Chapitre I partie 1

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Chris se redresse brusquement dans son lit. Haletant et le cœur sur le point de sauter de sa poitrine, il fait de son mieux pour retrouver une respiration normale. Dehors, la neige tombe à gros flocons, parant doucement la ville d’un manteau blanc. Huit heures sonnent à l’horloge de l’église voisine.

Ce n’est pas le premier cauchemar que fait Chris depuis la disparition d’Yvan quelques mois auparavant, mais l’intensité de ce dernier a pour lui quelque chose d’inhabituel. Comme tant d’autres matins avant, il se rallonge, puis fixe le plafond de sa chambre afin de laisser le temps à son esprit de se désembrumé. Après plusieurs minutes d’effort, il parvient à se calmer suffisamment pour s’extirper de son lit. L’atmosphère est particulièrement glaciale ce matin de février. Il enfile un sweat-shirt qui traîne sur une chaise et se dirige vers la cuisine pour s’y préparer un café. Assis devant sa tasse, face à l’unique fenêtre de la pièce, il laisse son esprit vagabonder dans l’hypnotique ballet des flocons qui tombent dans la rue.

« Où es-tu ? »

Cette question s’impose en permanence dans son esprit depuis ce funeste jour de novembre, lorsque la police est venue lui annoncer la terrible nouvelle. Même si pour eux, Yvan est simplement parti pour couler des jours plus heureux en changeant d’identité, Chris sait que ce n’est pas le cas – l’amour qui les unit va bien au-delà de la compréhension de simples agents des forces de l’ordre, même si elle leur est invisible. Il secoue la tête, soupire longuement.

« La vie continue… » pense-t-il avec amertume.

Il se relève et s’approche de la fenêtre. Au pied de son immeuble, deux bandes de gamins font une bataille de boules de neiges, propulsant leurs projectiles en direction du trottoir opposé, sur l’équipe adverse. Chris esquisse un sourire amer face à l’insouciance du monde qui continu à tourner malgré sa douleur. Un pincement lui serre subitement le cœur, il éclate en sanglot.

Quelques minutes plus tard, sous une douche bouillante, il tente de remettre ses idées au clair lorsque le tintement de la sonnette le fait sursauter. Il se précipite hors de la salle de bain en enroulant une serviette autour de sa taille, trempé de la tête aux pieds. Mais lorsqu’il ouvre la porte, il n’y a personne.

— Ces sales gosses ! grommelle-t-il.

Le froid lui mord la peau avec une telle ardeur qu’il retourne vivement à l’intérieur. Frustré et nerveux, il se dirige vers la salle de bain pour finir de s’apprêter. C’est au moment d’en sortir que sa mémoire lui rappelle la date du jour : celle de son anniversaire. Il prend quelques secondes de réflexion pour trouver un moyen de rendre cette journée agréable. Ce sont les vacances d’hiver et comme chaque année, il sait que la plupart de ses proches profitent des pistes enneigées.

— De l’alcool ! Voilà ce qu’il me faut ! annonce-t-il à haute voix en esquissant un sourire sarcastique.

N’ayant jamais apprécié se retrouver seul au restaurant, il prend le chemin du supermarché dans la perspective de se concocter un repas de circonstance. Arrivé à la caisse pour payer ses achats, il remarque que sa carte bancaire n’est plus à sa place, dans son portefeuille. Ce n’est pas la première fois. Il renverse le contenu de son sac sur le tapis de caisse devant une queue de chalands plus maussades les uns que les autres.

— Ah ! La voilà, s’exclame-t-il en la trouvant coincée dans la doublure.

Mais les autres clients ne partagent pas son enthousiasme, certains le fusillent du regard. Il la tend à la caissière et s’apprête à remettre ses affaires dans son sac, lorsqu’un objet brillant attire son attention.

« Une clé ? »

Une drôle de sensation s’empare de lui à mesure que sa main s’approche de l’objet, mais le regard incisif de la caissière le convainc de ne pas s’y attarder, il la glisse dans une poche de sa besace.

De retour chez lui, les bras chargés, il laisse tomber son sac sur le fauteuil du salon, mais ce dernier rebondit et se déverse sur le sol.

— Manquait plus que ça ! soupire-t-il en roulant des yeux. Bah, il ne tombera pas plus bas !

