Noailles-La Fayette à la Cour de Versailles

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« L'état de courtisan est un métier dont on a

voulu faire une science.

Chacun cherche à se hausser. »

              Nicolas de Chamfort.

En l'an 1773.

Au mois de janvier, la marquise de Rigaud de Vaudreuil a eu l'honneur d'être présentée au Roi et à la Famille Royale, par la comtesse de Noailles, Dame d'Honneur de Madame la Dauphine. (Jeanne-Charlotte de Fleury Deschambault, épouse du marquis Pierre de Rigaud de Vaudreuil de Cavagnial, ancien gouverneur général de la Nouvelle-France.)

Le 15 février, jour de l'anniversaire de la naissance du Roi, on chanta un Te Deum dans l'église de Notre-Dame, paroisse du château. Les officiers du Baillage assistèrent à cette cérémonie, après laquelle le comte de Noailles, Gouverneur de la ville, alluma le feu qui avait été préparé vers la porte de l'église.

Le 17 février, à Marie-Thérèse : Plusieurs dames du services de Mme la dauphine et de Mesdames se plaignirent de n'avoir pas été invitées ; la comtesse de Noailles prit de son côté un peu de jalousie. (Fête de la comtesse de Marsan.) Je sais à n'en pouvoir douter, et par la famille de Noailles même, qu'elle se flatte que le marquis de Noailles, actuellement ambassadeur en Hollande, sera destiné à relever le prince de Rohan à Vienne. Je crois que le choix serait excellent, et que Votre Majesté aurait lieu d'en être satisfaite. Il faut que le duc de Noailles ait déjà fait quelques démarches là-dessus vis-à-vis du duc d'Aiguillon ; celui-ci ne m'en a rien marqué encore, et, pour éviter tout inconvénient, je crois devoir aller sagement et lentement sur cette matière.

Le 23 février, la comtesse de Noailles, Dame d'Honneur de Madame la Dauphine, donna un bal chez elle. Monseigneur le Dauphin, Madame la Dauphine, Monseigneur le comte de Provence, Madame la comtesse de Provence, Monseigneur le comte d'Artois, Madame et Madame Élisabeth lui firent l'honneur d'y danser et d'y souper. Le bal dura jusqu'à six heures du matin.

Le 28 février, la marquise de Roquefeuil eut l'honneur d'être présentée au Roi et à la Famille Royale, par la comtesse de Noailles. (Gabrielle de Kerguz, épouse du marquis/comte Aymar-Joseph de Roquefeuil et du Bousquet, lieutenant-général des armées navales.)

Le 3 mars, à Mercy-Argenteau : Le choix du marquis de Noailles pour successeur du prince de Rohan aurait toute mon approbation (d'abord que vous le croyez convenable) ; mais je conviens avec vous qu'il faut s'y prendre avec circonspection.

Le 6 mars, le marquis de Noailles, Ambassadeur du Roi auprès des États généraux des Provinces-Unies, premier Gentilhomme de la Chambre de Monseigneur le comte de Provence en exercice, arriva à Paris. Il eut l'honneur d'être présenté, le même jour, à Sa Majesté, par le duc d'Aiguillon, Ministre et Secrétaire d'État au département des Affaires étrangères ; il eut l'honneur d'être présenté ensuite à la Famille Royale.

Le 17 mars, à Marie-Thérèse : Le marquis de Noailles est ici par congé, pour y venir prêter son serment en qualité de premier gentilhomme de la chambre de M. le comte de Provence ; je sonderai ce marquis sur ses projets et espérances à l'ambassade de Vienne ; je le connais personnellement très peu, mais il est notoirement un des meilleurs sujets, des plus posés et des plus sages qui soient employés par cette cour-ci dans les missions étrangères.

Au mois de mars, le marquis de la Rivière ayant donné sa démission de la charge de Cornette dans la seconde compagnie des mousquetaires de la Garde du Roi, Sa Majesté a nommé, pour le remplacer, le comte de Gallifet, capitaine de Dragons. (Pierre-Charles, marquis de La Rivière, devenu colonel de la seconde compagnie des mousquetaires de la garde du roi, puis en avril 1776, devenu colonel en second du régiment infanterie de la reine. Époux de Marie-Henriette-Elisabeth-Gabrielle de Rosset-de-Fleury.)

Le 7 avril, Gilbert du Motier rejoint le régiment de Noailles au grade de sous-lieutenant sous l'autorité du colonel Philippe-Louis de Noailles, prince de Poix et cousin du duc d'Ayen.

Au mois de mai, Anne-Louise de Noailles, veuve en premières noces de François Macé le Tellier, marquis de Louvois, Capitaine-Colonel de la compagnie des Cent-Suisses de la garde ordinaire du Corps du Roi, Mestre de Camp du régiment d'Anjou, Cavalerie, et en secondes noces de Jacques-Hypolite, marquis de Mancini, prince Romain et noble Vénitien, est morte à Paris, dans la soixante-dix-huitième année de son âge.

Le mardi 8 juin, Monseigneur le Dauphin et Madame la Dauphine vinrent dans cette capitale. Ils étaient accompagnés du Maréchal duc de Richelieu, premier Gentilhomme de la Chambre du Roi, en exercice ; de la comtesse de Noailles, Dame d'Honneur ; de la Duchesse de Cossé, Dame d'Atours ; des Dames de Madame la Dauphine, de plusieurs autres Dames de la Cour qui avaient été invitées et de leurs principaux officiers.

Au mois de juin, la marquise de Tourdonnet a eu l'honneur d'être présentée au Roi et à la Famille Royale par la comtesse de Noailles, Dame d'Honneur de Madame la Dauphine. (Élisabeth-Charlotte Gillet de Chamblay, épouse du marquis Louis-Joseph de Joussineau de Tourdonnet, premier maître de la garde-robe de Monseigneur le Comte d'Artois, ensuite écuyer ordinaire du roi, puis directeur des haras du Limousin et de l'Auvergne et créateur du haras de Pompadour.)

Le 16 juin, à Marie-Thérèse : J'ai eu avec le marquis de Noailles une conversation où, sans trop hasarder, je lui ai tenu quelques propos qui feront effet dans sa famille, et qui la rendront attentive à coopérer au rappel du coadjuteur.

Le 24 juin, la marquise de Noailles est accouchée, d'un garçon.

Début juillet, Gilbert et Adrienne se rencontrent à l'Hôtel de Noailles.

Le 14 août, à Marie-Thérèse : Ma dépêche d'office renferme l'exposition d'une démarche que j'ai faite auprès du marquis de Noailles, et je vais mettre en avant cette puissante famille pour qu'elle coopère à mon objet.

Le dimanche 19 septembre, le Roi et la Famille Royale signèrent le contrat de mariage du vicomte de Noailles, fils du comte de Noailles, avec demoiselle de Noailles, fille du duc d'Ayen. Mademoiselle de Noailles, Anne-Jeanne-Baptiste-Georgette-Pauline-Adrienne-Louise-Catherine-Dominique de Noailles, née en 1758, épouse son cousin Louis-Marc-Antoine de Noailles, Chevalier d'Arpajon, vicomte de Noailles. Soldat dans le régiment Noailles, il participera à la guerre d'indépendance américaine au côté du général Rochambeau. Il sera aussi en 1789 membre de l'Assemblée des notables, député de Nemours aux États généraux, commandant de la Guyenne (Aquitaine) et en 1791 maréchal de camp dans l'armée du Nord. Il décèdera le 7 janvier 1804 à Cuba, à l'âge de quarante-sept ans, suite à ses blessures durant la campagne de Saint-Domingue.

Au mois de novembre, la vicomtesse de Noailles a eu l'honneur d'être présentée au Roi et à la Famille Royale par la duchesse de Noailles.

