Chapitre 3 - La Mort Rouge

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Irotia, impasse Vertigo. 12 septembre 3224.

Oni descendit de la navette et posa son doigt sur le capteur d’empreintes pour laisser un pourboire aux techniciens des transports publics. La porte se referma derrière elle et le véhicule repartit sur sa tournée, fonçant à un mètre au-dessus du sol. Elle se trouvait dans un des vieux boulevards extérieurs de la ville qu’un immense centre commercial, aujourd’hui fermé, était venu condamner à l’une de ses extrémités. De chaque côté de la rue s’alignaient avec une symétrie parfaite d’anciens immeubles de résidence et des bureaux abandonnés. Sur les façades sinistres, les enseignes des entreprises qui occupaient les lieux une décennie plus tôt donnaient à l’endroit un air de ville fantôme. Certaines des grandes lettres métalliques qui brillaient autrefois de jour comme de nuit pendaient de travers, couvertes de rouille et de saleté. Un peu plus loin, un tandem de voyous était occupé à fracasser une vitrine de magasin ternie, sans doute à la recherche d’un squat pour se droguer. Même les forces de l’ordre ne s’aventuraient plus dans l’impasse Vertigo. C’était l’endroit rêvé pour une planque.

La jeune femme vérifia que personne ne la suivait et se hâta de quitter la rue pour échapper au regard malsain des délinquants d’en face. Par prudence, elle décida d’emprunter un accès dérobé. Elle poussa la porte d’un entrepôt où s’entassaient de vieilles cuves de raffinage oxydées et grimpa une échelle qui menait à la coursive supérieure. De là, elle gagna le toit-terrasse et bondit sans difficulté sur celui du bâtiment d’en face. Elle pianota sur un digicode pour ouvrir une porte, franchit une volée de marches et entra dans une capsule élévatrice hors d’usage qui desservait autrefois les bureaux de l’immeuble. Lorsqu’elle appuya sur le bouton du vingt-quatrième étage, la paroi au fond de l’ascenseur coulissa, révélant l’entrée d’un appartement remis à neuf. Un grand tapis rouge s’étendait en ligne droite jusqu’au pied d’un escalier monumental, sous un lustre en métal noir doté d’une trentaine d’options d’éclairage. En cette fin de matinée, il diffusait une douce lumière qui rappelait celle d’un crépuscule automnal.

« Bonjour, mademoiselle. Vous êtes rentrée plus tôt que prévu. Des ennuis chez votre père, ce matin ?

  • En effet, Brixon. »

Le majordome, un homme courtaud au visage agrémenté de larges favoris, s’empressa de récupérer le manteau de sa maîtresse. Puis il disparut par un accès dérobé pour suspendre l’habit dans une penderie, avant de revenir auprès d’elle.

« Puis-je savoir ce qui ne va pas, mademoiselle Keltien ?

  • Certainement pas. Des nouvelles de Ludo ?
  • Pas la moindre, hélas. Votre ancien employeur se fait plutôt discret. J’ai l’impression qu’il cherche à vous éviter.
  • Trouvez-le, Brixon. Je dois absolument le voir avant la fin de la journée.
  • Bien, mademoiselle. »

Fulminant encore de sa confrontation avec Feris, Oni congédia son domestique d’un geste sec et s’empressa de monter à l’étage. Là, le tapis rouge cédait place à un sol en imitation parquet, décoré de temps à autres par une plante artificielle. Dans chaque recoin, une caméra pivota pour se fixer sur l’arrivante. Elle les ignora et poursuivit son chemin d’un pas rageur pour pénétrer dans le salon.

