Chapitre 9.2: l'heure des festivités a sonné

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Je levai les yeux aux ciel. Tula avait un don pour choisir son timing. Les membres du gang des Parisiens oubliés se levèrent comme un seul homme et quittèrent la pièce d’un pas pressé. Je les suivis, silencieux courant pour regagner nos motos. Le prospect, que nous avions chargé de surveillance pendant la cérémonie, ne put cacher sa surprise devant ce raz-de-marée d'adolescents au visage fermé. S'il savait ce qui l'attendait. Je jetai un œil vers Lucas, qui semblait étonnamment calme pour son tempérament insupportable. Alex posa sa main sur mon épaule, et me donna un gilet pare-balle. Ceux que nous utilisions pour les entraînements étaient moins épais que ceux-ci. Je passai la main sur le vêtement, et constatai l'épaisseur du rembourrage. Le gilet s'enfilait comme un tee-shirt et enserrait nos côtes à l'aide de scratchs. Je me sentais comme un étranger dans une telle tenue.

Je saisis mon 7mm, comptai les balles qu'il restait dans mon chargeur, avant de vérifier ceux de secours. Mes amis m'imitèrent. Quelques garçons de la bande étaient venus en voitures, délaissant la moto pour transporter dans les coffres la toute dernière acquisition de Grégoire: des fusils d’assaut FA-MAS Félin. Il savait que notre nouveau statut amènerait de nouveaux dangers, et en conséquence, il n’avait pas lésiné ni sur le matériel ni sur le budget. Une fois sûrs de n'avoir rien oublié, nous quittâmes le parking de l'église, le bruit de nos moteurs retentit dans Paris.

On aurions pu noter ce trajet: "Comment s'assurer de ne jamais avoir le permis !". Feux rouges, doublements par la droite, sens interdits, tout y passa. Les voitures suivaient les motards, doublant les parisiens affolés par notre convoie. Pendant ce temps, je réfléchissais, mes mains tellement agrippées au guidon que mes jointures devenaient blanches. La rumeur sur l'état actuel de Grégoire devait aller bon train. Les petits gangs de banlieue, qui étaient restés sages jusque-là, voulaient une part du gâteau. Ils n'hésiteraient pas à faire nous un exemple, pour asseoir leur pouvoir auprès de nos fournisseurs et de leurs concurrents. Grégoire était inutile depuis son lit d'hôpital, nous devions combattre sans. Je savais que Tula allait nous ordonner de montrer de quoi nous étions capables, de prouver aux instigateurs qu'ils avaient commis la plus grosse erreur de leur vie. Pourtant, ce bordel monstrueux me paraissait vide de sens. Je me préparai pour une guerre à laquelle je ne croyais plus. Alex, Val, Lucas avaient ils toujours la foi ? Malgré mes inquiétudes, j’accélérai, échappant de peu à un accident. L’urgence me tenait, m'incitant à rouler à 130km/h sur un périphérique bondé. « Les amendes allaient pleuvoir », pensais-je avec ironie. Je songeais alors à Lucas et au nouveau prospect, pas encore membres officiels. Ils étaient trop jeunes pour ces atrocités. « Toi aussi », fit remarquer la petite voix agaçante de ma tête. “Pour moi c’était différent”, me persuadai-je.

A peine étions-nous arrivés le long des docks, que des coups de feu nous parvinrent. Nous nous coupâmes nos moteurs, dissimulâmes les motos entre deux entrepôts vides et nous approchâmes discrètement. Les chauffeurs des voitures nous rejoignirent, armés des fusils et s’installèrent sur les toits pour nous couvrir.

— Et maintenant ? demanda Alex, accompagné de ses deux pistolets qu’il avait baptisé Gauche et Droite.

— On tire sur tout ce qui n’est pas à nous, répondis-je. On répète les mêmes gestes qu’au stand, on élimine le plus de monde possible, on coupe la retraite des survivants. Grégoire voudrait qu’on fasse de cette insubordination un exemple.

Alex et Val s’assombrirent. J’entendais les dents de Lucas s’entrechoquer.

— Tu peux partir si tu ne te sens pas prêt, lui dis-je, rassurant.

— Non, je reste, s’entêta-t-il.

— Alors essaie de ne pas te faire tuer, ordonnai-je.

Il hocha la tête, très peu convaincant. Nous prîmes quelques minutes pour que je leur expose ma stratégie, puis nous partîmes.

