Chapitre 1
Sur le chemin de ta vie,
Tu verras un grand gouffre. Saute.
Il n'est pas aussi profond que tu le penses.
Proverbe Amérindien
Dernière ligne droite avant destination d’après mon GPS devenu muet. Ma Chevy vibre de tous ses membres sous le roulis de la Silver Pike Dirt’ Road. Coup d’œil dans le rétroviseur. Brouillard orangé.
N’importe qui à des kilomètres à la ronde ne peut désormais ignorer ma présence dans cette immense trouée désertique. Mais après tout, c’est aussi bien si je m’égare.
Toujours pas l’ombre d’une tuile de ranch. Une ferme avec plusieurs corps de bâtiments, ça se voit quand même !
La route de terre battue, bordée de solides chênes biscornus, se rétrécit bientôt. Son tracé est attaqué par une armée de touffes voraces d’herbe sèche qui la gangrène centimètre par centimètre. Il s’évanouit dans une longue étendue monotone, hérissée de honchets fragiles, surmontés de fines têtes jaunies par le soleil.
Je roule encore quelques mètres au pas sur le sol oxydé et caillouteux, à l’affût d’un signe, d’un bout de toit, mais rien.
Je finis par m’arrêter. La Silver Pike Road se termine là, dans cette plaine paresseuse que seule la montagne arrête. Aucun panneau indicateur en vue. Aucun layon, aucune tortille.
J’ai raté quelque chose. Vitesse P et rapide tour d’horizon. Dans mon dos, la route vaporeuse. Face à moi, la montagne. À droite, les arbres et à gauche, la prairie. D’une quelconque bâtisse et d’une âme qui vive, pas la moindre trace. Merde !
Je descends de la voiture recouverte de poussière, fais quel-ques pas, tourne sur moi-même. Je suis seule au milieu de nulle part, selon la formule consacrée. Je scrute l’horizon, tends l’oreille. Hormis les oiseaux, aucun bruit. Cinq heures de route sous quarante-cinq degrés à l’ombre, dans un décor sans fin de rocailles, cactus et broussailles, pour finir dans une plaine perdue.
Heureusement, j’ai mon téléphone portable. Si la situation se prolonge, je joindrai Elaine Callahan, la propriétaire du Silver Pike ranch, ma destination finale. Oui, mais… plus de couverture satellite. Je m’imagine déjà repartir vers Douglas, la ville à quatre-vingts kilomètres de là, que j’ai traversée il y a une heure, quand soudain j’entends une galopade au loin. Je me retourne. Tout au fond de la prairie deux cavaliers, sortis de nulle part, foncent droit sur moi.
« Deux cavaliers, qui surgissent hors de la nuit, courent vers l’aventure au galop… »
Sauf que là, je ne suis pas sûre d’avoir affaire à des sauveurs. Je ne les distingue pas très bien mais ils m’inquiètent. Ils filent ventre à terre sur moi comme sur une proie. Leur proie.
Par prudence, je regagne la voiture, verrouillant machinalement ma portière. Réflexe débile, puisque les vitres sont baissées à fond. Depuis ma tanière, je les observe. Ils approchent à une vitesse d’enfer. À vingt mètres de moi, ils ralentissent à peine. Ils ne vont quand même pas sauter par-dessus la Chevrolet ? Dix mètres, cinq mètres… Ils stoppent enfin leur monture, naseaux en l’air et pieds piaffants.
Face à moi, deux cowboys armés de colts à la ceinture, qui me fixent en silence en maîtrisant leurs chevaux encore agités de leur cavalcade. Le plus jeune a la peau cuivrée des Indiens.
— Hi, dis-je avec précaution.
Ils répondent à mon salut sans un mot ni un sourire, portant juste deux doigts au rebord de leur chapeau. Celui que j’étiquette ‘indien’ a une petite quarantaine d’années. Il me détaille avec des yeux perçants et une mine fermée. Il est grand, vu la longueur de ses jambes, mince et beau gosse. Il se dégage de lui une assurance fauve, qui me catapulte aussitôt dans la peau des colons qui, deux siècles plus tôt, s’aventuraient sur ce territoire inconnu et faisaient leur première rencontre avec ceux qu’ils nommaient les ‘sauvages’.