C’était une vaste pièce meublée avec goût. Au fond, trois fauteuils se faisaient face devant un feu qui ronronnait. L’âtre était composé de briques anthracites et deux personnes n’auraient eu aucun mal à s’y tenir debout. Les flammes dansaient sans cesse, alimentées par un papier de la marque Feu prodige qui mettait plusieurs heures à se consumer entièrement. Les reflets orangés, jaunes et bleus du foyer se reflétaient sur les grands miroirs placardés contre les murs, diffusant dans le salon une lueur tamisée. Cet endroit dégageait un sentiment de sécurité, d’intimité. Mais surtout il étalait devant les yeux du visiteur une certaine richesse. La bibliothèque immense qui occupait un angle était taillée dans une essence de bois rare importée à grands frais de l’autre bout de la galaxie. Face à elle se trouvait une élégante table en fer forgé décorée d’arabesques d’une finesse incomparable. Elle supportait un jeu de figurines en nacre finement ciselées représentant des planètes ou des vaisseaux spatiaux. Au-dessus de la cheminée trônait un trésor inestimable : plusieurs morceaux abîmés d'une peinture à l'huile datant du millénaire précédent. Le titre, gravé dans le cadre lors de sa restauration des années plus tôt, était à peine lisible : Les demoiselles d’Avignon. À côté de celui-ci, un certificat de l’Institut Archéologique Impérial assurait de son authenticité. L’artiste était un peintre de la Première Terre tombé dans l’oubli depuis de nombreux siècles.

« Désirez-vous passer à table dès maintenant ? Ou peut-être boire un peu de cet excellent vin offert par votre père pour vos trente ans ?

La voix du domestique émergeait d’un passe-plat qui donnait sur une cuisine où s’affairaient des automates.

  • Non merci, Brixon. Je vais plutôt prendre un bain et me reposer une heure ou deux. La nuit a été longue.
  • Comme vous voudrez, mademoiselle. Je vais ordonner à la baignoire de se réchauffer. »

La trappe claqua et les pas du majordome disparurent dans une autre pièce. Oni attrapa un beignet au poisson sur la table basse et s’affaissa dans un fauteuil avec un soupir de soulagement.

Elle était épuisée. Le retour de Park sur Irotia n’était que le cadet de ses soucis. Depuis une semaine, elle traquait sans relâche l’usurpatrice qui se faisait passer pour la Mort Rouge. Chaque nuit elle parcourait la ville à sa recherche, interrogeant les indics de Willys pour tenter d’en savoir plus. Qu’il s’agisse d’une admiratrice ou d’une rivale cherchant à lui coller ses crimes sur le dos, Oni était bien déterminée à retrouver cette garce qui lui volait son nom et sa signature. Elle lui réservait une mort lente et douloureuse. Elle devait envoyer un message aux autres criminels, faire de cette femme un exemple pour leur faire comprendre que la véritable Mort Rouge ne laisserait personne lui voler sa réputation.

« Mademoiselle, votre bain est prêt. »

Oni sursauta et braqua son seize-coups sur son domestique. Brixon leva les mains d’un geste rassurant et s’écarta de la ligne de tir. Honteuse, la jeune femme rengaina son arme.

« Désolée, Brixon. Je suis un peu tendue ces temps-ci.

  • C’est encore cette mystérieuse tueuse qui vous obsède ? »

Oni acquiesça en silence. Brixon avait la fâcheuse tendance de lire en elle comme dans un livre ouvert. C’était un ami de longue date de la famille Keltien qui avait servi sous les ordres de Maz comme médecin militaire. La jeune femme le connaissait depuis sa plus tendre enfance.

« Puis-je me permettre de parler franchement, mademoiselle ?

  • Allez-vous m’épargner votre sermon si je refuse ? »

Le majordome lui adressa un sourire amer et vint s’asseoir en face d’elle. Il n’était pas rare qu’il s’exprime à cœur ouvert et lui fasse des reproches. Leur relation dépassait le cadre d’un simple domestique et de son employeur. Oni n’avait pas le moindre secret pour lui. Elle voyait en Brixon la figure paternelle et bienveillante que Maz, trop occupé par ses responsabilités et abruti par l’alcool, n’avait jamais su incarner. Mais depuis que la nouvelle Mort Rouge sévissait en ville, le vieil homme s’inquiétait pour elle et se montrait très protecteur, ce qui avait le don de l’agacer.

