Chapitre 30 - LELYÂH - Changement de direction

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Bastus a conseillé à Lelyâh de passer au nord du fleuve Guern, il y a une quelques lieues supplémentaires à parcourir mais la route est mieux entretenue et elles pourront progresser plus vite. Ainsi, demain elles pourront rencontrer la famille Harpyja. Lelyâh ne sait plus si elle veut savoir qui elle est. Découvrir pourquoi elle est si douée au tir à l'arc ? Pourquoi elle était seule en territoire Chloridiae ? Et peut-être comprendre pourquoi elle entend des voix ?

Si la vérité était dure, indigeste ? Que ferait-elle ? La soigneuse est terrorisée à l'idée de voir le serpent d'ébène prendre possession de son âme. Après tout, elle s'est offert une place en Terres d'Osany, une amie, une famille de coeur, un métier ; si Lord Olmo est assez conciliant pour lui pardonner d'avoir mis en péril la vie de sa fille.

Lelyâh n'arrive plus à discerner les bénéfices qu'apporteraient la vérité. L'angoisse s'est emparée d'elle.

— Pourquoi ont-ils fait cela ? Nezÿl, mon bébé !! crie sa mère, la voix déchirée par la douleur.

La soigneuse lâche les rênes pour se prendre la tête entre les mains. Sa docile monture continue de suivre le pas du cheval de Diane.

Le fleuve n'est plus très loin. Viens m'y rejoindre. Diane saura bientôt quel monstre tu es. Es-tu prête à affronter son regard au moment où elle découvrira la vérité ? Au moment où elle te tournera le dos pour de bon ? Ne lui impose pas ça. Arrête de vous faire souffrir. Je t'attends au fond du Guern.

Lelyâh chantonne aussitôt accompagnée par son amie. La monture de Diane vient se placer à sa hauteur tandis qu'elle la prend par la main et chante avec plus de force. Quelques larmes volent dans l'air avant que l'angoisse ne reflue suffisamment pour permettre à Lelyâh de reprendre le contrôle.

Les deux jeunes femmes arrivent pour déjeuner aux abords du fleuve. Le soleil frappe de ses rayons mordants la Contrée cybeline. Diane pointe du doigt en direction du pont :

— Regarde, arrêtons nous sous ce pont, nous serons à l'ombre. Je n'en peux plus de ce soleil, il est bien plus agressif qu'à Olmo !

— Lelyâh, pas par là ! Viens, dépêche-toi ! lui intime son père.

— Allez-vous en ! lâche Lelyâh la mâchoire crispée, le bras balayant l'air comme pour les faire fuir.

Les voix sont stoppées par le galop soudain des chevaux assoiffés qui se précipitent vers le fleuve. Celui de Lelyâh penche brusquement la tête, projetant la jeune femme dans le lit du Guern. La soigneuse se redresse mais le sol plein de vase la fait glisser à chaque fois. Elle se débat un long moment pour faire les quelques pas qui la séparent du rivage. Alors qu'elle s'apprête à sortir, elle sent une main l'attraper. Lelyâh se retourne. Diane pousse un cri de stupeur. Une silhouette émerge de l'eau.

Une Naïadienne. Cette dernière est bien différente d'Orséice avec sa peau oscillant entre le bleu et le vert, ses rides profondes formant des plis sur tout son visage et ses yeux bleu marine.

— Qui es-tu ? demande-t-elle autoritaire, malgré sa voix chevrotante.

— Lelyâh.

La vieille Naïadienne croise les bras et dévisage la soigneuse.

— Ah, c'est toi ! Orséice m'a parlé de toi.

Lelyâh se raidit.

— Est-elle ici ? demande Diane.

— Non, elle ne peut se déplacer aussi loin.

— Alors comment vous a-t-elle parlé de mon amie ? interroge Diane intriguée, en descendant de son cheval.

— Par la pluie.

Devant la mine déconfite des deux jeunes femmes, la créature explique :

— Nous sommes multiples mais nous sommes unes, reliées par la pluie, la brume qui nous porte les nouvelles de nos soeurs. Ne sois pas si inquiète, il n'est pas venue le temps de payer ta dette. Quelque chose en toi m'a forcée à sortir. Il y a un je-ne-sais-quoi qui ne me plaît pas. Je n'arrive pas à le définir mais j'ai ressenti un danger pour mon fleuve. Sors de mon lit, je te prie.

Lelyâh ne se fait pas prier. La Naïadienne dégage une force qui la fait frémir. Et puis rester à patauger dans l'eau bourbeuse n'est pas particulièrement plaisant, même sous cette chaleur.

La créature s'approche du rivage, scrutant la soigneuse avec attention. Lelyâh ne bronche pas, mais reste tendue. Diane vient se mettre à côté de son amie.

— Tu as une aura étrange. Je l'ai déjà ressentie, il y bien longtemps, mais je n'arrive plus à me souvenir. Ma mémoire millénaire défaille malgré moi. Que viens-tu faire par ici, petite ?

— Je cherche à savoir qui je suis. J'ai perdu mes souvenirs.

La Naïadienne est pensive.

— Tu ne vas pas dans la bonne direction.

— Pourquoi dites-vous cela ? ose Diane.

— Ahh, ces jeunes qui oublient les traditions ! Nous, peuples des Élémentaires, sommes mis au rebut de votre société. Cela vous coûtera un jour ! Dans la partie australe du pays se trouve une source d'une pureté incroyable. Ma soeur, Ésylice, qui veille sur elle, possède la faculté de voir ce qui est cachée au fond de chacun d'entre nous, humains comme élémentaires. Je sens qu'elle pourra t'aider.