Son acolyte est un homme blanc de taille moyenne, trapu, au visage poupon, barré d’une grosse moustache grisonnante. Il porte les petites lunettes rondes du siècle dernier. Je ne peux que deviner son regard immobile dans l’ombre de son stetson. La situation semble l’amuser.
Comme avant un combat, on se jauge. Les secondes me paraissent une éternité. Enfin, l’Indien, toujours muet, talonne son cheval bouillonnant jusqu’à quelques centimètres de ma voiture. L’agitation et l’aigre odeur de transpiration de l’animal m’agressent. Je me recule. L’homme pose alors une main sur l’encolure de son étalon, qui s’apaise aussitôt comme envahi d’un fluide invisible. Wow.
De sa position en altitude, mon interlocuteur braque sur moi des yeux inquisiteurs. Je ne sais pas à quel jeu il joue mais je suis fatiguée et pressée de me poser… avant la tombée de la nuit qui sera là dans une demi-heure. Je ne sais même pas où se trouve Silver Pike. Alors, son cinéma…
Un semblant de rictus se dessine sur ses lèvres. Tout à coup, sans me quitter des yeux, il s’abat sur moi, portant son visage à dix centimètres du mien. C’est l’humour du coin ? Je vais me marrer à Silver Pike. Me taper des barres.
Ses yeux sombres me fixent sans agressivité, mais sans complaisance non plus. Intenses. Bruts. Presque brûlants comme un laser noir métal, qui se promène sur mon visage, mes cheveux, mon bras, le haut du corps. Il va me renifler comme une bête sauvage ?
J’en profite pour l’examiner aussi. Sa peau cuivrée, ses pommettes hautes, son nez droit, ses petits yeux noirs intenses me confirment qu’il est bien un Native American. Il a le parfum de la vie au grand air.
Bon, son cirque a assez duré. J’en ai marre. Je m’apprête à lui envoyer un scud de mon crû quand il ouvre la bouche et débite une phrase qui me plonge dans un désarroi total. À part le « Hi » du début et le « M’ame » de la fin, je n’ai rien compris.
Je soutiens dignement son regard de marbre et articule sur un ton qui se veut ferme :
— I beg your pardon, I did not quite understand what you said.[1]
Il reste figé, toujours impénétrable, avant de se redresser aussi brusquement qu’il s’était mis à mon niveau. Son visage reflète une ombre de perplexité. Il soupire puis s’élance dans une nouvelle tentative.
Mais, mec, si tu ne changes pas ta manière de parler, tu élimines un paquet de chances que je te comprenne ! Grand moment de solitude que je comble avec mes mains ouvertes en signe d’embarras. Une réaction, qui provoque chez mon interlocuteur une autre expression, encore moins encourageante que la première. Un soupçon d’exaspération.
Il se tourne vers son pote pour dire « Qu’est-ce qu’on fait ? » Encéphalogramme plat du cowboy. Pas un mouvement ni une parole. Hermétique, le copain. Le beau gosse se retourne vers moi. J’en profite pour glisser le nom du ranch. En guise de réponse, il hoche de la tête et d’un large geste du bras, me fait signe de les suivre. Une invitation qui me fait en conclure que je suis au bon endroit et que, peut-être, je fais face au comité d’accueil. Pas très chaleureux, ce welcome. Je voulais du dépaysement ?
J’ai l’air fin au volant de ma Chevy à suivre au pas la croupe des chevaux de deux types que je ne connais pas et qui m’emmènent vers une destination que j’espère être la bonne. Je les étudie de dos. J’ai le vague sentiment qu’ils se moquent de moi, surtout quand l’indien se retourne dans ma direction en me dévisageant, un sourire narquois aux lèvres. Sont-ils les zigotos qui vont me coacher dans mon apprentissage cowgirl ? Si c’est le cas, ça promet.
Une bonne centaine de mètres plus loin, je franchis un porche. Sur de solides piliers en bois, un lourd fronton en fer forgé annonce Silver Pike Ranch. J’y suis ! Soulagement et grincement. Je vais passer mes prochains jours avec ces deux renfrognés. Pourquoi cet accueil acide ? Ils n’aiment pas les étrangers ? Ils sont misogynes ? Pourtant, Elaine, au téléphone, m’a parlé de blissful pour décrire le ranch. C’est même à ce mot – bienheureux – que j’ai su que j’avais trouvé the place to go.