« Vous prenez cette histoire beaucoup trop à cœur, mademoiselle. Tout ceci risque de mal finir, vous devriez laisser la Sécurité Civile faire son travail.

  • Cette traînée a menacé de tuer mon père, Brixon. Et la police est incapable de l’arrêter.
  • Je sais. Mais le général est défendu nuit et jour par des militaires, il ne quitte plus le palais du gouverneur sans une protection rapprochée.
  • C’est loin d’être suffisant. J’ai vu les scènes de crime, la cruauté dont elle fait preuve pour abattre ses victimes. Cette garce est sanguinaire, impitoyable et déterminée. La semaine dernière, elle a exécuté trois hommes et a jeté leurs cadavres dans la Palatine. Deux d'entre eux étaient des gardes du corps embauchés par mon père, des combattants surentraînés. Elle les a massacrés sans difficulté.
  • Est-ce bien raisonnable de vous attaquer à une femme aussi dangereuse ?
  • Je n’ai pas le choix, Brixon. Cette folle se fait passer pour moi, elle me vole mon travail et s’en prend à ma famille. Je dois me débarrasser d’elle avant que la situation dégénère.

Le domestique se raidit sur son siège.

  • Vous parlez comme si vous étiez toujours la Mort Rouge. Vous avez fait tant d’efforts pour quitter le monde de la pègre et laisser ce sinistre personnage derrière vous.
  • Il ne s’agit pas de reprendre mon ancienne vie, Brixon. Je veux juste éliminer cette nouvelle tueuse, qu’importe le prix à payer.
  • Et que se passera-t-il quand un autre assassin viendra la remplacer ? Je vous en conjure mademoiselle, ne retombez pas dans la violence. Ne ressuscitez pas le monstre que vous essayez d’abattre. Si vous traquez cette criminelle avec l’intention de la tuer, vous livrez bataille en ayant déjà perdu la guerre.

Oni fixa son regard d’acier dans celui de son majordome. Brixon avait le visage grave, son ton était presque suppliant. Hélas, elle avait déjà pris sa décision.

  • Je suis désolée. Je n’ai pas d’autre solution.

Le vieil homme se leva d’un air solennel. Dans ses yeux se lisait une profonde tristesse et beaucoup de déception.

  • Dans ce cas, je crains de ne pas pouvoir rester à votre service. Croyez bien que ça me désole, mademoiselle, mais je dois vous donner ma démission. Je vais rassembler mes affaires et je partirai demain matin.

Oni bondit de son fauteuil et hurla :

  • Vous n’avez pas le droit de m’abandonner ! Vous êtes un lâche, Brixon ! Vous fuyez parce que vous avez peur !
  • Non, mademoiselle. Je pars car je ne reconnais plus la jeune femme courageuse que j’ai aimée comme ma fille, celle qui luttait de toutes ses forces pour remettre sa vie dans le droit chemin. Je refuse de rester à vos côtés pour voir la Mort Rouge ajouter votre nom à la liste de ses victimes.
  • Cette femme ne me tuera pas. Je suis capable de la vaincre.
  • L’usurpatrice ? Certainement. Mais ce n’est pas à elle que je faisais référence. »

Sur ces mots, le majordome s’inclina et tourna les talons.

De rage, Oni attrapa une figurine en nacre et la fracassa contre le mur. Elle ne comprenait pas pourquoi Brixon s’en allait. Comment osait-il lui reprocher de tout faire pour sauver son père ? De quel droit l’abandonnait-il au moment où elle avait le plus besoin de lui, après tout ce qu’ils avaient traversé ensemble ?