Alex partit avec moi, prenant la ruelle parallèle au flanc droit de notre entrepôt. Val et les prospects firent de même à gauche. Les autres membres ouvrirent le feu pour nous faire diversion depuis leur perchoir. Quelques- uns restèrent en arrière pour achever ceux qui tenteraient de fuir par là où nous étions arrivés. Nous devions contourner notre hangar, et couper toutes retraites à ceux qui étaient venus chercher la bagarre. Alex et moi avançâmes à pas mesurés profitant de l’allongement des ombres pour se cacher. Ma main sur mon pistolet tremblait, je n’avais encore jamais tué. Nous longeâmes la rive pour se retrouver derrière nos assaillants. Nous apercevions leurs véhicules, lourdement gardés. Tapis derrière des poubelles, nous installâmes les silencieux sur nos armes. Je connaissais ces mouvements par cœur, mais avec telle pression, mon silencieux tomba, à deux reprises.

— Grouille, me pressa Alex.

— Je fais ce que je peux, sifflai-je.

— Ressaisis-toi vieux! C'est pas le moment de faire ta fillette! J’ai besoin de toi.

« J’ai besoin de toi ». Ces mots me ramenèrent d'un coup à cette fameuse nuit. Elle baladait ses doigts sur mon dos nu, embrassant mes cicatrices à intervalles réguliers. Chaque contact déclenchait une vague de frissons.

— Marie, quitte-le.

Elle ria, et me taquina de plus bel. Ce son était tellement pur et doux à mes oreilles. Je lui attrapais la main, l'attirant au plus près de moi.

— Quitte-le, j'ai besoin de toi.

L'image s'effaça et l'affreuse expression d'inquiétude d'Alex réapparut. Je fermai les yeux, respirai et me focalisai sur le visage d'Amina, mes mains agissaient par automatisme. L'enclenchement du silencieux se fit entendre en quelques secondes et emporta mes tremblements. Alex, visiblement soulagé, avança le premier, puis tira sur le premier garde des motos. Je lui emboîtai le pas et visai le deuxième. Ils s’écroulèrent, gémissant quelques instants avant que le silence ne règne à nouveau. Les balles leur avaient transpercé l’artère carotide. La gâchette était si légère dans ma main. Nous tuâmes trois autres gardes dans la foulée. Ils étaient à peine plus âgés que nous. Je fixai ses corps inanimés lorsqu’Alex me siffla. Il fallait se dépêcher. Ignorant mon envie de vomir, j’aidai mon ami à siphonner les réservoirs des motos et scooters présents. Pour les voitures, nous trouâmes les pneus. Bien, il leur serait difficile de fuir maintenant.

— Victor, regarde, murmura Alex, en pointant du doigt un des corps. C’est le gros Jimmy des Couteaux bandés, je l’ai croisé chez L. une fois. Il venait parler territoire avec Grégoire.

— Et regarde le résultat! commentai-je, avec mépris.

Je m'approchai d'un autre corps et releva sa manche.

— Regarde son tatouage à celui-là. C’est un petit diable.

— Deux bandes différentes alliées contre un même ennemi? C’est mauvais signe et tellement cliché.

Le bruit des coups de feu autour de nous s’intensifia. Alex et moi, nous détournâmes de notre petit carnage pour se rapprocher du chaos environnant. Une grande partie des attaquants ( ceux encore vivants) étaient concentrés autour de la porte principale du hangar. Armés jusqu’aux dents, ils étaient une bonne trentaine encore debout. Nos snipers avaient fait du beau travail, mais nous avait laissé de quoi nous amuser. Nous devions éliminer ceux qui restaient ou les forcer à se rendre afin que Tula et les autres puissent sortir. Val et son équipe nous rejoignirent nous expliquant que la porte de derrière était bloquée, ils n’avaient pas pu la forcer. Ils n’avaient pas voulu la faire sauter, de peur d'abîmer la serre. Un de ses gars saignait du bras mais tous semblaient essoufflés et en vie. Un soulagement pour une première bataille. Cependant, pour que le reste sorte en vie de cet enfer, il nous fallait une diversion. Et j'avais une idée.

— Val, appelle Tula, ordonnai-je. Dis-lui de profiter de notre spectacle pour faire une percée.

— Quel spectacle?

Je lui fis un clin d'œil qui en disait long. Val leva les yeux au ciel et écoutait mon plan. Je reçus de multiples rires de mon audience et quelques objections. Val appela Tula, qui apparemment adora l'idée. Mon ami n'en grogna que de plus bel. Silencieusement, nous nous positionnâmes derrière des poubelles, le long du flanc droit de l’entrepôt à différents endroits, pendant que Val et Lucas ouvrirent le bal. Ils avaient accepté de jouer leur rôle après m’avoir traité de tous les noms possibles et inimaginables. Les deux acteurs se saisirent de bouteilles d'alcool vides et entrèrent en scène, mimant bruyamment des ivrognes. Représentation très fidèle.

— Youhou, mes mignons, cria Lucas, avec une voix un peu trop aiguë. On est là.

— Eh les affreux ! renchérit Val.