Au mois de décembre, la baronne de Lort Saint Victor a eu l'honneur d'être présentée au Roi et à la Famille Royale par la comtesse de Noailles, Dame d'Honneur de Madame la Dauphine. (Marie-Angélique-Nicole de Marclesy, épouse du baron Charles-Frédéric de Lort de Saint-Victor, lieutenant-général de la forteresse de Strasbourg.)

En l'an 1774.

Le 19 janvier, à Marie-Thérèse : La comtesse de Noailles, sans talents, sans esprits et sans de grands inconvénients, a celui d'être inquiète, jalouse et peu exacte dans ses propos. La duchesse de Cossé, avec de l'agrément, de l'élévation dans le caractère, de la gaieté et de l'honnêteté, a le défaut de parler trop et trop légèrement, elle est cependant faite pour plaire beaucoup plus à Mme la Dauphine que non pas la comtesse de Noailles. J'ai vu que le goût de Son Altesse Royale, prêt à se décider par des préférences marquées, allait établir une dissension très vive entre la dame d'honneur et la dame d'atours, et la désunion entre ces deux personnes en chef n'aurait pas manqué d'entraîner une guerre entre tout le service.

Le lundi 14 février, la comtesse de Noailles, Dame d'Honneur de Madame la Dauphine, donna un bal chez elle. Monseigneur le Dauphin, Madame la Dauphine, Monseigneur le comte de Provence, Madame la comtesse de Provence, Monseigneur le comte d'Artois, Madame la comtesse d'Artois et Madame lui firent l'honneur d'y danser et d'y souper.

Le 19 février, à Marie-Thérèse : La famille de Noailles se tient très assurée que l'ambassade de Vienne n'échappera pas au marquis de Noailles ; il en a la promesse presque formelle, et je ne vois pas la moindre possibilité que le baron de Breteuil pût parvenir à ce poste...

Au mois d'avril, le Roi a accordé au prince de Poix, capitaine dans le régiment de cavalerie de Noailles, la charge de mestre de camp-commandant de ce régiment, vacante par la démission du marquis de Noailles.

Le 3 avril, jour de Pâques, le Roi accompagné de la Famille Royale, entendit, dans la chapelle du château, la grand-messe qui fut chantée par sa musique, et à laquelle l'Évêque de Tagaste officia. La vicomtesse de Noailles fit quête.

Le lundi 11 avril, le Roi et la Famille Royale ont signé le contrat de mariage du marquis de La Fayette avec demoiselle de Noailles. Il est stipulé que si Gilbert du Motier venait à mourir le premier, son épouse garderait ses vêtements, le linge, les diamants et bijoux, ainsi qu'un carrosse de six chevaux. Dans le cas contraire, au décès d'Adrienne de Noailles ; il garderait toute liquidation de l'héritage, ses vêtements, le linge, les armes, sa bibliothèque et un carrosse de six chevaux. Mademoiselle d'Ayen, Adrienne de Noailles presque âgée de quinze ans, épouse dans la chapelle de l'hôtel de Noailles, le marquis de La Fayette, alors qu'il est bientôt âgé de dix-sept ans. Faire-part : « Monsieur le comte de La Rivière, et Monsieur le comte de Luzignem, sont venus pour avoir l'honneur de vous faire part du mariage de Monsieur le marquis de La Fayette, leur arrière-petit-fils et neveu, avec Mademoiselle de Noailles. »

Le 29 avril, le marquis de Noailles, Ambassadeur de Sa Majesté Très-Chrétienne, fit part, au Président des États généraux de la permission qu'il avait obtenue de faire un voyage en France ; il fit ensuite une visite au prince Stathouder, à la princesse son épouse et eut une conférence avec le conseiller pensionnaire de Hollande et le greffier des États généraux. Cet Ambassadeur est parti de La Haye, le 1er mai.

Le 18 mai, le régiment de Noailles, cavalerie, qui est en garnison à Vendôme, prit les armes et se rendit à l'Église Collégiale située au château et dans laquelle reposent les cendres de plusieurs Princes et Princesses de la maison de Bourbon, assista à l'office qu'il fit célébrer pour le repos de l'âme de Louis XV et fit distribuer ensuite des aumônes aux pauvres.

Le 19 mai, à la demande du duc d'Ayen, le jeune La Fayette devient capitaine de dragons d'un régiment Noailles, sous les ordres du prince de Poix, mais commanda la compagnie seulement à l'âge de 18 ans sur ordre du Roi.

Au mois de juin, les musiciens ordinaires de la chapelle du Roi ont fait célébrer dans l'Église Royale et paroissiale de Notre-Dame de cette ville, un service solennel pour le repos de l'âme de Louis XV. L'Évêque de Senlis, premier aumônier de Sa Majesté, a officié à cette cérémonie, à laquelle ont assisté le comte de Lussac, la princesse Christine de Saxe, Abesse de Remiremont, ainsi que le duc de Fronsac, premier Gentilhomme de la Chambre du Roi, le comte de Noailles, Gouverneur de la ville, et les différents Corps de la maison de Sa Majesté.

Dans le même mois, le prince de Poix a prêté serment entre les mains du Roi pour la charge de capitaine des Gardes du Corps, en survivance, dont est pourvu le prince de Beauvau.

Le 7 juin, à Marie-Thérèse : À la mort du Roi, le comte et la comtesse de Noailles suggérèrent le petit Trianon ; mais le comte de Noailles voulut se charger de négocier et de sonder les dispositions du roi à cet égard. Je trouvai que toutes ces démarches officieuses étaient fort déplacées, qu'elles ne convenaient pas à la dignité de la reine. Je représentai à Sa Majesté que dans aucune occasion elle ne devait admettre l'usage des moyens intermédiaires entre elle et le Roi, et je la suppliai de faire elle-même cette demande sans autres mesures préparatoires et sans le concours de personne.

Le 16 juin, à Mercy-Argenteau : Vous avez très bien fait de détourner ma fille de demander au roi une maison de campagne par l'entremise des Noailles. Ces bons offices des sujets ne sauraient que faire du tort au rang des souverains, et occasionner beaucoup d'inconvénients.

Les mois de juillet et août, Gilbert du Motier est absent de Metz.

Le 15 juillet, à Marie-Thérèse : L'amitié de la reine pour la princesse de Lamballe avait donné lieu au bruit que cette dernière serait créée surintendante de la maison de Sa Majesté. Ce soupçon avait d'abord causé de l'alarme à la comtesse de Noailles ; après m'en avoir parlé, je me mis à portée de la tranquilliser, après m'être assuré que la reine n'avait pas pensé au projet en question.

Le 6 août, Just-Charles de La Tour-Maubourg est accepté dans l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem. (Mais ne pourra pas présenter ses vœux à l'âge de dix-huit ans à cause de la révolution en l'an 1792.)

Le 15 août, à Marie-Thérèse : Sa Majesté incline toujours à protéger le baron de Breteuil pour l'ambassade de Vienne, mais je vois cependant que la reine n'y mettra pas de chaleur, et que par conséquent le marquis de Noailles ne perd pas espérance.

Le 17 septembre, le marquis de La Fayette loue une maison à Chaillot pour s'y faire inoculer de la petite vérole, accompagné de sa femme et de la duchesse d'Ayen. Puis, chaque semaine les époux La Fayette participent aux bals de la Reine ou soupent à Versailles ou à Paris en compagnie des Noailles, Ségur, Coigny, Dillon, Guéméné et Durfort.

Le 29 septembre, la marquise de Noailles est accouchée d'un garçon.

Le 30 octobre, Gilbert du Motier de La Fayette retourne en garnison à Metz pour perfectionner sa formation militaire où Victor-François, comte de Broglie est gouverneur des Trois-Evêchés (Metz, Toul, Verdun).

Le 4 décembre, le Sieur Guyot, Procureur général du Roi en son conseil supérieur de Corse, fut présenté à Sa Majesté, par le Garde des Sceaux, et à la Reine, par la comtesse de Noailles, sa Dame d'Honneur. (Pierre-Jean-Jacques-Guillaume Guyot.)


