Chapitre I partie 3
Elle tend la main, comme pour la toucher, puis s’arrête net en fermant les yeux. Son souffle s’accélère, elle prend une grande inspiration, puis expire avec plénitude. Abasourdi par sa beauté et ses propos, Chris reste bouche bée, la dévisageant comme si c’était la première fois qu’il voyait un autre être humain.
« Elle voit la clé comme je la vois, et elle semble s’y connaître ! »
— Comment savez-vous tout ça ? demande-t-il, méfiant.
— J’en ai entendu parler, là d’où je viens.
— Alors, que pouvez-vous me dire de plus ?
— Je suis malheureusement contrainte de ne pas vous en dire davantage…
Le visage de la belle se ferme subitement, ses traits se figent.
— Sachez qu’il s’agit là d’un objet extrêmement rare, tout comme l’étroit et puissant lien qui vous lie à elle depuis la seconde où vos yeux se sont posés sur sa splendeur.
Chris considère la jeune femme avec attention, ses mots résonnent dans sa tête. Puis un flot de questions l’assaille, le laissant muet d’incompréhension.
— Je m’appelle Line, et vous ? le coupe-t-elle dans sa réflexion.
— Chris… bredouille-t-il comme s’il n’en était pas certain.
— Je suis enchanté de vous connaître, cher Chris, mais je dois m’en aller.
La magnifique inconnue se retourne, prête à l’abandonner comme une voleuse.
— Partir ? Mais vous n’y pensez pas ! J’ai des milliers de questions à vous poser ! l’invective-t-il, surprit par son empressement.
— Je suis sincèrement désolée pour le trouble qui vous envahi, mais il incombe à l’élu de trouver la serrure qui correspond à sa clé. Alors seulement, vous obtiendrez les réponses à vos questions.
La jeune femme se fige à nouveau, son regard d’émeraude se durcit, ses lèvres tremblent. Ses yeux s’affolent autour d’eux, puis elle se penche à son oreille.
— Restez sur vos gardes et méfiez-vous des apparences, murmure-t-elle. La magie qui l’anime est ancienne et puissante, ce qui ne la rend pas moins convoitée. Défendez-la de toutes vos forces, votre vie et celle de tant d’autre en dépend.
Sans plus de convenances, elle se relève, puis disparaît précipitamment entre les lourds rideaux de velours.
— Attendez une seconde ! hurle Chris en reposant en catastrophe le livre qu’il tient.
Descendant en trombe de l’échelle pour la rattraper, il rate le dernier échelon, fait une roulade en avant, puis reprend son équilibre avec une aisance qui le déconcerte. Sans prendre le temps de s’y attarder, il coure jusqu’à l’extérieur de la bibliothèque, en vain – la belle Line a déjà disparue, évaporée dans la foule grouillante de la ville.
Sans attendre, il attrape son agenda pour y noter les quelques informations distillées par l’énigmatique inconnue, avant de les oublier. Un flot de questions lui embrouille l’esprit tandis qu’il chemine jusqu’à l’arrêt de bus. Une fois assis dans ce dernier, il ne peut s’empêcher de repenser à ses dernières paroles, à la gravité de ses mots, de son expression.
« Qu’a-t-elle voulu dire ? »
Un mouvement brusque l’extirpe de ses pensées – deux jeunes hommes, d’un très mauvais genre, embêtent une jeune femme assise dans la rangée de sièges sur sa droite. Leur technique de drague n’est pas au point. Si bien que la jeune femme se lève pour changer de place. Mais l’un des deux hommes la repousse sur son siège, s’asseyant à côté d’elle pour la bloquer. Lorsqu’il tente de lui caresser la joue, elle le gifle d’un revers de main bien méritée. Blessé dans son ego, l’importun riposte en l’attrapant violemment par les cheveux, l’inondant d’un flot d’insultes misogynes au passage.
Un intense sentiment de rage face à cette injustice envahit subitement Chris qui, sans s’en rendre compte, s’est levé pour les confronter.
— Laissez-la tranquille !
— Et on peut savoir ce que tu vas faire, pédale ? rétorque celui resté debout.
Aussitôt, il tente de frapper Chris au visage, mais ce dernier l’arrête dans sa foulée en l’attrapant par le poignet. Dans un mouvement si rapide qu’il en perd presque l’équilibre, Chris le projette entre deux sièges, sur le dos. L’autre se lève et essaye à son tour de lui asséner un coup. Malheureusement pour lui, Chris l’évite et lui enfonce son poing dans le ventre. L’incongru s’écroule en poussant un gémissement, avant que son comparse ne le tire par la capuche de son sweat-shirt pour s’enfuir du bus.
Chris ne s’est jamais battu de toute sa vie et pourtant, il se sent incroyablement bien, prêt à en découdre à nouveau, comme si sa confiance en lui venait de crever le plafond. Il se penche vers la jeune femme et l’aide à se relever – une jolie brune, aux cheveux en carré, avec de grands yeux marron. Un physique plutôt banal et toutefois, quand leurs regards se croisent, Chris a la sensation de la connaître.
— Merci. Merci beaucoup, dit-elle la voix pleine de gratitude. Je ne sais pas comment je m’en serais débarrassé sans votre intervention.
— Je vous en prie. J’espère qu’ils ne vous ont pas blessé ?
— Non, je vais très bien, merci.
À peine a-t-elle fini sa phrase, qu’elle se précipite à l’extérieur. Chris n’a pas le temps de s’attarder sur son comportement que le chauffeur lui tape sur l’épaule pour le féliciter.
Satisfait d’avoir pu aider quelqu’un, mais dubitatif devant l’excès de confiance et de sang-froid dont il vient de faire preuve, Chris regagne son siège. L’idée qu’il puisse avoir des capacités insoupçonnées le fait éclater de rire, lui qui se considère comme un homme ordinaire. L’esprit serein et le cœur léger, Chris rentre chez lui, songeant au mystérieux lien qui l’unit à la clé.

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