Chapitre V partie 1
Les cors de la garde de Sylandar sonnent mélodieusement dans les immenses tours de marbre blanc qui entourent la ville et sa forteresse, lorsque Lindelle y pénètre avec son escorte. Les habitants s’inclinent avec respect sur leur passage. Pourtant, elle apporte une mauvaise nouvelle au Grand Prêtre Miriël, son père – l’élu est introuvable et ce malgré avoir passé toute la nuit à fouiller la forêt de Flaïne. Il est porté disparu, emporté par les eaux de la rivière, potentiellement mort.
Arrivée devant les grandes portes de métal argenté du château, Lindelle descend de son cheval et donne la bride à un écuyer qui attend patiemment. Elle pousse les battants et pénètre dans ce qui est son foyer et celui de sa famille depuis des générations.
Le château et la ville de Sylandar ont été érigés au sommet d’une colline dans les vertes prairies du pays de Borest, à l’est de la forêt de Flaïne, par l’ancêtre de Lindelle, le roi Pliöth.
Selon la légende, le roi et son armé combattirent, deux années durant, les forces impies Vilainard, dans le but de récupérer ces terres qui avaient été volés à sa famille auparavant. À cette époque, les magnifiques champs de fleurs et d’herbes hautes étaient entièrement asséchés. Plus rien ne poussait, la vie avait complètement déserté les lieux.
Les Vilainard étaient des monstres assoiffés de sang et de chaire mortelle, menés par le terrifiant Osth – une créature dont on racontait que la mère, une elfe blanche, avait été capturée puis violée par un groupe d’orc sauvage. L’enfant qui résultat de cet acte infâme était monstrueux, mais doté d’une incroyable intelligence, héritée de ses ascendants elfe. Cependant, plutôt que de haïr ceux qui avaient fait souffrir et tués sa mère, les funestes desseins de Cräam, la divinité de la mort et du chaos, firent naître dans le cœur du seigneur Osth une haine sans pitié pour les autres races qu’il considérait comme inférieures.
D’aucun racontèrent que les batailles furent si sanglantes et fréquente, que la petite rivière qui serpente dans les prairies se transforma en un torrent de sang pendant plusieurs semaines, tant le nombre d’hommes tombé au combat était élevé.
Après leur défaite, les Vilainard furent traqués et tuer jusqu’au dernier. Le roi Pliöth garda Osth captif pendant plusieurs années, le torturant à l’occasion, par vengeance et plaisir. Il fut finalement décapité, puis son corps brûlé sur la grande place de la citadelle, peu de temps avant la mort du roi. Ses restes seraient emmurés dans l’une des nombreuses cryptes souterraines du château, enfermés dans un coffre de plomb, scellé par de puissants enchantements.
Longtemps après cette période de terreur, la peur que le seigneur Osth puisse un jour revenir resta bien présente chez les habitants de Sylandar. Cependant, les années passant, certains se mirent à douter de la véracité de la légende – le roi Pliöth étant plutôt connu pour son alcoolisme et son goût pour la débauche que pour ses faits d’armes.
Dès la fin des combats, il ordonna la construction d’une muraille gigantesque, à la frontière entre le pays de Borest et les terres impies – le mur d’Alandar. Ensuite, il planifia l’édification de ce qui deviendrait le symbole de la puissance du peuple de Borest – Sylandar.
Les plus grands architectes de l’époque travaillèrent à l’élaboration des plans de la cité, tandis que les matériaux les plus fabuleux et les plus rares furent utilisés – les monts Calcèdas, deux gigantesques montagnes de marbre d’un blanc d’une pureté sans égal, furent littéralement rasés pour créer le mur de dix mètres de haut qui ceinture la ville, ainsi que les cinq tours de garde et le palais. Le bois des arbres de Fallard, d’un rouge profond, aussi résistant que l’acier, endémique de l’île du même nom, fut utilisé jusqu’à la moindre branche pour confectionner meubles et boiseries. Des pierres précieuses furent acheminées par milliards des quatre coins du Vaste-Monde pour être incrustées dans les murs des bâtiments, le mobilier, ou pour confectionner des objets de décorations. La splendeur et le faste de l’endroit n’avait d’égal. Un travail titanesque, qui dura onze années, et pour lequel un grand nombre de travailleurs et esclaves de toutes races perdirent la vie.