En l'an 1775.

Le capitaine de La Fayette écrit à Adrienne à propos des prostituées de Metz : « Nous sommes ici dans le trouble et la désolation. Toute la garnison va prendre le deuil. Monsieur le Maréchal a fait main basse sur les filles ; on les chasse, on les enferme. C'est l'ennemi juré de ces dames, qui le maudissent du meilleur de leur cœur. »

Au mois de janvier, dimanche dernier, la marquise de Briges fut présentée à Leurs Majestés, et à la Famille Royale, par la marquise de La Fayette. (Marie-Geneviève Radix de Sainte-Foy, ancienne maîtresse de Louis XV, épouse du marquis Nicolas-Augustin de Malbec de Montjoc, écuyer ordinaire du roi, commandant la grande écurie et ancien amant de Mme de Pompadour.)

Le 22 janvier, le comte de Noailles, Grand d'Espagne de la première classe, et lieutenant-général de la Province de Guyenne, a fait ses remerciements à Sa Majesté, en qualité de commandant en chef de cette province.

Au mois de mars, le Roi ayant nommé Maréchaux de France, le duc de Noailles et le comte de Noailles, ils eurent l'honneur dimanche dernier, de faire leurs remerciements à Sa Majesté, et d'être présentés en cette qualité, à la Reine et à la Famille Royale.

Le 2 avril, le Maréchal duc de Noailles et le Maréchal duc de Mouchy ont prêté serment, en cette qualité entre les mains du Roi.

Au mois de mai, Gilbert de La Fayette rend visite à sa femme.

Le 21 mai, la comtesse de Turenne a eu l'honneur d'être présentée à Leurs Majestés, ainsi qu'à la Famille Royale, par la vicomtesse de Noailles. (Pauline-Gabrielle de Baschi de Pignan, épouse de Marie-René-Joseph de Turenne, marquis d'Aynac)

Le 17 juillet, à Marie-Thérèse : La comtesse de Noailles, que l'on nomme maintenant la Maréchale de Mouchy, est décidée à quitter sa place de dame d'honneur. Cette résolution est fondée sur quelques petits dégoûts, mais plus encore sur les convenances du Maréchal de Mouchy, lequel, devant passer plusieurs mois de l'année dans son commandement en Guyenne, désire d'avoir son épouse avec lui pour tenir sa maison. Vu le peu d'aptitude de la Maréchale de Mouchy pour sa place, sa retraite n'aurait pas été fort à regretter, mais il résulte ce que j'avais bien prévu, c'est que la Reine, trouvant le moment favorable à ses désirs, s'est décidément résolue à établir surintendante de sa maison la princesse de Lamballe, et le roi a déjà consenti à cet arrangement, lequel cependant est encore un secret.

Le 8 août, officieusement, La Fayette rencontre au cours d'un dîner, le duc de Gloucester (William-Henry ), frère du Roi George III d'Angleterre chez le comte de Broglie, commandant des Trois-Évêchés. Le comte était l'ancien directeur de la Correspondance secrète sous Louis XV ; il avait conçu, étudié et rédigé un projet d'invasion en Angleterre. Le marquis écoutait (le duc de Gloucester) avidement et interrogeait beaucoup, que chaque réponse provoquait de sa part des interrogations nouvelles, que l'enthousiasme ne se fit guère attendre et qu'avant la fin du repas, le jeune homme avait décidé en lui-même d'aller se battre pour les États-Unis. » (Note de l'auteur Jared Sparks.)

Le 12 août, le marquis de Noailles, Ambassadeur du Roi en Hollande, de retour à Paris par congé, a eu l'honneur d'être présenté à Sa Majesté, par le comte de Vergennes, Ministre et Secrétaire d'État au département des Affaires étrangères.

Le 16 août, à Marie-Thérèse : Je crois que Maréchale de Mouchy ne pourrait être plus convenablement remplacée que par la Maréchale de Duras... Au mois de septembre, le marquis de La Fayette rentre à Paris où il participe à des salons littéraires (sociétés de pensée) dont les débats se portent sur la révolution américaine et devient membre de la franc-maçonnerie à la loge « La Candeur ». Louis, le vicomte de Noailles en est déjà initié.

Le 15 septembre, à Marie-Thérèse : La comtesse de Noailles a donné sa démission ; le Roi m'accorde Mme de Lamballe pour surintendante, Mme de Chimay, qui, était dame d'atours, pour dame d'honneur, et Mme de Mailly, qui était dame à moi, pour dame d'atours. Elle sera remplacée par Mme de la Roche-Aymon, nièce du grand-aumônier, à qui le feu roi l'avait promis.

Le 15 décembre, l'épouse de Lafayette, Adrienne accouche d'une fille et lui donne le prénom d'Adrienne-Henriette-Catherine-Charlotte.

Le 27 décembre, le Sieur Brunyer, ancien médecin des camps et armées du Roi, premier médecin de l'hôpital militaire de Metz, médecin de la Charité royale de Saint-Germain-en-Laye, nommé médecin consultant de Monsieur (premier frère du roi), a eu l'honneur de lui être présenté par le marquis de Noailles, premier Gentilhomme de la Chambre de ce Prince, et par le Sieur Lieutaud, premier médecin du Roi.

En l'an 1776.

Le 24 janvier, Françoise-Adélaïde de Noailles, princesse d'Armagnac, veuve du prince Charles de Lorraine, Pair et grand Écuyer de France, est morte, âgée de soixante-onze ans.

Le 17 février, le vicomte de Noailles, second fils du maréchal duc de Mouchy, a prêté serment entre les mains du Roi pour la survivance de la lieutenance générale de la Basse-Guyenne que le feu Roi avait bien voulu lui accorder en 1773.

Le 22 avril, Jeanne-Anne Poncet de La Rivière, comtesse de Carcado, Dame de l'Ordre de la Croix étoilée, épouse de Louis-Gabriel le Sénéschal, comte de Carcado, maréchal de camp, est morte à Paris, âgée de quarante-cinq ans.

Le 10 mai, le maréchal-duc de Mouchy, lieutenant général et commandant en chef pour le Roi dans sa province de Guyenne, eut l'honneur de prendre congé de Sa Majesté pour retourner dans cette province. Il eut aussi l'honneur de faire sa révérence à la Reine, ainsi qu'à la Famille Royale.

Le 11 mai, le marquis de Noailles, Ambassadeur auprès des États généraux des Provinces-Unies, ayant été nommé par le Roi Ambassadeur auprès de Sa Majesté Britannique, a eu l'honneur de faire, ses remerciements à Sa Majesté, à laquelle il a été présenté par le comte de Vergennes, Ministre et Secrétaire d'État au département des Affaires étrangères, et de faire sa révérence à la Reine et à la Famille Royale.

Au mois de mai, Sa Majesté, en exécution de ses ordonnances du 25 mars dernier, a nommé le comte de La Rivière, colonel en second du régiment d'infanterie de La Reine.

