Chapitre IV partie 1

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— Mon amour ?

Chris a du mal à ouvrir les yeux.

— Tu m’as tellement manqué… j’ai hâte de te serrer à nouveau dans mes bras…

L’endroit ébloui d’un éclat blanc, aveuglant, mais étrangement réconfortant, qui l’empêche d’apercevoir son interlocuteur. Brusquement, un visage surgit devant lui tel un spectre. Il ne peut en croire ses yeux.

— Yvan ? C’est bien toi ?

Sa voix résonne dans l’immensité immaculée, tandis que des larmes de joie dévalent ses joues.

— Oui, mon amour…

Yvan lui sourit, mais son visage s’aggrave subitement, ses traits se tirent.

— Je suis désolé, mais ils savent où tu es…

— Comment ça ? De qui parles-tu ?

— Sauve-toi… Vite…

Le ton alarmé de sa voix se répercute toute autour de Chris, avec une telle violence qu’il se couvre les oreilles. Le visage de son bien-aimé disparaît aussi brusquement qu’il était apparu et en une fraction de seconde, une épaisse pénombre s’impose, laissant Chris hagard. Doucement, il sent son équilibre vaciller, puis il bascule dans le néant.

Chris ouvre les yeux dans un sursaut, suant et haletant comme s’il venait de courir un marathon. Il fige son regard sur le plafond à lattes de bois brut qui lui est inconnu, se concentre pour reprendre son souffle et recouvrir ses esprits. Même s’il a du mal à y croire, il vient de parler à Yvan. Dans un rêve, mais cela n’était jamais arrivé auparavant.

Tout en se redressant, il scanne du regard l’endroit où il se trouve – une maisonnette d’une unique pièce, à la forme légèrement arrondie, avec en son centre un foyer circulaire en pierres grises duquel quelques braises laissent échapper un filet de fumée. Il ne remarque qu’une seule porte, mais quatre petites fenêtres en bois avec des croisillons laissent entrer une douce lumière, tandis que des arbres, aux couleurs automnales, se balancent dans le vent à l’extérieur.

Une grande étagère, remplie de vieux livres poussiéreux aux couvertures multicolores, est sur le point de s’écrouler – un pied cassé a été remplacé par une marmite en fer rouillé. Un tabouret, posé juste devant une petite table ronde peinte d’étranges fleurs sur son plateau, cache de petites boites en bois, fermées d’un couvercle enrubanné de corde de jute.

Des bougies, de formes et de tailles diverses, sont éparpillées dans la pièce où des bouquets de plante et de fleurs séchés pendent, accrochées aux poutres de la charpente. Le lit en bois clair sur lequel il est assis, dispose d’un matelas de foin plus moelleux et confortable que son aspect usé ne laisse croire. Une multitude de petits coussins de couleurs vives y sont éparpillés.

Subitement, un flot de souvenir traverse l’esprit de Chris – la chapelle, la porte qui se referme dans son dos, l’odeur étrange, le néant, un rêve…

« Yvan ! »

— La clé, hurle-t-il en tâtonnant pour la trouver.

Mais il est rapidement soulagé de la sentir à son cou. Pour se rassurer un peu plus, il la serre contre sa poitrine. L’objet est encore plus étincelant qu’avant, et la forme de son panneton s’est changée en un unique triangle gravé de figures géométriques. L’inscription sur sa tige est plus courte, et sur sa boucle, le fruit ainsi que les feuilles sont aux pieds de l’arbre. L’épée a disparu.

Une sensation étrange lui noue subitement les tripes. Une intuition funeste, un danger en devenir. Il se précipite pour voir au-dehors lorsqu’une nuée d’oiseaux s’envole sous la fenêtre, comme s’ils cherchaient à l’avertir d’un danger.

« Ils savent où tu es… sauve-toi… »

Les paroles d’Yvan reviennent en écho dans son esprit. Sans perdre une seconde, il se précipite à l’extérieur.

La bâtisse en pierres et au toit de chaume est plantée au milieu d’une clairière entourée par d’immenses arbres. Tournant sur lui-même à la recherche d’un endroit où se cacher, il repère un petit monticule de pierres, aux abords. Il court se rouler à côté du tas de cailloux, autour duquel de petits buissons, semblables à de la bruyère, font une couverture idéale. Un silence angoissant s’abat sur la forêt. Le temps semble suspendu à la douce respiration du vent qui s’engouffre dans les branches des arbres géants.

Avec une furtivité déconcertante, une vingtaine de silhouettes encapuchonnées de toges d’un blanc immaculé, surgissent de toutes parts. Dans leurs dos, brodé au fil d’argent, un arbre similaire à celui ciselé sur la clé. Leurs sabres dorés scintillent d’un éclat funeste. Un petit groupe pénètre dans la chaumière. S’ensuivent des bruits de fracas et de verre brisé. Lorsqu’ils en sortent, une épaisse fumée s’échappe par les ouvertures.

L’un d’eux s’approche de celui qui semble être leur chef et l’interpelle. Lorsqu’il se retourne et bascule sa capuche sur ses épaules, dévoilant ses longs cheveux blonds, Chris est pétrifié par son regard.