La ville devint rapidement le centre du pays et même un haut lieu du commerce – les marchands du monde entier y venant pour s’y échanger épices, étoffes, bijoux et objets en tous genres. Une cité riche et prospère, qui attira son lot de renégats – là où l’argent coule à flot, la pègre veille à recevoir sa part.
À la mort de Pliöth, le prince Élioth, son fils, pris sa suite. Mais les choses ne firent qu’empirer, tant il aimait se vautrer dans la luxure et profiter des plaisirs charnels. Certains quartiers de la ville devinrent de véritable coupe gorge, dans lesquels il valait mieux ne pas s’aventurer – les prostitués de toutes races faisaient foison, les bandits régnaient en maîtres.
Le prince Élioth mourut quatre ans après son sacre, égorgé par un fanatique de Cräam dans l’un des nombreux bordels de la ville. Sa fille Lisiëlle, qu’il avait eu avec la princesse Aliëssa de Vergoth, due prendre sa suite alors qu’elle n’avait que douze ans – sa mère était décédée en la mettant au monde.
Elle créa les Syndaris, sa garde personnelle, formée des meilleures recrues que l’armée de Sylandar pouvait compter, les chargeant de débarrasser la ville de la pègre. Ce fut une période sombre, car quiconque ne ravissait pas la princesse, finissait la tête au bout d’une pique. Beaucoup de citoyens innocents furent exécutés ou enfermé dans les ergastules du château, sans procès, à son seul bon vouloir.
À vingt-deux ans elle épousa Grynwild, de seize ans son aîné. C’était un ancien trafiquant d’esclaves, enrôlé de force dans l’armée de Sylandar pour échapper à la prison, avant de devenir capitaine des Syndaris. Ensemble, ils offrirent deux héritières au royaume de Borest – les princesses jumelles, Aliënoth et Benëdioth.
À la mort de leur mère, elles décidèrent de régner ensemble sur le royaume. À l’inverse de leurs parents, elles étaient bonnes et justes envers le peuple. Elles apportèrent une dimension plus spirituelle à la cité en instaurant le culte de Möth – divinité de la connaissance et de la sagesse. Elles créèrent aussi la grande imprimerie royale dans laquelle les plus prestigieux ouvrages du Vaste-Monde furent édités. Grâce à cette invention, les savoirs de Sylandar s’exportèrent au-delà des frontières.
Ce fut une période de prospérité pour la cité et pour le peuple de Borest. Malheureusement, la maladie emporta la princesse Benëdioth l’année de ses trente-neuf ans. Aliënoth fut anéantie par la perte de sa sœur jumelle. Elle eut tout de même un fils, d’un père inconnu – Maëlith, grand-père de Lindelle.
Il fut le premier à s’autoproclamer Grand Prêtre de Sylandar, vouant sa vie à Möth, prêchant pour ses desseins. Un homme sage et ambitieux, qui envoya de nombreux émissaires de par le monde pour prêcher sa parole.
La légende veut que, lors d’un pèlerinage dans les terres barbares du sud-ouest, il recueillit un enfant dont la mère avait été tuée par un animal sauvage en tentant de le protéger. Il décida alors de l’élever comme son fils, et le prénomma Miriël. Il lui offrit la meilleure éducation possible et l’ordonna Grand Prêtre lorsqu’il sut que son heure était proche. Lindelle aussi avait été adoptée – ses parents l’ayant abandonné quand elle n’était encore qu’un nourrisson.
Bien qu’elle n’appartienne pas de sang à la lignée du grand roi Pliöth, tout comme son père, le peuple lui à toujours voué un profond respect, autant pour sa justesse, que pour sa capacité à garder la paix dans le royaume de Borest.
Sa beauté sans pareil attirait de nombreux prétendants des royaumes voisins, mais du haut de ses trente-deux ans, elle ne pouvait se résoudre à une vie d’épouse – le Vaste-Monde la fascinait depuis toujours. Rencontrer les autres ethnies, découvrir leurs cultures, leurs traditions, la passionnait. Depuis plusieurs années, elle élaborait un atlas des différents peuples, y décrivant leurs modes de vie et leurs rituels. Malgré son éducation vouée au culte de Möth, elle respectait chaque divinité, chaque croyance – en contradiction avec son père et certain de ses adeptes.

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