Le 11 juin, le capitaine de La Fayette de dragons démissionne de l'armée française pour signer un engagement dans l'armée américaine, le 7 décembre afin de participer à la révolution ; on lui accorde plus tard le grade de major général (31 juillet 1777). « Sous les conditions exprimées ci-dessus, j'offre et promets de partir quand et comment M. Deane le jugera convenable, pour servir les États-Unis avec tout le zèle possible, sans aucune pension ou indemnité particulière, me réservant la liberté de revenir en Europe quand ma famille et mon Roi me rappelleront. » Ce même 7 décembre, le vicomte de Noailles et leur cousin le comte Louis-Philippe de Ségur retirent leur engagement pour l'Amérique, mais ils suivront le général Rochambeau en Amérique en 1783. « Nous nous promîmes tous les trois le secret, dit Ségur, afin de nous donner le temps de sonder les dispositions de notre cour et de rassembler les moyens nécessaires. » « La Fayette était maître de sa fortune, très libre d'agir dès lors ; c'était le contraire pour ses compagnons. Ils avaient à trouver l'argent pour leur entreprise. Noailles ne vit rien de mieux que de s'adresser au duc d'Ayen, même de faire demander par lui une commission d'officier pour l'Amérique. D'autres indiscrétions survinrent ; à se chercher des camarades il ne pouvait que s'en produire. Alors les familles s'émurent, le Gouvernement fit de même ; les trois gentilshommes, avec une vive réprimande, reçurent l'ordre formel d'abandonner leur dessein. » « Noailles et Ségur, obligés de se soumettre, étaient demeurés « consternés » (c'est l'expression du dernier) de se voir arrêtés dans une expédition qui leur ouvrait des perspectives séduisantes ; La Fayette, libre, et à qui sa fortune donnait toutes les facilités, résolut de s'en aller sans eux. » Ségur dira de ce qui se passa à l'hôtel de Noailles : « Ce qui me frappa ce fut la surprise que témoigna la famille de La Fayette. Elle me parut d'autant plus plaisante qu'elle m'apprit à quel point ses grands-parents avaient jusqu'alors mal jugé et mal connu son caractère. »

Le 15 juin, à Marie-Thérèse : On s'est trompé en annonçant que la comtesse de Tessé avait quelque crédit auprès de la Reine ; la comtesse susdite, qui est une Noailles, est femme du premier écuyer de la Reine ; elle a de l'esprit et du penchant à l'intrigue, mais elle ne voit jamais la reine en particulier et Sa Majesté ne l'aime point. La comtesse de Tessé est actuellement aux eaux de Plombières avec la duchesse de Gramont, son intime amie, et laquelle dernière déplaît décidément à la reine, quoique sœur du duc de Choiseul.

Le 21 juin, la Maréchale de Mouchy prit congé de Leurs Majestés pour aller rejoindre à Bordeaux le Maréchal de Mouchy qui l'y avait précédée.

Le 25 août, le Roi, la Reine et la Famille Royale ont signé le contrat de mariage du marquis d'Abos, Chambellan de Monsieur, avec la demoiselle de Chavagniac.

Le 25 août, mademoiselle de Chavaniac, cousine germaine de Gilbert du Motier, Louise-Marie-Jeanne-Catherine Guérin, née en 1754, épouse Achin d'Abos de Binanville, marquis d'Abos. Il est capitaine d'infanterie au régiment de Monsieur et premier chambellan de Monsieur. Catherine décèdera en couches au mois de septembre 1778.

Au mois de septembre, de Bordeaux, le Maréchal de Mouchy, lieutenant général et commandant pour le Roi en Guyenne, syndic général et protecteur des Récollets de France, a fait chanter une messe solennelle le jour de la Fête de Saint-Louis, dans l'église de ces religieux, et qu'il y a fait inviter tous les chevaliers de Saint-Louis qui se trouvaient dans cette ville.

Le 14 septembre, à Marie-Thérèse : J'ai pris à moi pour survivancier de M. de Tessé M. le comte de Polignac, colonel du régiment du Roi et homme de très bonne maison. Il est mari d'une femme que j'aime infiniment. J'ai voulu encore prévenir les demandes des Noailles, qui sont une tribu déjà trop puissante ici.

Le 17 septembre, à Marie-Thérèse : Cet arrangement a été consommé à la fin du mois dernier, malgré les instances et réclamations de toute la famille Noailles et celles du comte de Tessé, qui finalement a supplié la Reine d'agréer la démission entière de sa place, demande de laquelle Sa Majesté a décliné, en traitant même le comte de Tessé avec bonté, mais toutefois sans varier dans sa résolution. Cette fâcheuse affaire a causé beaucoup de mécontentement à la cour, encore plus de clameurs et bien des propos dans le public. Le comte de Tessé est un homme de qualité, assez aimé personnellement et jouissant d'une bonne réputation. Il a eu le cordon bleu à la dernière promotion ; il n'a que quarante et un ans, et passe pour avoir rempli sa place avec zèle et attachement pour la reine, et avec plus d'honnêteté et de désintéressement que la plupart des grands officiers de la cour. M. de Tessé a été précédé dans cette place par ses père et grand-père ; il n'a point d'enfant, mais il est gendre du Maréchal de Noailles, et cette famille, la plus nombreuse et la plus puissante de toutes celles qui sont à la cour, comptait bien faire obtenir la place en question à quelqu'un des siens. On ne peut douter du regret qu'ils ont de la voir échapper ; ils masqueront leur regret, mais ils n'en ameuteront pas moins leurs créatures et tous les possesseurs de charges. Ils étaient accoutumés à faire passer leurs places à leurs enfants ou à leurs parents ; l'exemple que vient de donner la reine les menace tous d'un survivancier contre leur gré. Jusqu'ici le roi et la reine avaient refusé plusieurs survivances ; ils avaient annoncé qu'ils n'en donneraient plus, on commençait à le croire ; comment la Reine a-t-elle changé de principes ? Comment s'est-elle déterminée à désespérer M. et Mme de Tessé, à indisposer les Noailles, à alarmer tous les titulaires de charges, à augmenter sa dépense ?

Le 22 septembre, le marquis de Noailles, premier Gentilhomme de la Chambre de Monsieur, et la Duchesse de Lesparre, Dame d'Atours de Madame s'étant rendus au château de Louville remirent de la part de Monsieur un cordon bleu que ce prince avait porté, et de la part de Madame une couronne de roses pour la Rosière de ce lieu.

Le 13 octobre, le marquis de Noailles, que le Roi avait nommé son Ambassadeur auprès de Sa Majesté Britannique, a eu l'honneur d'être présentée au Roi par le comte de Vergennes, Ministre et Secrétaire d'État ayant le département des Affaires étrangères, et de prendre congé de Sa Majesté pour se rendre à sa destination.

Le 23 octobre, le maréchal duc de Mouchy, de retour de son commandement de Guyenne, a eu l'honneur de faire sa révérence au Roi. L'après-midi du 24 novembre, la marquise de Chilleau a eu l'honneur d'être présentée à Leurs Majestés et à la Famille Royale par la duchesse d'Ayen. (Jeanne-Élisabeth-Floride de Montullé, épouse du marquis Marie-Charles du Chilleau d'Airvault, Mestre-de-camp de cavalerie dans les Guidons des gendarmes de la garde du Roi.)

En l'an 1777.

Fin février, le marquis de La Fayette fait un voyage en Angleterre avec le prince de Poix chez l'ambassadeur de France, le marquis Emmanuel de Noailles, frère du duc d'Ayen ; il y reste quinze jours.

Au mois de mars, les échos commencent à propos de liaisons et de flirts concernant le marquis de Lafayette, notamment la princesse d'Hénin ; la comtesse d'Hunolstein, Élise-Aglaë de Puget de Barbentane mariée au colonel Philippe-Auguste du régiment du duc de Chartres et la comtesse de Simiane, Diane de Damas d'Antigny également liée par le mariage. Gilbert du Motier quant à lui, s'échappe de la Grande-Bretagne dans le but de partir en Amérique.