Dans sa cuisine, absorbé dans son rangement, le nez dans son réfrigérateur, un bruit l’interpelle soudain, lui faisant relever violemment la tête qu’il cogne à la porte. Tout en se frottant le crâne, un « y a quelqu’un ? » lui échappe d’instinct. Mais il n’obtient aucune réponse. Puis, le son se fait à nouveau entendre – doux et harmonieux, presque irréel, tel une mélodie étouffée que quelqu’un jouerait sur un instrument inconnu.

Armé d’une cuillère en bois, Chris fait le tour de son appartement en prenant soin d’allumer toutes les lumières, persuadé de tomber sur un intrus. Fort heureusement pour lui (et son ustensile), l’appartement s’avère désert.

— Cela venait peut-être de chez les voisins… les murs sont épais comme du carton !

Rassuré par cette pensée, il se dirige vers la cuisine lorsqu’il remarque que le contenu de son sac est toujours éparpillé sur le sol du salon.

— Quelle idée d’avoir un sac aussi grand ! dit-il en secouant la tête.

Alors qu’il s’agenouille pour ranger ses affaires, son regard est attiré par une photo – lui et Yvan sur une plage de Bretagne, assis dans le sable, regardant le soleil couchant. Il soupire, un sourire attendrit se dessine au coin de ses lèvres, lorsque le souvenir de la clé lui saute aux yeux. Tandis qu’il glisse la photo dans son portefeuille, une étrange hâte de retrouver l’objet s’insinue dans son esprit, comme s’il s’agissait d’une question de vie ou de mort. Cependant, impossible pour lui de remettre la main dessus.

— L’aurai-je rêvée ?

Une intense sensation de déception lui enserre subitement le cœur. Sans s’en formaliser, il se relève et retourne à la cuisine pour terminer son repas.

Dans la soirée, emmitouflé dans un plaid douillé et lové dans son canapé, Chris lève son verre pour se souhaiter un joyeux anniversaire. Son regard se brouille et il laisse échapper un sanglot – c’est le premier qu’il fête sans Yvan, l’amour de sa vie. En presque vingt ans de vie commune, aucun d’eux n’avait jamais raté celui de l’autre. Il sort son smartphone de sa poche et fouille dans les milliers de photos. Son doigt s’arrête, un souvenir intense, celui d’une demande en mariage. Sa bouche se serre, il laisse couler ses larmes. Puis, aidé par Dionysos, Chris finit par glisser dans les bras de Morphée, à même le canapé.

En plein milieu de la nuit, le même son étrange qu’il avait entendu plus tôt, le tire de sa torpeur éthilique. Croyant rêver, il se frotte les yeux et reste dubitatif plusieurs secondes avant de réaliser qu’il est bien réel. Aussitôt, son regard est attiré par un halo bleuté sous la table basse. Éclairé par la faible clarté du téléviseur, il se baisse pour voir de quoi provient l’éclat lumineux.

Sur le tapis, à moitié cachée par un paquet de mouchoirs en papier, la clé irradie une lumière iridescente, hypnotique. Une forte et subite sensation de soulagement s’empare de Chris lorsqu’il la prend aux creux de ses mains.

De prime abord, l’objet ne ressemble en rien à une clé ordinaire : ciselée et façonnée dans un métal chatoyant, semblable à du platine, la serrure qu’elle ouvre doit être très complexe vu la forme de son panneton – deux triangles en arabesques se superposent, tandis qu’un losange ciselé d’étranges symboles est piqué a son extrémité. Sur sa tige s’enroule une inscription tortueuse, formant une phrase dont les lettres ressemblent à des hiéroglyphes égyptiens. Quant à son anneau, il s’agit d’un arbre fantaisiste, aux branches arrondies et aux racines entrelacées – une épée plantée dans son tronc, un unique fruit dans son feuillage.

— D’où tu viens ? demande Chris à haute voix.

Il ne reçoit évidemment aucune réponse, seul l’hypnotique scintillement de l’objet redouble. Totalement muet d’incompréhension, Chris reste à quatre pattes et, sans s’en rendre compte, ses paupières se font de plus en plus lourdes. Devant le psychédélique ballet que lui offre l’objet, il finit par s’écrouler, s’endormant subitement à même le sol.

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