais. Il se sent flatté, mais bien insignifiant face à cette tempête humaine.

— Eklesia est mon second. Elle m'a toujours servie fidèlement.

— Je vois ça, en effet ! éructe-elle.

— Il ne s'est jamais rien passé, elle est comme une petite soeur.

Il sent la jeune femme hésiter.

— Regarde-moi et dis-moi si je mens, propose-t-il.

Elle plonge ses yeux noisette dans l'océan de son âme. Pas un mot ne s'échappe pendant qu'elle le sonde.

— Je te crois, finit-elle par trancher. Mais je ne suis pas sûre qu'il en aille de même pour elle. Et les autres ? demande-t-elle, les poings sur les hanches.

— J'ai eu des maîtresses.

— Pourquoi parles-tu au passé ?

— Car je n'en ai pas eu depuis des solemnum. Je n'ai pas pu... depuis l'invasion.

Le regard vide du prince la déroute. Elle ne pensait pas ses séquelles si profondes. Héphiane était persuadée qu'il forçait le trait pour se rapprocher d'elle, juste quelques cauchemars de temps à autre transformés en cicactrices suitantes et puantes. Les blessures sont de toute évidence encore béantes.

— Et combien en as tu eu avant cela ? Je n'ai connu que mon fiancé. Voilà, tu sais tout.

— Disons que... peu de femmes se refusaient à moi.

Héphiane semble hésitante sur l'attitude à adopter. Elle se prend la tête dans les mains, pensive. Bastus attend, ne sachant comment réagir. Elle rompt le silence devenu pesant :

— D'accord je ne vais pas dire que ça me fasse plaisir mais c'est ton passé. Qu'en est-il aujourd'hui ? Je préfère te dire tout de suite que je ne compte pas partager mon amant avec une autre. Je ne le supporterai pas. Je peux comprendre que ça ne te convienne pas et que tu préfères ne plus partager ma couche. Je...

— Je ne veux que toi, la coupe Bastus en la regardant de nouveau dans les yeux.

Elle rosit, sa lèvre inférieure tremble.

— Tu es sûre de pouvoir te satisfaire d'une seule compagne ?

Aucune hésitation, simplement l'évidence :

— Si c'est toi, oui.

Elle le remercie en silence, scellant son engagement d'un baiser.

Une fois Héphiane repartie à la forge, Bastus retrouve Eklesia et Teïos dans son bureau. Son ami ne peut s'empêcher d'investiguer :

— Alors, c'était qui cette mystérieuse inconnue ? Zélya ?

— On peut passer à autre chose.

— Non, je suis trop curieux de savoir qui est la première à partager de nouveau ta couche. Elle mérite mon respect et toute ma gratitude.

— Tu me fatigues mais je te connais assez pour savoir que tu vas me faire vivre un enfer tant que tu n'auras pas ta réponse. Héphiane, satisfait ?

— Ah oui ? Pourtant son apprentie est nettement plus jolie !

— Elle est... différente, dit-il rêveur.

— Dites donc je t'ai jamais vu avec des étoiles pleins les yeux. Tu serais pas entrain de succomber ?

— Mon énomotarque, il s'agit d'une habitante de Volos ? questionne Eklesia.

— Oui, pourquoi ? répond Teïos à sa place.

— Vous devriez vous méfier. C'est une Vulcae, elle est forcément pleine de rancoeur vis-à-vis de notre Linéage. Peut-être qu'elle fait même partie de la résistance et qu'elle n'a couché avec vous que pour vous avoir à l'oeil et obtenir des informations.

— Eklesia, tu exagères ! lance Bastus agacé, mais troublé malgré lui par cette réflexion.

— En êtes-vous sûr ?

— Oui, je l'aurai vu dans ses yeux, affirme le prince.

— Eklesia, si elle l'aide à se sentir mieux, laisse Bastus profiter d'un peu de bonheur. On y a tous droit, pas vrai ?

— Bien sûr que je veux votre bonheur ! Mais il faut rester sur nos gardes. Permettez-moi au moins de garder un oeil sur elle.

— Non Eklesia. Je vous suis infiniment reconnaissant de tout ce que vous avez fait pour moi, d'avoir pris autant de risques pour me rejoindre, mais laissez-la tranquille !

Eklesia contracte la mâchoire. Son regard reste sombre, mais, obéissante, elle hoche la tête.

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