Le marquis de Lafayette écrit à son beau-père Jean-Paul-François de Noailles, duc d'Ayen, alors qu'il est encore en Grande-Bretagne, à Londres, le 9 mars : « Vous allez être étonné, mon cher papa, de ce que je vais vous mander ; il m'en a plus coûté que je ne puis vous l'exprimer pour ne pas vous consulter. Mon respect, ma tendresse, ma confiance en vous, doivent vous en assurer ; mais ma parole y était engagée, et vous ne m'auriez pas estimé si j'y avais manqué ; au lieu que la démarche que je fais vous donnera, j'espère, bonne opinion au moins de ma bonne volonté. J'ai trouvé une occasion unique de me distinguer et d'apprendre mon métier : je suis officier général dans l'armée des États-Unis d'Amérique. Mon zèle pour leur cause et ma franchise ont gagné leur confiance. De mon côté, j'ai fait tout ce que j'ai pu pour eux, et leurs intérêts me seront toujours plus chers que les miens. Enfin, mon cher papa, dans ce moment, je suis à Londres, attendant toujours des nouvelles de mes amis ; dès que j'en aurai, je partirai d'ici, et sans m'arrêter à Paris, j'irai m'embarquer sur un vaisseau que j'ai frété, et qui m'appartient. Mes compagnons de voyage sont M. le baron de Kalb, officier de la plus grande distinction, brigadier des armées du Roi, et major général au service des États-Unis, ainsi que moi ; et quelques officiers excellents qui veulent bien partager mes aventures. Je suis au comble de ma joie d'avoir trouvé une si belle occasion de faire quelque chose et de m'instruire. Je sais bien que je fais des sacrifices énormes, et qu'il m'en coûtera plus qu'à personne pour quitter ma famille, mes amis, vous, mon cher papa, parce que je les aime plus tendrement qu'on n'a jamais aimé. Mais ce voyage n'est pas bien long, on en fait tous les jours de plus considérables pour son seul plaisir, et d'ailleurs j'espère en revenir plus digne de tout ce qui aura la bonté de me regretter. Adieu, mon cher papa, j'espère vous revoir bientôt, conservez-moi votre tendresse, j'ai bien envie de la mériter, et je la mérite déjà par celle que je sens pour vous, et le respect que conservera toute sa vie, Votre tendre fils, Lafayette. J'arrive pour un instant à Paris, mon cher papa, ne prenant que le temps de vous dire adieu. Je voulais écrire à mon oncle et à madame de Lusignem, mais je suis si pressé que je vous prie de vous charger de mes hommages. »

Le 19 mars, La Fayette est en visite chez son oncle, le duc de Mouchy, intendant de Guyenne.

Le 8 avril, le marquis de Noailles, ambassadeur à Londres écrit à M. de Vergennes : « Ma surprise a été extrême, Monsieur le comte, en apprenant hier par des lettres de Paris que M. de La Fayette était parti pour l'Amérique. Son âge heureusement peut excuser de grandes légèretés. C'est une consolation qui me reste dans le chagrin que me cause une démarche aussi inconsidérée. Il s'est caché et de son compagnon de voyage, et de moi, et de tout le monde, cela me paraît démontré actuellement. Sa présentation ici à la cour ne pouvait lui servir qu'à remplir un devoir qu'il savait que j'exigerais de sa part. Nous voyons que livré à ses propres idées il n'avait pas senti à beaucoup près toutes les conséquences de ce qu'il allait faire. J'avoue que s'il eut bien voulu ne pas venir à Londres prolonger son carnaval, j'aurais aujourd'hui un désagrément de moins. » Le ministre lui répond : « C'est à regret Monsieur le marquis, que je vous nomme M. le marquis de La Fayette. Son âge peut justifié son équipé, j'en suis réellement fâché par l'intérêt que vous partagés avec M. le duc d'Ayen et aussi par ce que j'appréhende qu'étant arrêté par quelque bâtiment anglais il ne soit confondu, avec la foule d'aventuriers qui peuvent tombé entre leurs mains et traité avec la dureté qui n'est pas inconnue à cette nation. »

Le 18 avril, à Marie-Thérèse : Le comte de Tessé avait cependant toujours conservé l'autorité majeure et presque exclusive dans l'administration de la charge ; mais, excité par l'humeur de sa femme, il vient de prendre le parti de s'absenter pour quinze mois, et d'employer ce temps à voyager en Italie. La reine, en daignant consentir à ce projet, observa avec toute raison que, pendant une si longue absence du chef, il fallait que son survivancier entrât dans ses droits et dans toute l'autorité attribuée à l'exercice de cette place, ce qui devint pour le comte de Tessé un nouveau sujet de mortification, et pour toute la famille de Noailles un motif de plaintes et de propos qui a produit du scandale dans le public. L'aigreur en vint au point que le comte de Tessé et le comte de Polignac s'écrivirent des lettres piquantes, et peu s'en est fallu que la chose ne se terminât par une querelle d'honneur.

Le 20 avril, le navire quitte le port de Los Pasajes en Espagne avec à son bord Gilbert du Motier, chevalier de Chavaniac.

Au mois de mai, le vicomte de Noailles, lieutenant-général en survivance de la Basse-Guyenne, est parti ces jours derniers pour aller recevoir à Bordeaux Monseigneur le comte d'Artois, qui doit y arriver le 31 de ce mois.

Le 2 mai, le comte de Vergennes écrit au gouverneur de Noailles : « Nous sommes dans de nouvelles inquiétudes par rapport à M. de La Fayette et il y a de fortes apparences qu'après s'être soumis aux ordres du Roi son effervescence la rappelé à ses premières idées. J'en suis véritablement affligé pour vous et pour vos proches. »

Pendant ces moments de liberté à bord de la Victoire, Lafayette écrit deux lettres à son épouse, le 30 mai : « C'est de bien loin que je vous écris, mon cher cœur, et à ce cruel éloignement je joins l'incertitude encore plus affreuse du temps où je pourrai savoir de vos nouvelles. J'espère cependant en avoir bientôt ; parmi tant d'autres raisons qui me font désirer d'arriver, aucune ne me donne autant d'impatience que celle-là. Que de craintes, que de troubles j'ai à joindre au chagrin déjà si vif de me séparer de tout ce que j'ai de plus cher ! Comment aurez-vous pris mon second départ ? M'en aurez-vous moins aimé ? M'aurez-vous pardonné ? Aurez-vous songé que dans tous les cas il fallait être séparé de vous, errant en Italie (voyage de Mme de Lafayette en Italie et en Sicile), et trainant une vie sans gloire au milieu des personnes les plus opposées et à mes projets, et à ma façon de penser ? Toutes ces réflexions ne m'ont pas empêché d'éprouver un mouvement affreux dans ces terribles moments qui me séparaient du rivage. Vos regrets, ceux de mes amis, d'Henriette, tout s'est représenté à mon âme d'une manière déchirante. C'est bien alors que je ne me trouvais plus d'excuse. Si vous saviez tout ce que j'ai souffert, les tristes journées que j'ai passé en fuyant tout ce que j'aime au monde ? Joindrai-je à ce malheur celui d'apprendre que vous ne me pardonnez pas ? En vérité, mon cœur, je serais trop à plaindre. Mais je ne vous parle pas de moi, de ma santé, et je sais que ces détails vous intéressent. Je suis depuis ma dernière lettre dans le plus ennuyeux des pays ; la mer est si triste, et nous nous attristons, je crois, mutuellement, elle et moi. Je devrais être arrivé, mais les vents m'ont cruellement contrarié ; je ne me verrai pas avant huit ou dix jours à Charlestown. C'est là que je compte débarquer, et ce sera un grand plaisir pour moi. Une fois arrivé, j'aurai tous les jours l'espérance de recevoir des nouvelles de France ; j'apprendrai tant de choses intéressantes et sur ce que je vais trouver, et surtout sur ce que j'ai laissé avec tant de regret ! Pourvu que j'apprenne que vous vous portez bien, que vous m'aimez toujours, et qu'un certain nombre d'amis sont dans le même cas, je serai d'une philosophie parfaite sur tout le reste, de quelque espèce et de quelque pays qu'il puisse être. Mais aussi si mon cœur était attaqué dans un endroit bien sensible ; si vous ne m'aimiez plus tant, je serais trop malheureux. Mais je ne dois pas le craindre, n'est-ce pas, mon cher cœur ? J'ai été bien malade dans les premiers temps de mon voyage, et j'aurais pu me donner la consolation des méchants qui est de souffrir en nombreuse compagnie. Je me suis traité à ma manière, et j'ai été plus tôt guéri que les autres ; à présent je suis à peu près comme à terre. Une fois arrivé, je suis sûr d'avoir acquis l'assurance d'une santé parfaite pour bien longtemps. N'allez pas croire que je coure des dangers réels dans les occupations que je vais avoir. Le poste d'officier général a toujours été regardé comme un brevet d'immortalité. C'est un service si différent de celui que j'aurais fait en France, comme colonel, par exemple. Dans ce grade-là, on n'est que pour le conseil. Demandez-le à tous les officiers généraux français, dont le nombre est d'autant plus grand qu'une fois arrivés là, ils ne courent plus aucun risque, et par conséquent ne fait pas place à d'autres comme dans les autres services. La preuve que je ne veux pas vous tromper, c'est que je vous avouerai qu'à présent nous courons quelques dangers, parce que nous risquons d'être attaqués par des vaisseaux anglais et que le mien n'est pas de force à se défendre. Mais une fois arrivé, je suis en sûreté parfaite. Vous voyez que je vous dis tout, mon cher cœur, ainsi ayez-y confiance et ne soyez pas inquiète sans sujet. Je ne vous ferai pas de journal de mon voyage ; ici les jours se suivent, et, qui pis est, se ressemblent. Toujours le ciel, toujours l'eau ; et puis le lendemain, c'est la même chose. En vérité, les gens qui font des volumes sur une traversée maritime doivent être de cruels bavards, car, moi, j'ai eu des vents contraires comme un autre ; j'ai fait un très long voyage comme un autre ; j'ai essuyé des orages ; j'ai vu des vaisseaux, et ils étaient beaucoup plus intéressants pour moi que pour tout autre : eh bien ! Je n'ai rien remarqué qui valut la peine d'être écrit, ou qui ne l'eût été par tout le monde. À présent, parlons de choses plus importantes : parlons de vous, de la chère Henriette, de son frère ou de sa sœur. Henriette est si aimable qu'elle donne le goût des filles. Quel que soit notre nouvel enfant, je le recevrai avec une joie bien vive. Ne perdez pas un moment pour hâter mon bonheur en m'apprenant sa naissance. Je ne sais pas si c'est parce que je suis deux fois père, mais je me sens père plus que jamais. M. Deane et mon ami Carmichaël vous fourniront des moyens ; je suis bien sûr qu'ils ne négligeront rien pour me rendre heureux le plus tôt possible. Écrivez, envoyez même un homme sûr ; un homme qui vous aurait vue me ferait tant de plaisir à interroger ; Landrin par exemple... Enfin comme vous le jugerez à propos. Vous ne connaissez pas mon sentiment aussi vif, aussi tendre qu'il est, si vous croyez pouvoir négliger quelque chose qui ait rapport à vous. Vous recevrez bien tard de mes nouvelles cette fois-ci ; mais quand je serai établi, vous en aurez souvent et de bien plus fraîches. Il n'y a pas grande différence entre les lettres d'Amérique et les lettres de Sicile. Je vous avoue que j'ai furieusement cette Sicile sur le cœur. Je me suis cru si près de vous revoir. Mais brisons court à l'article Sicile. Adieu, mon cher cœur, je vous écrirai de Charlestown, je vous écrirai avant d'y arriver. Bonsoir pour aujourd'hui. »

