Chapitre 7.1 : Trahis moi une fois...

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« J’ai construit mon organisation sur la peur » Al Capone (1)

Les semaines passèrent à une allure phénoménale. J’enchaînais les cours payés par Grégoire et mettais en application mes acquis lors de combats de rue. Alex, Lucas et Val assistaient à chaque bagarre, pariant à tout va. Je n’avais jamais autant gagné, les primes de risque flambaient et je dépensais mon argent à tour de bras. Les fêtes se succédaient. La drogue, et l’alcool tombaient du ciel. Bref, la vie nous souriait. Lucas réussit à me convaincre de faire les boutiques aux Galeries Lafayette sur les Champs Elysées. Le hall était incroyable, la hauteur sous plafond vertigineuse. Nous avons parcouru les rayons, réalisant que nous pouvions nous acheter ces marques. Je fis mes essayages chez Lacoste et Hugo Boss alors que mon compagnon craqua sur Armani. Les vendeurs, méfiants au début se détendirent vite lorsque nous payâmes le tout en liquide. Ils offrirent même de porter nos sacs pendant notre shopping. Lucas, euphorique, en fut ravis. En quelques heures, ma garde-robe était refaite !

Grégoire s’était arrangé pour que nous soyons dispensés de certains cours non indispensables, selon lui, au travers de faux certificats médicaux. Je n’avais aucune conscience de ce que je faisais, les missions se multipliaient, l’argent pleuvait. Nous étions des rois, Grégoire régnait, puissant. Amina était toujours à bras, cachant sa peine. Malheureusement, les guerres de gang commencèrent. La jalousie se répandait dans les rangs de nos ennemis telle une traînée de poudre. Les rues se firent moins sures. Des dealers ou des colis disparaissaient, Grégoire ne s’en souciait guère. Il répliquait, avec parcimonie. Pour lui c’était un jeu, sans risque pour nous et tout se déroulait comme prévu. L’admirant, nous lui obéissions aveuglément.

Toutes les semaines, nous dinions ensemble au centre du hangar, partageant les informations récoltées comme les plats. Nous étions une famille. Un soir, à la fin d’un repas, Grégoire porta un toast à notre succès, nous l’accompagnèrent bruyamment. Il félicita les couples, les unions. En effet, au fur et à mesure du temps, Grégoire avait autorisé ses soldats à entretenir des relations, mais gare si une information fuitait, il serait sans pitié. Il voulait qu’Amina ait de la compagnie. Julia et Alex mangeaient face à moi, ce fameux soir, rayonnants. Nous étions peu de célibataires autour de l’énorme table. Nous avons fini le repas qui se composait d’une tourte avec pommes grenouilles, préparés par le chef cuistot qu’avait engagé Grégoire à plein temps. Il avait changé son train de vie et ne le cachait pas. En sortant fumer, je fus rejoint par Grégoire.

 — J’ai une mission pour toi, murmura-t-il. Amina me cache des choses. Je sais que vous avez de bonnes relations. Rapproche-toi d’elle et trouve ce qu’elle dissimule. Le gala des partenaires est dans trois semaines, je ne peux me permettre qu’elle vienne contrecarrer mes plans.

J’hochai la tête dans la nuit. Que suspectait mon supérieur ?

Comme ordonné, je pris Amina en filature dès qu’elle quitta son domicile, étudiant sa routine avec un appareil photo de location. Elle sortait de son domicile à 8h tapante si était seule et à 8h30 si Grégoire l’accompagnait. Il l’emmenait en moto, sinon elle prenait le bus, se noyant dans la foule parisienne. Ensuite, elle achetait un croissant avec un double expresso, à la boulangerie du coin de la rue. Comme disait Grégoire, ce sont les habitudes qui te tuent. Son petit-déjeuner avalé, Amina gagnait ensuite les transports en commun pour rejoindre la capitale, sa banlieue chic disparaissant derrière les vitres du métro. En trente minutes, elle atteignait son école : Le Conservatoire du Maquillage avenue Parmentier dans le 11ème. Elle sortait à 17h, discutait avec ses amis puis reprenait les transports pour rejoindre le hangar. Avant de monter dans le bus, elle achetait le journal dans un kiosque devant l’arrêt. Je l’avais suivi pendant deux semaines non-stop, ne quittant ma place que pour aller combattre et manger.

Ce matin, je regardais les photos que j’avais prises, disposées sur un plan de Paris recouvrant la table à manger de ma cuisine. Lucas était avec moi, Grégoire avait accepté qu’il m’assiste. Difficile de dire non à Lucas lorsqu’il vous harcèle à chaque minute.

 — Peut-être que Grégoire s’est trompé, déclara enfin Lucas se laissant aller sur sa chaise. Ou alors il voulait tester ta loyauté.

 —Va le lui dire.

 — C’est ta mission, ton problème. Après tout, je ne suis qu’un prospect, se moqua Lucas.

 — Si on réussit, tu pourrais être promu membre très rapidement, le tentai-je.

