Chapitre 19.2 - LELYÂH - En route pour la frontière Vulcae

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Avant de disparaitre la Naïadienne les avertit :

— Je sens des ondes obscures se mouvoir dans notre direction, soyez vigilantes.

Puis sans prévenir, elle se volatilise en brumes vaporeuses flottant vers la sylve, laissant les deux amies désorientées. Entre les adieux et cette annonce inquiétante, elles ne savent plus où elles en sont. Elles restent ainsi face au néant de l'absence, Zaphyne leur apportait la joie et l'insouciance qui soulevait le voile de noirceur venant parfois se déposer sur leurs épaules. Et les questions s'agitent à nouveau dans leurs têtes : "Que peuvent bien être ces ombres dont à parler Orséice ? Des âmes torturées ? Un fléau ? DOivent-elles envisager un détour ? Mais par où ?".

Diane retrouve ses esprits la première :

— Viens, nous devons continuer. Ce n'est pas comme si nous pouvions changer de parcours ou faire demi-tour les mains vides, nous aviserons en chemin.

Lelyâh secoue la tête.

— Tu as raison, maintenant que nous sommes arrivées jusqu'ici, je veux aller au bout et trouver qui je suis. Et Lahärva n'aime pas être à découvert, elle s'impatiente.

Les deux jeunes femmes montent sur le dos de l'acynonyx qui pénètre dans la forêt, dirigée par Diane et la végétation qu'elle sollicite pour s'orienter. Après plusieurs heures de marche, la sylve se densifie d'arbres au tronc d'ébène. Avec la nuit qui s'invite, il devient difficile de s'orienter dans cette accumluation de noir.

— Grande soeur, j'ai peur ! Il fait trop sombre ! se lamente Nezÿl la voix chevrotante.

— Qu'est-ce qu'il y a ? demande Diane inquiète face à la surprise dessinée sur les traits de son amie.

— Nezÿl qui me parle. Je ne m'y ferais jamais !

Lelyâh crispe ses mains sur la fourrure épaisse de Lahärva alors que ses épaules s'affaissent.

— Tu n'arrives toujours pas à communiquer avec elle ? Ce serait tellement bien si elle nous donnait ne serait-ce qu'un nom de famille ou le nom d'une cité !

Lelyâh soupire les yeux rivés sur l'encolure de l'acynonyx :

— Non, malheureusement.

— On trouvera autrement dans ce cas ! Et puis qui sait, avec un peu de chance, elle nous donnera l'information en tant voulu, ajoute Diane d'un ton léger pour dissiper le voile qui obscurcit les yeux de son amie.

Peu après, les deux jeunes femmes s'arrêtent. Diane prépare l'abri et le feu comme à l'accoutumée. Lelyâh part chasser avec Lahärva, la jeune femme se déplaçant de façon presque aussi silencieuse que son amie à quatre pattes. Lelyâh apprécie ces moments où son cerveau se met à l'arrêt. Son coeur bat à l'unisson avec celui de l'acynonyx : jouir de l'excitation de la chasse, focaliser son attention sur la traque. Elles repèrent rapidement un groupe de cervidés en train de brouter. Lahärva lui indique le plus fragile. Lelyâh bande son arc, vise et tire dans la cuisse de l'herbivore à l'instant où l'acynonyx bondit du fourré où elle se sont tapies, et fond sur le groupe qui détale affolé. La proie blessée n'a pas le temps de réagir que les crocs se referment implacables sur sa gorge. Lelyâh prend le temps de prélever des morceaux de viande pour le dîner et d'autres à faire sécher avant de laisser son amie dévorer son repas.

De retour au camp, Diane met sur le feu un bouillon de racines agrémenté d'herbes aromatiques sauvages dans lequel elle plonge quelques morceaux du cervidé. Elles s'assoient près du feu, contemplant les flammes.

Lelyâh place ses bras autour de ses jambes en observant la danse incandescente.

— Est-ce que tu doutes parfois ?

— De quoi ?

— De réussir à retrouver qui je suis.

— Non, je ferai en sorte que nous réussissions, affirme Diane avec forte conviction.

— J'aimerais être aussi sûre que toi, lâche Lelyâh dans un soupir.

Diane se tourne vers son amie et dévisage ses traits emprunts de mélancolie. Elle pose sa main sur son épaule.

— Je ne te laisserais pas tant que nous n'aurons pas trouvé, d'accord ?

Lelyâh plonge les yeux dans les iris scintillants de son amie :

— Merci.

Soudain, un sourire s'épanouit sur le visage de la soigneuse.

— Regarde, tu as un cheveu blanc ! lance-t-elle amusée, redevenant pour un temps la jeune femme insouciante préoccupée de futilités.

— Arrête, déjà ?

— Regarde, insiste Lelyâh en attrapant le cheveu pour le placer sous les yeux de Diane.