Le 2 juin, le maréchal duc de Mouchy, commandant en chef de la Basse-Guyenne, a pris congé de Leurs Majestés et de la Famille Royale pour se rendre à son commandement, et y recevoir Monsieur.

Le 7 juin : « Je suis encore dans cette triste plaine, et c'est sans nulle comparaison ce qu'on peut faire de plus ennuyeux. Pour me consoler un peu, je pense à vous, à mes amis ; je pense au plaisir de vous retrouver. Quel charmant moment quand j'arriverai, que je viendrai vous embrasser tout de suite sans être attendu ! Vous serez peut-être avec vos enfants. J'ai même à penser à cet heureux instant un plaisir délicieux ; ne croyez pas qu'il soit éloigné, il me paraîtra bien long sûrement, mais dans le fait il ne sera pas aussi long que vous allez vous l'imaginer. Sans pouvoir décider ni le jour ni même le mois, sans voir par moi-même l'état des choses, cet exil prescrit jusqu'au mois de janvier par M. le duc d'Ayen me paraissait si immense que certainement je ne prendrai pas sur moi de m'en ordonner un bien long. Vous avouerez, mon cœur, que l'occupation et l'existence que je vais avoir sont bien différentes de celles qu'on me gardait dans ce futile voyage. Défenseur de cette liberté que j'idolâtre, libre moi-même plus que personne, en venant comme ami offrir mes services à cette république si intéressante, je n'y porte que ma franchise et ma bonne volonté, nulle ambition, nul intérêt particulier ; en travaillant pour ma gloire, je travaille pour leur bonheur. J'espère qu'en ma faveur vous deviendrez bonne Américaine, c'est un sentiment fait pour les cœurs vertueux. Le bonheur de l'Amérique est intimement lié au bonheur de toute l'humanité ; elle va devenir le respectable et sûr asile de la vertu, de l'honnêteté, de la tolérance, de l'égalité et d'une tranquille liberté. Nous avons de temps en temps de petites alertes, mais avec un peu d'adresse et de bonne fortune, je suis bien sûr de passer sans inconvénient. J'en serai d'autant plus charmé que je deviens tous les jours excessivement raisonnable. Vous savez que le vicomte (de Noailles) est sujet à répéter que les voyages forment les jeunes gens ; s'il ne le disait qu'une fois tous les matins, et une fois tous les soirs, en vérité ce ne serait pas trop, car je sens de plus en plus la justesse de cette sentence. Je ne sais où il est ce pauvre vicomte, non plus que le prince (de Poix, oncle de Mme de Lafayette), non plus que tous mes amis. C'est pourtant une cruelle chose que cette ignorance. Toutes les fois que vous pourrez rencontrer dans un coin quelqu'un que j'aime, dites-lui mille et dix mille choses pour moi. Embrassez bien tendrement mes chères sœurs, dites-leur qu'elles se souviennent de moi et qu'elles m'aiment ; faites bien mes compliments à mademoiselle Marin (gouvernante) ; je vous recommande aussi ce pauvre abbé Fayon (précepteur de M. de Lafayette). Quant à M. le maréchal de Noailles, dites-lui que je ne lui écris pas de peur de l'ennuyer, et parce que je n'ai à lui apprendre que mon arrivée ; que j'attends ses commissions pour des arbres ou plantes, ou ce qu'il voudra de moi, et que je voudrais bien que mon exactitude pût être une preuve de mon sentiment pour lui. Présentez aussi mes hommages à madame la duchesse de la Trémoïlle, et dites-lui que je lui fais les mêmes offres qu'à M. le maréchal de Noailles, pour elle ou pour sa belle-fille qui a un fort beau jardin. Faites aussi savoir à mon vieil ami Desplaces (ancien valet de chambre) que je suis en bonne santé. Quant à mes tantes, à madame d'Ayen, à la vicomtesse, je leur écris. Voilà mes petites commissions, mon cher cœur ; j'ai écrit aussi en Sicile. On voit aujourd'hui plusieurs espèces d'oiseaux qui annoncent que nous ne sommes pas bien loin de la terre. L'espérance d'y arriver est bien douce ; car la vie de ce pays-ci est bien ennuyeuse. Heureusement que ma bonne santé me permet de m'occuper un peu ; je me partage entre les livres militaires et les livres anglais. J'ai fait quelques progrès dans cette langue qui va me devenir si nécessaire. Adieu, la nuit ne me permet pas de continuer, car j'ai interdit toute lumière dans mon vaisseau depuis quelques jours ; voyez comme je suis prudent ! Adieu donc, si mes doigts sont un peu conduits par mon cœur, je n'ai pas besoin d'y voir clair pour vous dire que je vous aime et que je vous aimerai toute ma vie. »

Le 11 juin, le vicomte de Noailles, lieutenant-général de la Basse-Guyenne, qui avait été à Bordeaux pour y recevoir Monseigneur le comte d'Artois, de retour à Paris, a eu, à son arrivée, l'honneur d'être présenté au Roi, et de faire sa révérence à Sa Majesté.