 — Victor, ça fait deux semaines qu’on la suit sans relâche. Il n’y a rien. Elle est clean ! Et tu devrais être soulagé mon ami, dit-il en désignant la table. Parce qu’aux dernières nouvelles, tu avais un gros crush sur la demoiselle.

Je ne répondis pas. Je détestais la suivre à distance, étudier chacune de ses fréquentations, et ensuite discuter avec elle le soir comme si de rien n’était. Ces discussions nocturnes, le soir après nos missions nous avaient rapprochés. Elles pouvaient durer des heures sans que nous ne soyons à court de sujet. Cependant, chaque jour nous rapprochait du gala. Grégoire me mettait une pression monstrueuse pour que je déterre ses secrets. Je lui avais uniquement appris qu’elle s’était vu offert une place comme maquilleuse pour une marque de vêtements. Tu parles d’une information. Des designers la voulaient pour les défilés, les photos du site et du magazine. Elle n’avait pas encore pris sa décision. Grégoire lui en avait parlé, lui affirmant qu’elle pouvait accepter. Depuis, elle n’avait rien livré d’intéressant, et son petit-ami s’impatientait.

 — Je l’ai, s’écria soudain Lucas.

 — Tu as quoi ?

 — Regarde cette photo.

La photo qu’il tenait avait été prise deux jours avant. On voyait Amina discuter puis enlacer une fille de son école, comme elle le faisait tous les soirs.

 — Et.. ?

 — Tu fais aucun effort, soupira Lucas. La fille qu’Amina enlace n’est pas une fille de son école comme nous le pensions. C’est une journaliste.

 — Une journaliste ? répondis-je surpris.

 — Pour le Monde. D’après internet, c’est une journaliste d’investigation passionnée par les bandits, la mafia et les gangs. Si tu veux mon avis, elle a de la chance d’être en vie, vu ses fréquentations, ricana Lucas.

 — Où est la liste des journalistes que Grégoire paye régulièrement ?

Dans l’hypothèse où Amina aurait parlé à la presse, notre tyran nous avait une liste détaillée de ses alliés et des gens qu’il achetait régulièrement. Il aimait passer des informations codées dans la rubrique petites annonces de certains journaux. Je trouvai la liste, vérifiant si Madame Lucie Lime se trouvait dessus.

 — Est-ce qu’elle y est ? demanda Lucas, priant pour que ce soit le cas.

 — Non, constatai-je en serrant les dents.

 — Donc Amina est interviewée dans l’enceinte de son institut par une journaliste. C’était peut-être une coïncidence. Elle parle peut-être de l’offre qu’elle a reçu. Elle ne nous dénoncerait pas, si ?

Avant que je puisse répliquer qu’elle le ferait sans hésiter si cela lui permettait d’échapper à Grégoire, un message arriva sur mon téléphone. Tula m’avait relayé aujourd’hui sur le terrain pendant que Lucas et moi étudiions nos prises de vue. La brute m’avait envoyé une photo avec comme unique petit mot : « C’est qui ? ». L’image montrait Amina assise dans un café, Lucie Lim avec elle.

 — Oh non, dis-je en montrant la photo à Lucas, incapable de savoir quoi penser.

 — Okay, je n’ai rien dit. On a un problème.

 — Ne dis rien à Grégoire, je veux en avoir le cœur net. Je parlerai à Amina ce soir.

 — D’accord mais ne fais pas l’idiot. Ne la protège pas, elle a pris sa décision. Ne plonge pas avec, me conseilla Lucas en me donnant une tape dans le dos avant de partir.

Il avait raison malheureusement. Qu’importe, il fallait que nous parlions. Amina qu’avais-tu fait ?

(1)

Al Capone est le gangster américain le plus célèbre du XXème siècle. Italien de naissance, la famille Capone s’installe à New York en 1894. Alphonse quitte l’école à 14 ans et enchaîne les petits boulots avant de rejoindre les bandes du quartier de Brooklyn. Son surnom Scarface lui sera attribué après qu’un mafieux lui entaille la tête au rasoir. Al avait insulté sa sœur. A la mort de son père en 1920, Capone avec l’aide de Torrio commence son ascension vers les hautes sphères du crime organisé à Chicago. De rabatteurs de boîte de nuit, il gravit rapidement les échelons. En 1925, Al Capone prend les rênes de l’’empire de Torrio, prostitution, alcool (interdits par la loi de 1919) sont les fondements de sa richesse. Al Capone contrôle alors 161 bars clandestin, et 150 tripots à Cicero lui rapportant des centaines de millier par jour, le chiffre d’affaires avoisinant 120 millions par an. Il prospère pendant des années, éliminant toute concurrence. A 31ans, Al Capone est l’homme le plus puissant de Chicago, policiers, juges, politiciens sont à sa botte. Il est inculqué en 1931 pour fraude fiscale et sera transféré dans différente prison. Après 11 ans d’incarcération, il meurt d’un arrêt cardiaque dans sa propriété à Palm Beach. Son empire perdure après sa mort. De nombreux films lui seront consacrés.

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