« Line ! »

Les prunelles émeraude de l’envoûtante jeune femme le saisissent. Il n’en croit pas ses yeux.

— Il ne peut pas être bien loin ! Fouillez les environs ! invective-t-elle ses hommes qui s’éparpillent aussitôt.

L’un d’eux s’approche de la cachette de Chris qui retient son souffle – il n’a aucune envie de savoir ce qu’ils lui veulent. L’individu pose son pied à quelques centimètres de sa main et, malgré lui, Chris étouffe un gémissement d’angoisse. Le soldat brandit alors son sabre, s’apprêtant à l’enfoncer dans les buissons, lorsqu’une nuée d’oiseaux bleus en jaillit.

L’individu fait deux pas en arrière en les chassant de sa main libre, laissant échapper un « sale bestioles » rageur. Il range son sabre dans le fourreau de cuir marron à sa ceinture, regarde autour de lui, puis retourne auprès de sa cheffe.

Chris lâche un râle de soulagement en plongeant la tête dans l’herbe douce. Lorsqu’il la relève, la maisonnette n’est plus qu’un brasier d’où de petits animaux se sauvent par la porte restée entrouverte. Leurs intentions lui paraissent claires – il n’est pas le bienvenu.

« Je dois trouver un moyen de m’enfuir »

Mais sans avoir le temps de réfléchir dans quelle direction, il remarque une énorme araignée bleue grimpant le long de son bras. Même s’il n’a jamais eu peur des arachnides, les couleurs vivent et la taille de l’animal accentue son aspect dangereux – environ vingt-cinq centimètres de circonférence, avec des pattes vertes et velues. Chris frissonne.

— Va-t'en ! hurle-t-il en se relevant brusquement pour la chasser de la main.

— Vous êtes là ! lance Line avec un rictus de satisfaction.

Aussitôt, ses hommes s’élancent vers Chris qui, sans réfléchir, file à grandes enjambées dans la direction opposée, pénétrant à l’aveugle dans la forêt devant lui. Des branches lui fouettent le visage. La forêt est dense d’arbustes et de fougères hautes de deux mètres. D’étranges fleurs multicolores en tapissent le sol.

Les bras en avant pour se protéger, il trébuche sur une souche, puis se relève d’une roulade avec une agilité qui le déconcerte. Mais le bruit de ses assaillants tout proche le pousse à continuer de détaler. Après une dizaine de minutes à courir tel un poulet sans tête, il s’adosse à un arbre pour jauger la distance qui les sépare. N’ayant jamais été un grand sportif, il est étonné de n’être qu’à peine essoufflé.

Un frisson lui parcoure le corps – ils approchent. Lorsqu’enfin il quitte la forêt, une rivière lui barre le chemin – plus de cent vingt mètres de large, aucun pont visible de part et d’autre. De gros rochers arrondis par le frottement de l’eau forment ses berges, parsemées de vieux tronc de bois flotté. Le courant est fort, une eau d’une limpidité irréelle.

Ses assaillants à proximité, Chris n’a d’autre choix que de plonger en espérant qu’elle ne soit pas trop fraîche. Perdue, sa froideur lui glace le sang et coupe sa respiration – une sensation désagréable, comme si des centaines de poignards le transperçaient de part en part.

Les rives s’avèrent si abruptes qu’au bout de quelques mètres l’eau lui monte jusqu’au cou. Tout en nageant, il jette un œil derrière lui – Line le toise depuis la rive, entourée de ses hommes. Elle leur ordonne de la suivre, reprenant sa course vers l’amont de la rivière.

Luttant pour ne pas couler, tant ses vêtements mouillés lui pèsent, Chris a toutes les peines à garder la tête hors de l’eau. Le courant est si fort qu’au bout de dix mètres de traversée il a déjà dérivé d’une centaine en aval.

C’est alors qu’il se souvient d’une méthode de sauvetage vu à la télévision – dans cette émission où une sorte d’aventurier part en exploration dans des endroits hostiles. Il préconise de faire la planche et de se laisser dériver, jusqu’à atteindre un passage moins houleux pour rejoindre la rive.

Chris prend une grande inspiration, buvant la tasse au passage, puis se met en position. Rapidement, la sensation de flottement l’apaise et, malgré sa situation désespérée, il ne peut s’empêcher d’admirer le fabuleux paysage – des arbres gigantesques que l’automne naissant a parée d’or et de cuivre. Au loin se dresse une immense montagne au sommet enneigé. Trois lunes brillent dans le ciel bleu azur, tandis que le soleil percé les branches au feuillage roussit. Le vent apporte à ses narines de subtiles odeurs de fleurs et de sous-bois. Un sentiment d’intense plénitude l’envahit, porté par le délicat bercement de l’eau.

Mais le bruit sourd d’une chute d’eau se rapprochant le tire de ses rêveries. Le courant s’accélère dangereusement – Chris est ballotté par de violents remous. De plus en plus de rochers sont visibles à la surface et il tente de s’y agripper, en vain. Lorsque le bourdonnement de la cascade se fait assourdissant, il prend une grande inspiration. Souffrant d’acrophobie, son corps est figé par la hauteur de son plongeon.

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