Dans les correspondances que le marquis de La Fayette a écrites, une était pour sa femme, le 15 juin, chez le major Huger : « J'arrive, mon cher cœur, en très bonne santé, dans la maison d'un officier américain, et par le plus grand bonheur du monde un vaisseau français met à la voile ; jugez comme j'en suis aise. Je vais ce soir à Charlestown, je vous y écrirai. Il n'y a point de nouvelles intéressantes. La campagne est ouverte, mais on ne se bat pas, très peu du moins. Les manières de ce monde-ci sont simples, honnêtes et dignes en tout du pays où tout retentit du beau nom de liberté. Je comptais écrire à madame d'Ayen, mais c'est impossible. Adieu, adieu, mon cœur. De Charlestown je me rendrai par terre à Philadelphie et à l'armée. N'est-il pas vrai que vous m'aimerez toujours ? »

Une autre, le 19 juin, à Charlestown : « Si j'ai été pressé, mon cher cœur, de finir ma dernière lettre écrite il y a cinq ou six jours, j'espère au moins que le capitaine américain, que je croyais français, vous l'aura fait tenir dans le moins de temps possible. Cette lettre disait que je suis arrivé à bon port dans ce pays-ci, après avoir été un peu malade dans les premières semaines ; que j'étais actuellement chez un officier fort obligeant dans la maison duquel j'avais débarqué, que j'avais voulu aller tout droit, que mon voyage avait duré près de deux mois ; cette lettre parlait de tout ce qui intéresse le plus mon cœur, du regret de vous avoir quittée, de votre grossesse, de nos chers enfants ; elle disait aussi que je me porte à merveille. Je vous en fais l'extrait, parce que messieurs les Anglais pourraient bien s'amuser à la prendre en chemin. Cependant, je compte assez sur mon étoile pour espérer qu'elle vous parviendra. Cette étoile vient de me servir de manière à étonner tout ce qui est ici ; comptez-y un peu, mon cœur ; et soyez sûre qu'elle doit vous tranquilliser entièrement. J'ai débarqué après m'être promené plusieurs jours le long d'une côte qui fourmille de vaisseaux ennemis. Quand je suis arrivé ici, tout le monde m'a dit que mon vaisseau était pris surement, parce que deux frégates anglaises bloquaient le port. J'ai même envoyé et par terre et par mer des ordres au capitaine de mettre les hommes à terre et de brûler le navire, s'il en était temps encore ; eh bien ! Par un bonheur inconcevable, un coup de vent ayant pour un instant éloigné les frégates, mon vaisseau est arrivé en plein midi sans rencontrer ni amis ni ennemis. J'ai trouvé à Charlestown un officier général actuellement de service, le général Howe. Le président des États doit arriver ce soir de la campagne. Tous les gens avec qui j'ai voulu faire connaissance ici m'ont comblé de politesses et d'attentions (et ce ne sont pas les politesses d'Europe) ; je ne peux que me louer de la réception que j'ai eue ici, quoique je n'aie pas jugé à propos d'entrer dans aucun détail, ni sur mes arrangements, ni sur mes projets. Je veux voir auparavant le congrès. J'espère partir dans deux jours pour Philadelphie, c'est une route par terre de plus de deux cent cinquante lieues ; nous nous séparerons en petites troupes ; j'ai déjà acheté des chevaux et de petites voitures pour me transporter. Il se trouve actuellement ici des vaisseaux français et américains qui sortent ensemble demain matin, dans un instant où ils ne verront pas les frégates ; d'ailleurs, ils sont nombreux, armés et m'ont promis de ce bien défendre contre de petits corsaires qu'ils rencontreront surement. Je partagerai mes lettres sur les différents navires, en cas qu'il arrive quelque chose à un d'eux. Je vais à présent vous parler du pays, mon cher cœur, et de ses habitants. Ils sont aussi aimables que mon enthousiasme avait pu se le figurer. La simplicité des manières, le désir d'obliger, l'amour de la patrie et de la liberté, une douce égalité, règnent ici parmi tout le monde. L'homme le plus riche et le plus pauvre sont de niveau, et quoiqu'il y ait des fortunes immenses dans ce pays, je défie de trouver la moindre différence entre leurs manières respectives les uns pour les autres. J'ai commencé par la vie de campagne, chez le major Huger ; à présent, me voici à la ville. Tout y ressemble assez à la façon anglaise, excepté qu'il y a plus de simplicité chez eux qu'en Angleterre. La ville de Charlestown est une des plus jolies, des mieux bâties et des plus agréablement peuplées que je n’aie jamais vues. Les femmes américaines sont fort jolies, fort simples et d'une propreté charmante. Elle règne ici partout avec la plus grande recherche, bien plus même qu'en Angleterre. Ce qui m'enchante ici c'est que tous les citoyens sont frères. Il n'y a en Amérique ni pauvre, ni même ce qu'on appelle paysans. Tous les citoyens ont un bien honnête, et tous, les mêmes droits que le plus puissant propriétaire du pays. Les auberges sont bien différentes d'Europe ; le maître et la maîtresse se mettent à table avec vous, font les honneurs d'un bon repas, et en partant vous payer sans marchander. Quand on ne veut pas aller dans une auberge, on trouve des maisons de campagne où il suffit d'être bon Américain pour être reçu avec les attentions qu'on aurait en Europe pour un ami. Quant à ma réception particulière, j'ai éprouvé la plus agréable possible de tout le monde. Il suffit d'être venu avec moi pour être accueilli de la manière la plus satisfaisante. Je viens d'être cinq heures à un grand dîner, donné par un particulier de cette ville à mon intention. Les généraux Howe et Moultrie, et plusieurs officiers de ma caravane y étaient. Nous avons bu des santés et barbouillé de l'anglais, qu'à présent je commence à parler un peu. Demain je ferai ma visite et mènerai ces messieurs chez M. le président des États, et je travaillerai à mes arrangements de départ. Après demain, les généraux qui commandent ici me mèneront voir la ville et ses environs, et ensuite je partirai pour l'armée. Il faut que je ferme et que j'envoie ma lettre tout de suite, parce que le vaisseau ira ce soir à l'entrée du port pour décamper demain à cinq heures. Comme tous les bâtiments courent des dangers, je partage mes lettres sur tous. J'écris à MM. De Coigny (ami d'enfance), de Poix, de Noailles, de Ségur (oncle), et à madame d'Ayen. S'il y en a quelqu'une qui reste en chemin, donnez-leur de mes nouvelles. D'après l'agréable existence que j'ai dans ce pays-ci, la sympathie qui me met aussi à mon aise avec les habitants que si je les connaissais depuis vingt ans, la ressemblance de leur manière de penser et de la mienne, mon amour pour la gloire et pour la liberté, on doit croire que je suis bien heureux ; mais vous me manquez, mon cher cœur ; mes amis me manquent ; et il n'y a pas de bonheur pour moi loin de vous et d'eux. Je vous demande si vous m'aimez toujours, mais je me le demande bien plus souvent à moi-même, et mon cœur me répond toujours que oui ; j'espère qu'il ne me trompe pas. J'attends de vos nouvelles avec une impatience inexprimable ; j'espère en trouver à Philadelphie. Toute ma crainte est que ce corsaire qui devait m'en porter soit pris en voyage. Quoique j'imagine avoir fort déplu aux Anglais en prenant la liberté de partir en dépit d'eux, pour arriver à leur barbe, j'avoue qu'ils ne seront pas en reste avec moi, s'ils attrapent ce vaisseau, ma chère espérance, sur lequel je compte tant pour avoir de vos lettres. Écrivez-en souvent, s'il vous plaît, et de longues. Vous ne connaissez pas assez toute la joie que j'aurai à les recevoir. Embrassez bien Henriette : puis-je dire, mon cœur, embrassez nos enfants ? Ces pauvres enfants ont un père qui court les champs, mais un bon et honnête homme dans le fond, un bon père qui aime bien sa famille, et un bon mari aussi, car il aime sa femme de tout son cœur. Faites tous mes compliments à vos amies et aux miens ; je dirais aussi mes amies, avec la permission de la comtesse Auguste (d'Aremberg) et de madame de Fronsac. Ce que j'entends par mes amis, vous savez bien que c'est la chère société ; société de la cour autrefois, et qui par le laps de temps est devenue société de l'Épée de bois ; nous autres républicains nous trouvons qu'elle en vaut bien mieux. Cette lettre vous sera rendue par un capitaine français qui, je crois, ira vous la remettre lui-même, mais je vous confie que je me prépare encore une bonne affaire pour demain ; c'est de vous écrire par un Américain qui part aussi, mais plus tard. Adieu donc, mon cher cœur, je finis faute de papier, faute de temps, et si je ne vous répète pas dix mille fois que je vous aime, ce n'est pas faute de sentiment, mais bien faute de modestie, parce que j'ai la confiance d'espérer que je vous en ai persuadée. Il est fort avant dans la nuit, il fait une chaleur affreuse, et je suis dévoré de moucherons qui vous couvrent de grosses ampoules ; mais les meilleurs pays ont, comme vous voyez, leurs inconvénients. Adieu, mon cœur, adieu. »