Silver Pike est un ranch familial de plus de vingt mille acres[2], accueillant maximum dix pensionnaires qui peuvent participer aux travaux de la ferme. Pas d’internet ni de liaison satellite. Pas de chaîne à la patte ni de mouchard. De l’authentique au milieu d’une nature sauvage. Le paradis, quoi.
Mon inscription a été validée quand Elaine a été rassurée que je savais monter à cheval, que je n’avais pas peur de me salir les mains, que j’aimais l’aventure et ne craignais pas les caractères rugueux. Maintenant, je comprends. C’est ça, l’ambiance blissful ? Et les Américains osent dire que les Français sont rude[3] ?! Parce que pour eux, j’ai l’étiquette cent pour cent française, même si j’ai indiqué sur ma fiche ma double nationalité. Franco-suisse. Bilingue de naissance. Français, suisse romand. Mais ici, la France se résume à Paris, et la Suisse et la Suède ne font qu’un.
Aux abords d’un long virage en pente douce, je découvre les premiers bâtiments, totalement cachés par l’écran de hauts arbres touffus que je voyais tout à l’heure depuis le champ. Elaine aurait pu me dire que la ferme n’était pas visible depuis la route.
Je ne peux pas croire que je sois la première à me perdre, auquel cas l’arrivée triomphale de mes ‘sauveurs’ n’est pas si fortuite. Je ne serais pas étonnée qu’à chaque nouvel invité, ils se tiennent en alerte pour récupérer les brebis égarées.
À l’allure d’escargot handicapé où on avance, j’ai toute la liberté d’examiner ce qui va être mon nouvel environnement. À l’entrée du ranch, sur la droite, une maison avec un jardinet, en face un parking où sont déjà garés deux véhicules. Un peu plus loin, un muret derrière lequel trône un vrai charriot de pionnier. Sur la gauche, une longue construction en dur avec différents pans de toits. Je la reconnais. C’est celle qui figure sur les photos du site internet du ranch. Elle est séparée des autres structures par une large langue de terre battue qui se perd au loin.
L’indien s’arrête subitement, tandis que son acolyte poursuit son chemin sans se retourner, sans un signe. Je freine. Mon guide m’indique le parking de son index gauche, pas plus chaleureux que le ton de sa voix de tout à l’heure, et en me regardant à peine. Puis toujours placide, il reprend sa marche, alors que j’entame ma manœuvre. Blissful…
17h45. Le jour décline. Je coupe le moteur. Gros soupir. Je suis arrivée avant la nuit.
L’endroit est calme, silencieux, très loin de la frénésie de Phoenix, la capitale d’Arizona avec ses millions d’habitants. En cette année 2008, la campagne présidentielle bat son plein. Comme toutes les big cities, Phoenix est envahie d’affiches et de spots publicitaires des deux candidats en lice, le charismatique Barack Obama et la figure emblématique du coin, John Mc Cain, vénéré vétéran du Vietnam. Si les démocrates l’emportent, 2008 marquera un tournant décisif dans l’histoire du pays avec le premier homme de couleur à ce poste.
Trois jours durant, j’ai subi le tapage électoral, dont je connaîtrai le résultat à mon retour. Trois jours pour me remettre des neuf heures de décalage horaire entre Genève et Phoenix, constituer ma panoplie cowgirl et louer ma voiture.
J’ai quitté mon hôtel ce matin vers dix heures, après que deux jeunes grooms en charge de ma grosse valise l’aient déposée dans le coffre de la Chevrolet. J’ai abusé de leur hébètement devant la Frenchie que je suis, pour qu’ils paramètrent mon GPS, une grosse boîte noire de vingt bons centimètres de haut, dix de large sur dix de profondeur. Elle est ventousée sur le pare-brise, à droite du volant. Sa taille est harmonisée à celle du pays et de la voiture. Knight Rider, c’est son nom, le même que le titre original de la série TV des années quatre-vingt[4] avec David Hasselhof. Mon Knight Rider est beaucoup moins sexy, du genre mastoc, mais il m’a été bien utile pour mon voyage jusqu’à Silver Pike.
