Partie IV

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La Maîtresse du Conclave emboita le pas de son ancienne apprentie, passant par la large porte-fenêtre pour se retrouver dans un jardin garni de fleurs blanches et bleues, dont le parfum embaumait toute l’année. Alors que la vieille femme s’accrochait à son bras, elle retrouva d’un coup d’œil le rosier que Vivienne avait fait mourir en tentant un sortilège de feu, quelques mois plus tôt. L’arbuste était rabougri et desséché, vidé de toute énergie vitale.

Dione tenait fermement le bras de la sorcière. La vieille femme n’avait pas vraiment besoin de soutien pour marcher, au contraire. En réalité, elle avançait plus vite que Xantha, qui fut contrainte de presser le pas. Elle la trainait presque.

— Comment allons-nous retrouver la créature ?

La Maîtresse du Conclave jeta un regard en coin à la sorcière, encore et toujours impassible.

— Nous n’aurons aucun mal. Elle était avec nous, dans mon bureau. J’ai senti son souffle sur mes cheveux et sa main près de mon épaule. Puis elle s’est mise en travers de la porte.

La mâchoire de Xantha tomba. Ce n’était donc pas le vent qu’elle avait senti dans sa nuque. Et pourtant, à aucun moment, elle n’avait vu le démon. Comme si elle pouvait lire dans ses pensées, Dione répondit à la question qui lui brûlait les lèvres.

— Elle riait.

— Je ne l’ai pas vue, même lorsqu’elle se trouvait derrière vous.

— Tu ne perds pas grand-chose. Mais ne te retourne pas.

En entendant ces mots, la femme dut lutter pour ne pas regarder, vers où elles venaient, si la créature les suivait. Là encore, sa comparse apporta une réponse à son interrogation muette.

— Dépêchons. Elle nous épie depuis les colonnes.

Un chemin de piliers blancs soutenait un corridor, protégé des intempéries par un toit plat. Il délimitait en entourait la totalité des jardins. Il avait tout à coup l’air d’un collet qui se refermait sur elles. Xantha commençait à trembler légèrement, luttant pour ne pas courir comme une dératée. Elle s’attendait à voir le monstre surgir de chaque haie, apparaître derrière chaque colonne, descendre de chaque branche d’arbre.

— Je ne la vois plus.

Maîtresse Dione ralentit légèrement l’allure. Le jardin n’était pas immense, pourtant sa traversée fatiguait les deux femmes sur les nerfs. Contrairement à son ancienne tutrice, Xantha voyait la créature, ou elle en devinait plutôt la position. Quelque chose bougeait dans les buissons, et en agitait l’épais feuillage. Rapidement, cela s’approchait d’elles. La femme se prépara. Même si c’était son dernier geste, elle noierait la créature sous un torrent de flammes de sang. Plus que quelques pas, et la bête serait assez proche pour qu’elle puisse la toucher. Et la créature sortit des fourrés. Ou plutôt ce qu’elle avait pris pour la créature, car ce petit écureuil blanc n’était qu’un animal innocent.

Il parvint même à l’attendrir quelques secondes, en sautillant autour d’elle. Il gambada un moment sur le chemin que suivaient les deux femmes, et fit un détour pour éviter deux petits pieds, qui dépassaient d’un arbuste. Le démon était là, entre elles et la sortie, à se jouer d’elles.

— Passe à côté sans lui prêter attention, Xantha. Elle est encore trop faible pour s’en prendre à nous, ici, en pleine lumière.

La sorcière était au bord de la crise cardiaque. Son cœur ne cessait de bondir contre sa poitrine, si bien que ses côtes commençaient à la faire souffrir. Rien de tout ceci ne pouvait être réel. Elle ne s’était jamais éveillée, la nuit précédente, pour aller chercher de l’eau. Elle était encore en train de rêver. Si Dione sentait ses doigts se crisper dans la peau de ses bras, elle ne fit aucune remarque. Elle avançait lentement, mais régulièrement.

Bientôt, les deux femmes dépassèrent le petit écureuil, et les pieds démoniaques, qui disparurent de la vision périphérique de Xantha. Quand elles furent à une distance jugée suffisante, elles se précipitèrent vers l’issue la plus proche. Derrière elles, elles entendirent un couinement. Le rongeur, plein de curiosité, s’était approché trop près. Il gisait dans une flaque de sang, complètement disloqué. De longs doigts rouges laissèrent des sillons dans la terre autour de ce qui restait du petit cadavre. Comme s’il aspirait lentement l’essence vitale de ce qu’il touchait, les végétaux dans un proche rayon commencèrent à pourrir.

Xantha courut comme si sa vie en dépendait, ce qui était effectivement le cas. Malgré son grand âge, Maîtresse Dione tenait le rythme, et en quelques minutes, elles arrivèrent devant la salle d’étude, où se trouvaient les dernières sorcières du Conclave. La plus jeune des deux femmes commença l’ascension des marches menant à la grande porte. A mi-chemin, son ancienne tutrice la prévint.

— Fais trois pas de côté.

Elle comprit immédiatement pourquoi. Si, pour une raison qu’elle ignorait, elle ne la voyait pas en pleine lumière, elle sut que la créature se tenait immobile devant elle. Elle finit par comprendre comment Dione l’avait repérée. Sa silhouette sombre se dessinait sur les dalles de pierre. Le monstre pouvait se cacher, mais il ne pouvait dissimuler son ombre.

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