La jeune femme se leva en fulminant et se dirigea vers l’immense cheminée de briques. Avec la facilité de l’habitude, elle poussa sur un tisonnier et un pan de mur entier s’écarta près de la bibliothèque. La cachette révéla un panel d’armes blanches, à plasma et semi-automatiques. Tout était entreposé à cet endroit, depuis les premiers prototypes de fusil à énergie solaire retirés de la circulation jusqu’aux mines antipersonnel dernier cri. Oni hésita, parcourant les rangées en caressant les crosses une à une. Elle marqua un arrêt devant ses trois modèles de sniper à visée laser qu’elle appréciait particulièrement. Le contact des armes au creux de sa main l’apaisait et lui procurait des sensations à nulle autre pareilles. Revenant sur ses pas, elle examina longuement sa collection de pistolets mitrailleurs et les fusils d’assaut posés à côté. Enfin, elle opta pour un seize-coups à plasma qu’elle rangea dans un étui sous son tailleur. À cela elle rajouta deux couteaux qu’elle glissa dans ses bottes montantes et une paire de propulseurs qu’elle fixa sous ses talons. Au bout de son arsenal, un grand manteau rouge à capuche l’attendait dans une vitrine. Oni le passa sur ses épaules et activa le réflecteur holographique dissimulé dans la doublure pour changer l’apparence de son visage. Son miroir lui renvoya l’image d’une femme de la cinquantaine au regard dur et au menton carré, avec des pommettes saillantes, des pattes d’oie au coin de ses yeux bleus et un front ridé traversé d’une cicatrice. Un faciès rassurant et familier qu’elle pensait ne plus jamais arborer.

Le visage de la Mort Rouge.

Peu à peu la colère et la fatigue qu’elle éprouvait se dissipèrent, remplacées par une incroyable poussée d’adrénaline. Cette femme dans le miroir n’était pas qu’un reflet travesti de la réalité, un mensonge pour dissimuler sa véritable identité aux yeux des gens. Oni se rendait compte qu’elle n’incarnait pas un personnage, elle était profondément et viscéralement la Mort Rouge. Elle avait le sentiment de retrouver une vieille amie qui ne l’avait jamais quittée.

« Salut, ma belle. Toi et moi on va avoir du travail ce soir. »

Elle remit le tisonnier en place et le pan de mur se referma. Ainsi apprêtée, elle attrapa un beignet au saumon et le grignota en quittant la pièce. Qu’importe ce qu’en penseraient tous les John Brixon du monde, elle ne reviendrait pas sur sa décision. Elle étriperait l’usurpatrice de ses propres mains pour la punir de son affront. Armée d’une détermination nouvelle, elle traversa son appartement jusqu’à une porte verrouillée par un lecteur d’empreinte rétinienne qui pivota lorsqu’elle plaça son œil devant le faisceau laser.

Oni pénétra dans sa chambre – un monde rouge décoré de tentures, de meubles en bois sombre et de plusieurs toiles qu’elle peignait sur son temps libre. Dans la pièce attenante l’attendait une grande baignoire, emplie d’une eau délicieusement chaude et mousseuse. Mais la jeune femme n’avait plus le cœur à se prélasser dans un bain. Elle devait prendre du repos et réfléchir au meilleur moyen de piéger son adversaire.

« Bienvenue, Oni Keltien mademoiselle.

  • Merci Villock », répondit-elle.

Villock était le petit automate qui s’occupait de sa chambre et de la salle de bain. Elle l’avait voulu en forme d’écureuil, une espèce animale en voie d’extinction qui s’était mal adaptée aux changements de l’espace. Oni le trouvait trop craquant. Elle ne le vit pas dans la pièce, mais supposa qu’il devait se trouver connecté à la baignoire pour la commander. Elle lui ordonna de couper les jets de massage et d’éteindre la lumière.

« Je vais dormir quelques heures, annonça-t-elle. Réveille-moi à la tombée de la nuit. »

Elle s’allongea en travers de son lit et ferma les yeux pour laisser son esprit divaguer. Hélas, son repos fut de courte durée. Moins de dix minutes plus tard, le pendentif autour de son cou vibra avec insistance.

