Partie III

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Le soleil de l’après-midi réchauffait l’air. Vivienne avait été renvoyée avec les autres apprenties, en salle d’étude. Xantha, quant à elle, se retrouvait assise devant l’immense bureau blanc de Maîtresse Dione. Il s’agissait de la plus ancienne, et sans aucun doute la plus puissante sorcière du Conclave. Elle avait une grande influence, dinait avec des rois et des reines, et jouait aux dés avec des empereurs. Xantha n’avait pas parlé avec elle aussi intimement depuis des années. Elle était en réalité mal à l’aise, plantant inconsciemment ses ongles dans les accoudoirs de sa chaise. Son interlocutrice paraissait d’un calme à toute épreuve. Mais elle la connaissait suffisamment pour savoir qu’il ne s’agissait là que d’une façade. Maîtresse Dione bouillonnait, réfléchissait sans répit. Mais surtout, et cela ajouta à l’inconfort de Xantha, elle était inquiète. L’éclat dans ses yeux gris le lui assurait. Sa voix, posée, ne trahissait rien.

— La sorcière des Terres des Glaces était en voie de devenir la cinquième et dernière Maîtresse du Conclave. Quel gâchis …

— Sait-on ce qu’il lui est arrivé ?

Maîtresse Diona prit le temps de réaligner les grimoires sur son bureau avant de lui répondre.

— On lui a tranché la gorge. Arraché serait plus approprié. Puis une jambe, et un bras. Pas forcément dans cet ordre. Uliette a retrouvé son corps devant la porte ouverte des archives, en faisant sa ronde.

Xantha se remémora Frimelda, se dirigeant vers les sous-sols après qu’elle lui eut parlé de l’effraction de Vivienne. Elle devait avoir été attaquée peu après. Mais elle n’en pipa mot.

— Quelle horreur ! Qui a bien pu faire ça ?

— Nous nous le demandons toutes. Notre sœur bien-aimée n’était pas du genre à avoir beaucoup d’ennemis. Quelques sorcières pourraient rapidement penser qu’elle a été victime de jalousie.

Le regard d’acier de la vieille femme transperça la femme, qui comprit bien vite où elle voulait en venir. Elle ne s’entendait pas beaucoup avec Frimelda, et, maintenant qu’elle n’était plus, c’était elle la principale candidate pour rejoindre les rangs des Maîtresses du Conclave. Stupéfaite d’être ainsi accusée, elle se leva d’un bond.

— Je n’ai rien fait de cela, Maîtresse Dione ! Je n’aurais jamais pu faire preuve d’autant de sauvagerie !

— Nous savons toutes deux que tu as fait bien pire.

Et elle avait raison. Xantha n’avait jamais fait dans la dentelle. Et pour cause, elle avait eu une bonne tutrice. Cette dernière se leva pour se servir un peu d’eau et intima d’un petit geste du poignet à la femme de se rassoir. Son air neutre s’effrita quelque peu.

— Nous devons rester unies, Xa. Je te connais suffisamment pour savoir que malgré vos différents, tu ne te serais jamais livrée à ce genre d’exactions. D’autant plus avec le Conquérant à nos portes.

— Alors qui ? Qui a fait ça ?

— Je soupçonne … J’ai reçu Vivienne, et elle m’a parlé de son passage dans les archives. Mais j’aimerais avoir la version des faits de ma propre apprentie.

L’ancienne apprentie s’exécuta, relatant le long moment qu’elle avait passé à chercher la jeune élève aux cheveux blonds dans les couloirs de la forteresse. Puis, elle évoqua le sentiment qu’elle avait éprouvé, qui l’avait mené jusqu’aux sous-sols. Elle parla de la porte étrangement ouverte, puis de comment elle avait retrouvé Vivienne.

— Et tu n’as vu personne d’autre ?

— Rien d’autre qu’une légère brise, Maîtresse Dione.

Celle-ci marqua une pause, l’air ailleurs. Elle jeta un œil par-dessus son épaule, puis, elle murmura presque.

— Je pense qu’il y avait quelqu’un d’autre.

Xantha sentit un courant d’air. Ou bien eût-elle un frisson.

— Je pense que vous avez libéré, sans intention aucune, une créature des archives.

Le cœur de la femme s’emballa brusquement.

— Vive aurait …

— Non. Vivienne a des capacités, mais elle n’aurait pas pu briser les chaînes des monstres contenus dans les livres, en bas.

— Je ne comprends pas, Maîtresse Dione.

Celle-ci prit sa main dans la sienne, avec une expression de sincère sollicitude.

— Tu as versé le sang sur un ouvrage. Tu avais le pouvoir, et la colère. Cela a suffi.

Xantha repensa au coup qu’elle avait donné à sa protégée. Au sang qui avait coulé de sa joue. Qu’est-ce qui lui avait pris ? Toujours apaisée, Dione reprit.

— Je crois que tu as libéré par accident quelque chose qui n’est pas humain, Xantha. Qui n’est pas même animal.

La femme commença à s’emporter, ne tolérant que trop peu d’être accusée de la sorte. Colère à laquelle son ancienne tutrice lui répliqua avec sérénité.

— Alors quoi ?

— Une créature non-humaine, qui ne vient pas de notre monde. Un démon, en somme. Elle vous a appelées, Vivienne comme appât, et toi pour la relâcher.

— Pouvons-nous vaincre une telle chose ?

— Je l’ignore. Pour l’heure, elle n’attaquera que dans l’ombre, pendant la nuit. Nous sommes toutes dans une relative sécurité jusqu’au coucher du soleil.

— Et après ?

— Elle tuera, comme pour Frimelda. Avec délectation.

Xantha commença à sentir ses jambes se dérober sous elle, bien qu’elle soit assise. Elle se sentait nauséeuse. La flamme des bougies sur le bureau sembla elle-même être apeurée, et se mit à trembloter et vaciller. La femme soupira.

— Elle a quitté les archives … Elle peut être n’importe où, cachée dans les ténèbres.

Elle eut l’impression de sentir un souffle sur sa nuque. Elle était tendue, et chaque courant d’air s’engouffrant par la fenêtre ouverte à côté d’elle lui hérissait le poil.

— J’ai déjà fait face à une telle créature par le passé. Une seule et unique fois. Pour le moment, elle ne fait qu’observer, prête à bondir si on la provoque d’une quelconque façon.

— Que pouvons-nous faire contre elle ?

— Nous pouvons tenter de la capturer à nouveau dans l’ouvrage qui lui servait de prison, si tu peux retrouver celui dont il s’agissait.

— Je crois que oui. Je vais le récupérer sur l’heure.

Maîtresse Dione l’interrompit avant qu’elle ne soit totalement levée.

— Où sont les apprenties ?

— Dans la salle d’étude, avec Clarence. Elles mettent en place des sortilèges de protection.

La vieille femme s’appuya sur son bureau pour se mettre debout.

— Je t’accompagne. Il est de mon devoir de m’assurer que les dernières sorcières du Conclave sont en sécurité.

Xantha se leva tout à fait et fit un pas de côté pour se diriger vers la porte. Avant qu’elle ne lui tourne le dos, Maîtresse Dione l’alpagua.

— Passons plutôt par les jardins. Nous arriverons plus vite à la salle d’étude.

Bien qu’il lui semblât que c’était tout l’inverse, Xantha obtempéra.

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