Les gangsters en herbe les remarquèrent très vite. Les coups de feu plurent. Leur chef aboya des ordres et un gros détachement partit au pas de course vers nos amis. Lorsqu’ils passèrent en courant devant nous, nous les allumèrent. Je ne visai pas, je tirai dans le tas. En conséquence, je changeai deux fois de chargeurs, mes balles rencontraient rarement leur cible. La moitié des adversaires tomba dès la première minute, l’autre se précipita vers nous. Un premier assaillant se jeta sur moi, je lui envoyai la crosse de mon pistolet dans la mâchoire. Il recula, sonné, je lui tirai une balle dans la tête sans attendre. Je criai aux prospects de se mettre à couvert pendant qu’un deuxième attaquant en profita pour me décrocher une droite, qui fit mouche. Je fus projeté contre le mur et crachai du sang. J'esquivai le coup suivant de justesse. Je me mis en position de boxe, et lui envoyai mon coude dans les côtes. Puis, rapide, je me rapprochai, mon uppercut fit claquer ses dents. Je sortis mon couteau de ma ceinture et lui lacéra les côtes avec. Il tomba quand un autre arriva. Lucas me cria de me baisser tandis qu’il lui collait une balle. Le garçon s'écroula bruyamment. Le suivant était plus expérimenté. Il m’envoya ricocher contre le mur le plus proche. La douleur me fit vaciller, il en profita pour m’envoyer son poing dans la mâchoire. Un « crac » peu rassurant retentit alors que je mordais la poussière. Je me retournai, attrapant son pied juste avant qu’il ne m’assomme avec. Je pris sa cheville et la tordis violemment. Une seconde d’hésitation suffit pour que je saisisse mon arme et le criblai de balles. Son sang aspergea mon visage pendant qu'un haut-le-coeur me saisissait. Il tomba pour ne plus se relever. Je me remis debout, et constatai que Tula et compagnie s’étaient joint à la cohue. Je parcourrai le champs de bataille des yeux, une minorité des nôtres gisaient à terre. Le silence régnait dans le port. La bataille était finie, nous avions gagné. Je sortis de ma ruelle, pour me diriger vers le groupe en titubant. Deux ou trois gars nous avaient échappés lorsqu'ils avaient fui à pied. On les retrouverait. Deux coups feu plus tard, tous les combattants étaient morts.

Tula se tenait face à leur chef, vainqueur.

— Alors comme ça, on pensait faire le poids? le nargua-t-il. Tous tes compagnons sont morts et bientôt ce sera ton tour.

Le perdant baissa la tête et ne dit mot. Tula sourit, carnassier.

— Si c'est le silence que tu veux, je vais te le donner.

Sur ce, il brandit son arme sur la tête de son adversaire et tira. Je détournai les yeux, écœuré.

Je me tournai vers mes compagnons de bataille. Alex boitait, Val le soutenait, et Lucas, souriait au milieu de ce chaos. Je leur donnai une tape dans le dos, plus significatif qu'une embrassade. Tula ordonna qu’on fasse disparaître les corps, ceux des nôtres y compris.

Vingt minutes s'écoulèrent avant que les voitures des pompes funèbres n'emmènent les morts des gangs. Le bûcher des croque-morts allait carburer, effaçant toute appartenance. Peu importe ton clan, tu finissais poussière. Encore des affaires de disparition non résolues. Nous avions perdu 5 compagnons dans la bataille, dont Corentin. Tula se chargerait de tout : mise en scène d’un accident, faux rapport, et enterrement. Il était là notre quotidien maintenant. C’était effrayant.

Installés dans le hangar, nous pansâmes nos blessures. Nos docteurs grassement payés pour leur discrétion nous examinaient. Les plus blessés furent conduits aux urgences. Un jour comme un autre. Mon diagnostic se résuma à des blessures qu’on ne pouvait pas réparé : trois côtes cassées, mâchoire pareille, arcade sourcilière endommagée. D'après le doc, je survivrai. C'était tout ce que j'avais besoin de savoir. Alors que je regardai les guerriers autour de moi, je me demandai si tout ce que nous subissions en valait la peine. Loin de mes pensées controversées, Lucas vantait ses mérites, ajoutant un adversaire de plus à chaque répétition. Cet enfant ira loin. Tula me tira de mes songes. Il avait souffert, mais tenait bon.

— Merci pour ta diversion, ça nous a sauvé, dit-il en me tendant la main.

— Nous n’avons pas sauvé tout le monde, répondis-je. Nous avons exécuté des gosses comme nous, de notre âge, qui ont eu le malheur de dire oui aux mauvaises personnes.

— Regarde autour de toi Victor, tes amis ont survécut. On se rappellera des autres. La prochaine fois, on sera prêt.

La prochaine fois? Ce cirque avait-il une fin ?

— En attendant, Grégoire veut te voir, acheva Tula.

Et voila pour le chapitre 9! Désolée du délais, je suis très occupée! J'espère pouvoir vous publier le chapitre 10 d'ici peu !

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