« Que se passe-t-il, Villock ?

  • Votre système d’alarme s’est déclenché, Oni Keltien mademoiselle. Vous avez de la visite. »

La fille de Maz bondit, tous ses sens en alerte. Personne dans son entourage ne connaissait l’existence de cette planque. Quant à John Brixon, il n’aurait jamais déclenché les capteurs de mouvement par simple négligence. Le cœur battant la chamade, Oni se rua sur son terminal de poche et balaya les caméras de sécurité.

Deux lascars grimpaient quatre à quatre les escaliers de son immeuble. Ils étaient vêtus de pantalons rétro et de sweat-shirts à capuche complètement démodés. La jeune femme les reconnut aussitôt : c’étaient les délinquants qu’elle avait croisés dans l’impasse en rentrant chez elle. Chacun d’eux tenait à présent un pistolet plasma gros calibre.

Des tueurs à gage.

Oni pesta à voix haute. Comment avaient-ils découvert l’endroit où elle vivait ? Cette planque était à l’abandon depuis plus d’un an. Elle n’était de retour que depuis quelques jours, quand elle avait appris l’existence d’une nouvelle Mort Rouge sur Irotia. Même en ratissant la ville à sa recherche, ces assassins auraient dû mettre plusieurs semaines à retrouver sa trace.

Son intuition se confirma lorsqu’elle les vit désactiver les verrous magnétiques qui protégeaient ses portes, puis l’hologramme qui donnait à l’entrée de son appartement l’aspect d’un étage abandonné. Ses visiteurs n’étaient pas venus ici par hasard. On leur avait expliqué précisément comment trouver sa tanière. Oni n’avait plus le choix. Elle allait devoir les affronter. Par prudence, elle utilisa le zoom des caméras pour évaluer ses adversaires. Ce qu’elle vit à travers l’écran la rassura : une démarche pataude, des mains tremblantes, un regard vitreux et des yeux injectés de sang. Ils n’avaient pas du tout l’apparence de tueurs professionnels. Plus vraisemblablement des camés ramassés dans la rue, à qui on avait confié une arme et un paquet d’oseille en échange de sa tête.

Oni sourit et sentit l’instinct de la tueuse s’éveiller en elle.

Ces deux clodos ne représentaient pas la moindre menace. Elle serait capable de les éliminer les yeux fermés. Puisqu’ils avaient eu la gentillesse de venir jusqu’à sa porte, autant en profiter pour leur soutirer des informations. Rien de tel qu’un jeu de cache-cache mortel pour égayer sa matinée. Ce serait une excellente manière de se dégourdir les jambes.

La jeune femme bascula son terminal en mode communication et appela celui de Brixon. Le majordome lui répondit quelques instants plus tard.

« Nous avons de la visite, John, l’informa-t-elle. Prenez l’élévateur de secours, sortez par les toits et rentrez directement chez vous. Ne restez pas dans le quartier, il risque d’y avoir du grabuge. »

Elle raccrocha sans lui laisser le temps de protester et introduisit une cartouche de plasma neuve dans le chargeur de son arme. Par précaution, elle vérifia que ses couteaux ne raccrochaient pas dans leurs fourreaux pour les sortir aisément de ses bottes. Satisfaite, elle quitta sa chambre d’un pas feutré, éteignit les lumières et se camoufla dans la pénombre de son salon.

Quelques instants plus tard, des voix masculines lui parvinrent du rez-de-chaussée.

« Waouh ! Vise un peu l’escalier Dany, ça c’est ce que j’appelle une baraque de bourge !

  • C’est clair, elle ne se refuse rien la minette ! Non mais t’as vu la taille de ce lustre ? »

Oni esquissa un rictus carnassier en comprenant qu’elle avait misé juste. Les deux lascars n’étaient pas des flèches, ils ne prenaient même pas la peine d’entrer en silence. Elle se sentait insultée qu’on lui envoie de tels amateurs.