Le 1er juillet, la deuxième fille La Fayette, Anastasie-Louise-Pauline vint au monde.

C'est à l'escale en Virginie que le major général Lafayette écrit deux lettres à son épouse, de Petersburg, le 17 juillet : « Je suis bien heureux, mon cher cœur, si le mot de bonheur est fait pour moi tant que je serai loin de tout ce que j'aime ; voici un vaisseau prêt à partir pour la France, et je pourrai vous dire, avant d'arriver à Philadelphie, que je vous aime, mon cœur, et que vous pouvez être bien tranquille sur ma santé. J'ai supporté la fatigue du voyage sans m'en apercevoir ; il a été bien long et bien ennuyeux par terre, quoiqu'il le fût encore davantage quand j'étais dans mon triste vaisseau. Je suis à présent à huit journées de Philadelphie et dans le beau pays de la Virginie. Toutes les fatigues sont passées, et je crains bien que celles de la guerre ne soient bien légères, s'il est vrai que le général Howe est parti de New York pour aller je ne sais où. Mais toutes les nouvelles sont si incertaines que j'attends mon arrivée pour fixer mon opinion ; c'est là, mon cœur, que je vous écrirai une longue lettre. Vous devez en avoir reçu quatre de moi, si elles ne sont pas tombées entre les mains des Anglais. Je n'ai pas reçu de vos nouvelles, et mon impatience d'arriver à Philadelphie pour en avoir ne peut se comparer à rien. Jugez de l'état de mon âme, après cette immensité de temps, sans recevoir deux lignes d'aucuns de mes amis. Enfin, j'espère que cela finira, car je ne puis vivre dans une telle incertitude. J'ai entrepris une tâche en vérité trop forte pour mon cœur, il n'était pas né pour tant souffrir. Vous aurez appris le commencement de mon voyage ; vous savez que j'étais parti brillamment en carrosse, vous saurez à présent que nous sommes tous à cheval après avoir brisé les voitures selon ma louable coutume, et j'espère vous écrire dans peu de jours que nous sommes arrivés à pied. Il y a un peu de fatigue, mais quoique plusieurs de mes compagnons en aient beaucoup souffert, je ne m'en suis pas du tout aperçu. Peut-être le capitaine qui porte ma lettre, ira vous faire une visite ; alors, je vous prie de le bien recevoir. J'ose à peine penser au temps de vos couches, mon cher cœur, et cependant j'y pense à tous les moments de ma journée. Je ne m'en occupe pas sans un tremblement, une crainte affreuse. En vérité je suis bien malheureux d'être si loin de vous ; quand vous ne m'aimeriez pas, vous devriez me plaindre ; mais vous m'aimez et toujours nous serons heureux l'un par l'autre. Ce petit billet est bien raccourci en comparaison des volumes que je vous ai envoyés, mais vous en recevrez un autre sous peu de jours. Plus je m'avance vers le nord, plus j'aime et ce pays et ses habitants. Il n'y a pas de politesses, de prévenances, que je n'en éprouve, quoique plusieurs sachent à peine qui je suis. Mais je vous manderai tout cela plus au long de Philadelphie. Je n'ai ici que le temps de vous prier, mon cher cœur, de ne pas oublier un malheureux qui a payé bien cher le tort de vous quitter, et qui n'avait jamais si bien senti combien il vous aime. Mes respects à madame d'Ayen, mes tendres compliments à ma sœur. Faites savoir à M. de Coigny et à M. de Poix que je me porte bien, s'il arrive malheur à des lettres que j'enverrai par une autre occasion qu'on m'a dite, où je vous écrirai encore un mot, mais je n'en suis pas si sûr que de celle-ci. »

Le 23 juillet : « Je tombe toujours, mon cher cœur, sur des occasions qui vont partir ; mais pour celle-ci, elle est si pressée que je n'ai qu'un demi-quart d'heure à moi, le vaisseau est à la voile, et je ne puis vous mander autre chose que mon heureuse arrivée à Annapolis, à quarante lieues de Philadelphie. Je ne vous dirai pas comment est cette ville, car en descendant de cheval, je m'arme d'une petite broche trempée dans de l'encre blanche. Vous avez dû recevoir cinq lettres de moi, à moins que le Roi George n'en ait reçu quelqu'une. La dernière a été expédiée il y a trois jours ; je vous y rendais compte de ma bonne santé qui n'a pas été altérée un moment, de mon impatience d'arriver à Philadelphie. J'apprends ici une mauvaise nouvelle : Ticonderoga, le poste le plus fort de l'Amérique, a été forcé par les ennemis ; c'est bien fâcheux, il faudra tâcher de réparer cela. En revanche nos troupes ont pris un officier général anglais près de New York. Je suis tous les jours plus malheureux de vous avoir quittée, mon cher cœur, j'espère recevoir de vos nouvelles à Philadelphie, et cette espérance tient une grande place dans l'impatience que j'ai d'y être arrivé. Adieu, mon cœur, je suis si pressé que je ne sais pas ce que je vous mande ; mais je sais bien que je vous aime plus tendrement que jamais, qu'il fallait le chagrin de cette séparation pour me convaincre, à quel point vous m'étiez chère, et que je donnerais la moitié de mon sang pour obtenir le plaisir de vous embrasser une fois, de vous dire une fois moi-même combien je vous aime. Mes respects à madame d'Ayen, mes compliments à la vicomtesse, à mes sœurs, à tous mes amis ; je n'ai le temps d'écrire qu'à vous. Ah ! Si vous saviez combien je vous regrette, combien je souffre d'être loin de vous, et tout ce que me dit mon cœur, vous me trouveriez un peu digne d'être aimé. Il ne me reste plus de place pour mon Henriette ; dirai-je pour mes enfants ? Embrassez, embrassez cent mille fois, je serai toujours de moitié. »

Le 1er août, le marquis de La Fayette rencontre George Washington d'origine française et descendant de Nicolas Martiau ; un dîner l'attend à la City Tavern à Philadelphie. La Fayette devient alors aide de camp du général en chef.

Au mois d'août, le marquis de Noailles, Ambassadeur de France à la Cour de Londres, partit d'ici il y a quelques jours pour aller recevoir son épouse à son débarquement à Douvres, et il l'a amenée avant-hier à l'Hôtel de France (1er août).

La marquise de Noailles, épouse du marquis de ce nom, Ambassadeur de France en cette Cour (Londres), fut présentée hier au Roi et à la Reine, à Saint-James, et fut reçue, de la part de Leurs Majestés, de la manière la plus gracieuse.

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