Car, les premiers miles ont été tendus. En plus de m’habituer à la boîte automatique de mon paquebot de location, j’ai dû m’assurer que j’étais dans le bon sens sur l’Interstate 110 à multiples voies. Mon regard naviguait continuellement du rétroviseur au GPS, du GPS aux panneaux indicateurs, de la signalisation au compteur… en miles !
Sur le tronçon Phoenix-Tucson[5], j’ai croisé des délires automobiles. Un Big Foot rouge pimpant, dont les roues ont plus d’un mètre cinquante de diamètre et des jantes alu ailées. On l’entend arriver avant de le voir, avec son bruit de grosse caisse sifflante qui frappe le bitume. Le conducteur est invisible du haut de son cockpit. Autre modèle tout aussi déjanté, une limousine 4x4 au châssis surélevé. Sur le toit, une série de planches de surf bariolées. Intéressant en plein désert. L’esprit américain no limit dans toute sa splendeur.
À Douglas, scène du film Arizona Dream, pas de trace de Johnny Depp ni Faye Dunaway mais des centaines de Mexicains qui rentraient chez eux. J’ai fait une halte à la station-service pour refaire le plein d’essence. J’ai profité de la bonne couverture satellite pour appeler mes enfants, que j’ai laissés aux bons soins de mes parents.
Aux Etats-Unis, le réseau téléphonique est en pointillés dès qu’on s’évade des villes. Mieux vaut ne pas tomber en panne en rase campagne.
Ici, en Arizona, elle ressemble à de longues lignes droites, tirées sur de gigantesques plaines moutonneuses et arides, entrecoupées de remparts rocheux aux formes improbables. Un paysage sauvage infini, dépeuplé aussi. Les habitations sont rares, parfois regroupées autour d’une place plombée par le soleil… et déserte. Car les résidents ne sont pas légion… comme sur les routes.
Sur l’AZ80, j’ai roulé presque deux heures avant de croiser une première voiture. Elle a déboulé alors que j’admirais un imposant panorama aux couleurs Roussillon, hérissé de saguaros[6], ces arbres-cactus pouvant peser jusqu’à plus d’une tonne, quand ils sont gorgés d’eau après un orage. Le conducteur a ralenti à ma hauteur, s’inquiétant si tout allait bien. Dans cette immensité isolée et déconnectée, l’entraide est un must. Je lui ai montré mon appareil photo, l’ai remercié et il est reparti, ravi et rassuré.
— Tu nous décris où tu es ? M’ont demandé mes bambins excités.
La station-service et ses véhicules ne leur ont pas paru glamour. Je leur ai promis des photos du ranch. D’ici là, ils se contenteront des images du site internet. Le tri des bêtes, le corral, les soirées autour du feu, les chevauchées dans les montagnes… La propriété se situe aux confins sud-est de l’Arizona, totalement paumée au cœur des montagnes Chiricahua, en plein désert de Sonora. Un petit morceau du vaste territoire des Apaches Chiricahua, ceux des montagnes dans leur langue. Leurs héros s’appellent Cochise ou Geronimo. Pays de légendes qui me fait rêver.
À cette minute, derrière le volant, les étincelles dans mes yeux pâlissent. Je m’étais bêtement imaginé un accueil convivial, saupoudré de curiosité. Car, non seulement je suis une cliente de plus en cette période de crise mais je suis aussi leur première Européenne. Elaine me l’a appris au téléphone en confirmant mon inscription. Eh bien, le côté chaleureux, j’oublie.
Je m’extirpe de la voiture, contente de me dégourdir les jambes et pouvoir enfin me poser. Mais… autre surprise. Le soleil disparaissant, la température extérieure a dégringolé. Je grelotte dans ma petite tenue d’été face aux quinze degrés ambiants. Je suis loin des tièdes soirées de Phoenix.
Debout à côté de ma Chevrolet, tremblotante, j’inspecte du regard les environs à la recherche d’un indice, qui me guiderait vers la réception. Mais rien. Le ranch semble inhabité.
Brusquement, en face du parking, j’aperçois une femme blonde, petite et vive, qui se précipite à ma rencontre en agitant fiévreusement les mains. Elaine. Le personnage est conforme à sa voix claire et dynamique à l’autre bout du fil. Du pep. Des yeux clairs pétillants, un sourire amical. Un vrai rayon de soleil ! Le premier de Silver Pike.