La Naïadienne monte sur la rive et pose une main sur la poitrine des deux femmes. Un collier apparaît au bout duquel trône un pendentif en forme de goutte.

— Ils vous indiqueront le chemin. Bonne route.

— Merci Naïadienne, répondent-elles en choeur.

— Castalice.

— Merci Castalice, rectifient-elles.

La créature disparaît dans une cascade de gouttelettes scintillant sous le soleil. Diane prend la main de Lelyâh et la tire vers le pont pour déjeuner.

— Qu'est-ce qu'elle a bien pu sentir en moi ? demande Lelyâh en regardant le sol, le visage triste.

— Il n'y a qu'une solution, aller voir Ésylice. Ne t'inquiète pas, cela ne fera que te faire souffrir. Tiens, prend un morceau de pain et de capra séchée.

Lelyâh mange pour faire plaisir à la fille du Lord mais son coeur est amer. La Naïadienne lui a confirmé, sans l'avoir voulu, qu'elle a des raisons d'avoir peur de qui elle est. Elle est pourtant consciente qu'elle n'a pas le choix, il lui faut savoir. Elle pourra ainsi racheter ses péchés d'autrefois si cela s'avère nécessaire. Qu'est-ce qui a bien pu gêner à ce point Castalice ? Lelyâh sent le reptile onduler. Elle pose une main sur sa poitrine, appuie avec force dessus pour contenir la bête.

D'un coup, la goutte s'auréole d'une pâle lumière turquoise et se met à flotter devant elle. Le pendentif de Diane fait de même. Les deux amies se regardent surprises et décident alors de remonter à cheval. Elles suivent la direction indiquée par le pendentif. Lahärva les retrouve en chemin, l'appel d'un mâle un peu plus tôt l'avait inciter à quitter sa maitresse pour le retrouver. Il sera bientôt temps pour elle d'avoir sa portée. Les chevaux s'écartent du fauve mais Lelyâh, à force de cajoleries télépathiques et de caresses parvient à les rassurer assez pour qu'ils tolèrent sa présence.

— Je crois qu'il faut que j'écrive à mon père.

— C'est une excellente idée ! Ça le rassurera et ça te permettra de prendre le temps de choisir tes mots. Arrêtons-nous avant le coucher du soleil, que tu es le temps de rédiger ta lettre.

— J'aurai mieux fait de me taire. Je suis tellement stressée que j'ai les mains dégoulinantes de sueur ! Et s'il ne me pardonnait pas ? Et si Carmanor refusait mon repentir ?

— Qui est-ce qui m'a dit de ne pas me poser de questions ? demande Lelyâh pour la réthorique, amusée.

Diane baisse la tête mais un léger sourire se peint sur son visage :

— Tu as raison.

— Y'en a pas une pour rattraper l'autre !

Lelyâh et Diane se mettent à rire de bon coeur malgré la pointe d'inquiétude qui effleure toujours leur coeur.

Ayant mis un demi-solaris pour arriver jusqu'au Guern, elles se retrouvent vers la fin de journée de nouveau à Animis.

— On retourne au palais ? questionne Diane, hésitante.

— Mmm, je crois que Bastus a assez de soucis à gérer. On s'est fait les aurevoirs, autant nous arrêter dans une auberge au sud de la ville.

— Tu as raison, avec ce qu'il nous a donné, nous pouvons loger chacune dans notre chambre. Après, je ne sais pas toi, mais je me sentirai plus rassurée de dormir avec toi.

Un frisson glacé parcourt l'échine de Lelyâh en repensant au serpent d'ébène et aux voix redevenues envahissantes.

— Oui. Parfois, la nuit, j'ai l'impression que mes démons vont m'aspirer dans ce trou noir et que je n'en sortirai plus. Avec toi, je me sens assez forte pour les repousser.

Diane rapproche sa monture, pose sa main sur la joue de Lelyâh :

— Je serai toujours là pour les envoyer voir ailleurs alors !

Les deux jeunes femmes se mettent à rire, éloignant pour un temps les incertitudes et les peurs, véritables charognards opportunistes.

Tandis que Diane rédige sa lettre, Lelyâh accompagne Lahärva chasser. Une petite forêt de Cykoïs destinés à la construction des charpentes s'étend sur la partie ouest, aux portes de la cité. Les deux compagnes pénètrent dans la futaie parsemée de rayons dorés. Le vent dans ses cheveux, le pas silencieux de Lahärva, l'écoute du moindre son alentours procurent un sentiment de bien-être, dont Lelyâh profite avec bonheur. Après une bonne marche, elles repèrent un troupeau de cervidés un peu plus loin. Le félin se rue sur un jeune isolé alors que la jeune femme abat d'une flèche un oiseau perché sur une branche basse. La soigneuse offre sa prise à son félin qui la remercie d'un ronronnement grave. Lelyâh s'allonge contre la fourrure épaisse de son amie tandis qu'elle termine de dévorer les carcasses. La jeune femme se sent de bien meilleure humeur. Puis Lelyâh réalise que la lumière décline, il est temps de repartir ! L'acynonyx part chercher un endroit où dormir tandis que Lelyâh retourne à pas précipités dans les rues d'Animis.

Lorsqu'elle entre dans la chambre, Diane semble épuisée.

— Je ne pensais pas que ce serait si difficile ! Mais j'ai réussi, la missive est partie à l'instant.

Diane essuie son front où perlent des gouttes de sueur.

— Tu peux être fière de toi ! À moi, demain, d'affronter mes peurs !

Lelyâh attrape Diane et la tire vers le rez-de-chaussée où une table les attend. Elle meurt de faim et ne souhaite pas s'attarder sur cette pensée. Elles traversent le hall de l'auberge lorsqu'elles entendent appeler :

— Diane ! Diane, enfin !

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