« Bon, à cette heure-ci elle doit être en train de pioncer. Alors on trouve sa chambre en vitesse, on la bute tant qu’elle est sans défense et on se tire.

  • C’est dommage de la refroidir dans son sommeil, grogna le dénommé Dany. On pourrait la réchauffer un peu.

L’autre vaurien s’esclaffa.

  • Tu crois qu’elle partagerait sa couche avec un crétin comme toi ?
  • Qu’est-ce que t’es con, Josh. Je ne vais pas lui demander la permission. »

La jeune femme réprima une moue dégoûtée. Non seulement elle avait affaire à des crétins, mais en plus ces deux types étaient des violeurs. Elle n’aurait aucun regret en se débarrassant de leurs cadavres.

« Déconne pas, Dany. T’as entendu le patron, cette femme est dangereuse. Tu la plombes dès que tu la vois et tu ne l’approches surtout pas. »

Le bruit de leur conversation se rapprochait du salon. Oni décida d’attaquer Josh en premier. C’était le plus vif des deux intrus, le gros Dany semblait long à la détente. Avec un peu de chance, elle pourrait éliminer son camarade et le blesser sérieusement avant qu’il ne réalise ce qui lui tombait dessus. Elle n’aurait aucun mal à les moucher dans l’obscurité. Elle était sûre de son avantage.

« Putain, mais y fait noir comme dans un trou là-dedans ! Eh, Dany, allume la lumière ! »

Oni n’en crut pas ses oreilles. Elle ne s’attendait pas à ce qu’ils soient si bêtes. Une seconde plus tard, une vive clarté inonda la pièce. Elle fit feu aussitôt pour ne pas perdre l’effet de surprise. Ses tirs étaient parfaitement ajustés. Trois rayons brûlants atteignirent Josh en pleine poitrine. Avec une telle décharge, elle était certaine de lui carboniser les poumons et de faire fondre ses entrailles.

Le truand ne broncha même pas.

Le plasma dévora le tissu de son sweat-shirt, dévoilant une combinaison de protection. À cet instant, Oni comprit à quel point elle avait sous-estimé ses adversaires. Il ne s’agissait pas de vulgaires toxicomanes recrutés au hasard devant chez elle. Ils avaient délibérément joué ce rôle pour endormir sa vigilance. Elle était tombée dans un piège.

« Là ! C’est elle, tire-lui dessus bon sang ! »

Elle plongea in extremis derrière sa table basse et la renversa pour s’en faire un bouclier. Les figurines de nacre volèrent en éclats, son seize-coups lui échappa et glissa sous un fauteuil. Un tir de plasma faillit lui faire sauter la cervelle, tandis qu’un second laissait un impact brûlant sur le manteau de la cheminée. À travers le miroir, Oni vit les deux lascars s’équiper de lunettes d’assistance au tir et basculer leurs armes en mode automatique. Cette fois, ils ne pouvaient plus la rater. Avec ce genre de technologie, n’importe quel lourdaud se transformait en tireur d’élite.

« Fais chier, bordel ! »

Son cœur battait la chamade, elle avait les mains moites et sentait la panique l’envahir. Il fallait qu’elle se calme et qu’elle réfléchisse. Elle ne pouvait pas rester derrière son abri de fortune. Les tirs continuaient de s’écraser autour d’elle, ils perceraient bientôt l’épaisseur de nacre et de fer qui la protégeait. Pas question non plus d’accéder à sa cache d’armes : le tisonnier actionnant le mécanisme se trouvait à portée de main, mais son arsenal était loin et à découvert. Elle ne ferait qu’offrir à ses ennemis une puissance de feu supplémentaire. Prise au piège, Oni risqua un bref coup d’œil dans leur direction. Ils se rapprochaient avec prudence et Josh s’écartait pour la prendre à revers.

Un rayon brûlant s’écrasa contre la table et frôla sa joue.