Elle me présente ses excuses de ne pas m’avoir entendu arriver, m’exprime sa joie de me recevoir, me demande if I had a good trip. Je confirme. Le voyage était plaisant, fascinant. Elle s’enquiert ensuite de bien prononcer mon nom et elle se débrouille bien. Son Cyrielle Grangier est pas mal du tout. Me voyant transie, elle m’entraine to my suite, comme elle l’appelle. La numéro huit.
— Ne vous occupez pas de vos bagages. L’un de nos cowboys vous les amènera.
L’Indien ou le taiseux ?
Elle me fait signe de la suivre sans attendre. Ici, on ne verrouille pas les voitures. Par précaution et habitude, je prends mes objets les plus précieux, glissant à mon épaule mon sac à main et la mallette où je range mon matériel électronique et mes CDs. Il y en a un, auquel je tiens en particulier. L’enregistrement de mon tout premier concert devant deux cents personnes lors de la fête de la musique en juin dernier. Pari avec des amis zicos. Je l’ai écouté en boucle en venant, à fond les tympans.
Sur le chemin, Elaine me liste les résidents du ranch, permanents et invités. Nous sommes neuf. Outre Mark, son mari et elle, les propriétaires, il y a les deux cowboys qui m’ont accueillie dans la prairie, un polyvalent, un couple de New York et une femme de Denver, Colorado. Tous, américains. Je suis la seule étrangère. Full immersion. Je suis aux anges.
Elaine me donne ensuite des points de repère dans la propriété. Ici, la cuisine, la salle à manger et le salon. Là-bas, le paddock, les hangars, les remises, la sellerie et tout au loin, le corral. Et à l’infini, les montagnes, les prairies arides et le désert.
— Qu’est-ce qui vous a donné envie de venir dans notre ranch ?
Tiens, elle m’a déjà posé la question au téléphone. Elle a oublié ma réponse ?
Donc, je répète. Je cherchais un ranch familial où je pourrais apprendre le métier de cowgirl, participer à la vie de la ferme, découvrir leur quotidien, monter à cheval dans ce Far West tellement décrit dans les films. Je voulais voir la réalité. Et puis, je ne suis pas une grosse fan des foules, des endroits bruyants. Donc, Bingo avec Silver Pike qui avait de la disponibilité.
— Et comment vous nous avez trouvé ?
— Par internet, sur le site des Dude Ranches.
Elaine hoche une tête satisfaite. Moi, je soupire intérieurement. J’ai réussi à cacher la motivation première de mon voyage ici. Au-delà du tourisme d’aventure, je suis venue faire une pause dans ma vie, qui n’a plus de sens, qui part à volo.
Je vais mal. Dans ma tête, c’est le chaos. Je ne frise pas que le burn-out. Je crains la folie. En moi, je ressens un trou noir qui m’aspire inéluctablement. J’ai aussi l’impression d’une bête tapie dans un coin de ma tête, prête à me dévorer le cerveau à la moindre relâche. Je ne peux plus continuer comme ça. Je dois tout remette à plat. Me débarrasser de ce qui m’empoisonne, habitudes et personnes.
Tout se mélange dans ma tête. J’ai besoin de calme, de dépaysement, d’air frais. Débrancher. Et pour être sûre de ne pas être tentée de repartir chez moi, tenaillée par la culpabilité d’avoir abandonné mes enfants, j’ai mis une barrière de neuf-mille kilomètres.
Sur le seuil de ma chambre, elle me quitte avec un petit sourire désolé, me souhaitant une bonne installation. Elle doit finir de préparer le dîner.
La différence entre Elaine et les garçons équivaut aux vingt degrés d’écart entre Phoenix et Silver Pike. Sait-elle l’accueil qu’ils réservent à leurs clients ? Les reçoivent-ils tous de cette manière ou est-ce un traitement de faveur qu’ils m’accordent ?
Mon séjour s’annonce très rock’n’roll. Hi Ha !
[1] Désolé, mais je n’ai pas compris ce que vous avez dit
[2] Moins de 10000 ha. 1 acre= 40 ha.
[3] Grossier, rustre.
[4] Dans les pays francophones, la série s’appelle K2000, avec la voiture-ordinateur, Kit.
[5] Prononcer Toussone
[6] Prononcer sawaros

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