— Nom d'un squirelle ! Pourtant je suis plus jeune que toi ! Comment tu fais pour garder le même visage de jeune fille ?

— Ce n'est qu'un cheveu blanc, reprend Lelyâh en haussant les épaules.

— Oui, mais je n'ai pas envie de ressembler déjà à une grand-mère ! geint la fille du lord.

— Arrête, tu...

Diane la coupe en faisant la moue :

— Mais regarde-toi ! Tu n'as pas changé alors que je vois déjà quelques petites rides autour de mes yeux. La vie est parfois injuste.

— Écoute, je n'ai ni rides ni cheveux blancs et je n'ai aucun souvenir. Ça équilibre, non ?

Les deux amies explosent de rire devant l'absurdité de cette comparaison, permettant à leur corps de relâcher les tensions des derniers jours.

C'est détendues et le ventre bien rempli qu'elles s'allongent pour la nuit.

Lelyâh se réveille peu de temps après en nage, le corps tremblant comme une feuille, les dents claquant doucement dans le silence de la nuit. Elle ne peut plus fermer les yeux sans revoir les gens vaciller, l'écume aux lèvres, la respiration bloquée, le regard hagard. Certains tombent telles des statues de pierre, seuls leurs râles d'agonie rappelant qu'ils sont encore en vie. D'autres jonchent déjà le sol, raides morts. Il y a des femmes et des hommes de tous âges, et des enfants. Rien que d'y penser une montée acide brûle la gorge de la soigneuse manquant de peu de lui faire rendre son dîner. D'où peuvent bien venir ces visions ? Elles semblent trop réelles pour n'être que des hallucinations sorties de son esprit torturé. Mais il n'y a pas eu de guerres depuis des dizaines de solemnum, ni de famine dans les morceaux d'histoire qu'Hékos lui a contés. Serait-ce une vision du futur, d'une armée Animae frappant les Chloridiae de son poing dévastateur ? Elle a entendu des rumeurs et quelques bribes de conversation lorsqu'elle était encore au domaine, mails elle a préféré ne pas y prêter à attention. Les Linéages ne s'envahissent pas et l'invasion Vulcae ne représente pour elle, comme pour la majorité, qu'une anomalie singulière. Et si contre toute attente, les Animae envahissaient le monde entier ? Si son corps lui hurlait le futur pour se prémunir de telles atrocités ? Apeurée, bousculée par les questions en cascade qui inondent sa tête, Lelyâh laisse échapper le serpent qui se met aussitôt à la tourmenter : Que crois-tu que les autres diront quand ils sauront que tu pouvais prévenir cette catastrophe ? Ils te tourneront le dos, ou pire te mollesteront par esprit de vengeance. Et si tu les préviens, ils te suspecteront d'avoir pactiser avec l'ennemi. Dans les deux cas, tu finiras seule au milieu d'une mer de souffrance. Autant en finir, ici et maintenant. Plus d'abysse liée à l'absence de tes souvenirs, plus de peur de perdre des êtres chers, plus de tourments. Retourne au lagon, je t'y attends.

Lelyâh se balance d'avant en arrière, fredonnant en vain les chants de Saëlle pour stopper cette spirale infernale. Elle se retourne et cogne violemment sa tête contre leur abri végétal. L'angoisse a déferlé en tempête aux vagues démesurées. Lelyâh ne sait plus comment arrêter cette force de la nature. Elle sort de la cabane et entasse ses affaires dans son sac de voyage.

Elle s'approche de Lahärva pour la réveiller.

— Ramène Diane chez elle je te prie. J'ai besoin de continuer seule.

L'animal proteste. Lelyâh s'apprête à répliquer lorsque des bruits attirent son attention. Elle se retourne et découvre une Diane à demi-réveillée qui lui fait face, les mains sur les hanches.

— Qu'est-ce que tu fais ? s'enquit-elle les sourcils froncés et le regard dur.

— Je dois continuer seule.

— Arrête tes bêtises, je viens avec toi ! rétorque Diane d'un ton péremptoire.

— Tu ne comprends pas ! Je me fais manger par ces voix, par ce qu'il y a en moi. J'ai peur d'y laisser la raison ! J'ai peur de devenir un danger pour ceux auxquels je tiens. Je ne veux surtout pas te faire de mal !

— Tu n'es pas seule, tu n'as jamais chercher à me faire du mal, même au pire de tes crises. Je reste avec toi.

Diane attrape son sac et fait à la hâte son paquetage.

— Si avancer calme ton esprit, alors je suis prête. Allons-y ! ajoute-t-elle.

Et joignant le geste à la parole, elle monte sur le dos de l'acynonyx dont les yeux brillent tels des phares dans l'obscurité. Lelyâh vaincue par la détermination de Diane, monte à son tour avant que l'acynonyx ne s'ébroue.

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