« Allez, poupée, sors de là ! beugla Dany avec un rire gras. Viens dire bonjour à papa ! »

Soudain, la Mort Rouge cessa d’avoir peur et décida de réagir. Elle avait perdu son seize-coups mais n’était pas désarmée pour autant. D’une main ferme, elle s’empara d’un couteau dans sa botte et utilisa le miroir pour ajuster son tir. La lame fendit l’air à toute vitesse et se planta dans le ventre de Dany, qui poussa un rugissement de douleur. Au même moment, elle activa ses propulseurs et prit appui contre le mur pour charger ses ennemis. Josh comprit le danger, fit feu à plusieurs reprises. Hélas pour lui, le plasma s’écrasa sur la table basse que la Mort Rouge brandissait devant elle avec l’énergie du désespoir. Elle percuta le truand de plein fouet, l’envoyant voler en bas des escaliers. Sans attendre, elle s’empara du manche de son poignard et éventra Dany du plexus solaire jusqu’à l’aine. Le lourdaud hurla et elle le fit taire définitivement d’un coup à la carotide. Oni retira sa lame de la plaie béante, dégaina son deuxième couteau et se prépara à affronter son compère. En bas des marches, Josh se releva et tituba jusqu’à son arme.

« Ça, tu vas me le payer, salope ! »

Le tueur fit feu à deux reprises, mais ses mains tremblaient et il n’était plus aussi confiant sans son copain musclé. La Mort Rouge évita les rayons d’un bond sur le côté et visa d’instinct. Son premier lancer le cueillit à l’épaule et lui fit lâcher le revolver ; le second couteau transperça son estomac. Le truand poussa un cri de douleur et tomba à genoux, les deux mains plaquées sur son ventre. Oni se précipita en bas de l’escalier et lui asséna un coup de pied qui lui fracassa la mâchoire. Josh partit en arrière et s’écrasa contre la porte d’entrée. Oni s’avança et le toisa avec froideur.

« Pour qui tu travailles, ordure ?! Réponds-moi ! »

Elle l’attrapa par les cheveux et le cogna plusieurs fois. Pour toute réponse, l’assassin lui cracha un mollard sanglant au visage. Oni s’essuya d’un revers de manche et lui colla le canon de son propre revolver sous le menton.

  • Tiens, c’est pour ta sale gueule. Peut-être qu’après ça tu apprendras à respecter les femmes. »

Elle fit feu et de la cervelle gicla sur le mur. C’était un sombre tableau que cette jeune femme dans son salon dévasté, couverte de sang devant les cadavres des deux hommes. Oni abandonna son arme, vérifia qu’elle n’était pas blessée et pressa un bouton sur son pendentif.

« Villock, recharge tes batteries et viens nettoyer ça en vitesse. Les restes de ces porcs ruinent ma décoration.

  • Tout de suite, Oni Keltien mademoiselle. »

Tandis que l’automate se branchait sur son alimentation, Oni retourna près de la cheminée et examina les impacts dans le mur. Le plasma des tueurs avait fait fondre les feuilles d’argent qui décoraient les briques. Son regard se posa sur la toile de maître, dont il ne restait que des lambeaux en train de se consumer. De rage, elle hurla et fracassa le cadre de toutes ses forces. La Mort Rouge s’en voulait d’avoir sous-estimé la menace. À cause de son arrogance, ces deux abrutis avaient failli la tuer. C’était une erreur qu’elle ne reproduirait pas. Mais surtout, elle enrageait contre l’ordure qui avait envoyé ces hommes de main chez elle. Où qu’il soit, elle ne le laisserait pas s’en tirer comme ça. Oni tuerait ce salopard. Josh ne lui avait pas donné de nom, mais elle n’avait pas besoin de ce minable pour deviner l'identité du commanditaire. Il n’existait qu’une personne sur Irotia qui connaissait l’existence de sa planque et oserait s'en prendre à elle.

Son ancien patron, Ludo Willys.

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