Cité-Cime

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Le soleil de midi jetait ses doux rayons sur les toitures en tuiles d'argile rouge des maisons. L'astre lumineux occupait seul le ciel d'un bleu céruléen, aucun nuage ne venant obstruer l'immensité de l'espace. Les hauts cyprès de la ville semblaient vouloir caresser la boule de feu dorée de leurs branches les plus hautes. Aucun oiseau ne volait, l'air était calme et apaisé, car personne ne venait le déranger. Cependant, sur terre, l'activité était bien plus importante : le marché de Cité-Cime était noir de monde. Les étals proposaient des articles d'une étonnante diversité, et les habitants se pressaient pour être les premiers à pouvoir les acheter. La forge fumait comme un volcan en activité, on pouvait entendre les coups de marteau à plusieurs quartiers à la ronde. Les poissoniers et les bouchers criaient comme des dégénérés, vociférant leurs prix à qui voulait bien les entendre. Les bijoutières parlaient d'une voix calme et mesurée, tout en s'assurant que leurs clients ne détournent pas les yeux de leurs colifichets. Les gardes étaient adossés aux colonnes de pierre ou aux murs des maisons, surveillant les habitants d'un oeil discret. Des odeurs diverses et parfumées envahissaient l'air, attirant de nouvelles personnes près des fleuristes ou des parfumières. Il y avait beaucoup d'agitation, le samedi midi, sur l'une des places du marché de Cité-Cime.

 Héride adorait ce moment-là de la semaine, elle aimait sentir l'excitation, la joie, la panique, toutes ces émotions diverses combinées pour créer une ambiance dans laquelle elle se sentait aussi à l'aise que sous les couvertures de son lit. Héride avait toujours vécu à Cité-Cime, bien qu'elle n'y fut pas née, selon sa mère et son beau-père.

 Elle leur avait souvent posé des questions sur son père biologique, mais Méria, sa mère, restait évasive à chaque fois qu'elle abordait le sujet. De son géniteur, Héride ne savait que deux choses : son nom, Arktur, et qu'il avait lâchement abandonné sa femme et sa fille pour devenir pirate. Pour cela, Héride le haïssait de tout son coeur. Quel genre d'homme était-il pour laisser seule sa bien-aimée à s'occuper de leur jeune fille ? Et qui plus est pour de l'argent ? Si un jour je le retrouve, je jure qu'il paiera pour le mal qu'il nous a fait, à Mère et à moi, songea-t-elle, tout en remontant la rue en direction de l'épicerie.

 Héride poussa la jolie porte de bois écorcé et de verre poli, et le léger tintement d'un carillon se fit entendre. Aussitôt, une multitude de senteurs assaillit la jeune albinos, allant des effluves de fleurs séchées ou de poudres d'épices aux aigres odeurs de viande séchée et de champignons de toutes sortes. L'épicerie de Madame Ruliver était l'une des échoppes favorites de l'adolescente. Tout était rangé soigneusement, mais le magasin regorgeait d'articles hétéroclites, allant des sucreries aux bougies parfumées, en passant par les outils de bricolage. Madame Ruliver était une grosse femme sympathique et amicale, qui aimait plaisanter avec ses clients, et qui s'efforçait de proposer tout ce dont ils avaient besoin. L'épicière vivait seule dans un appartement situé au-dessus de sa boutique depuis la mort de son époux, qui tenait autrefois l'échoppe avec elle. Tous s'attendaient à ce qu'elle ferme définitivement, à ce qu'elle se recluse chez elle jusqu'à ce que la mort l'entraîne, mais Madame Ruliver avait fait le deuil de son mari ouvertement, toujours souriante, tentant de cacher ses émotions. Héride appréciait vraiment cette femme, qui gardait le sourire, peu importe les épreuves. Pénétrer dans son épicerie ou bavarder avec elle redonnait joie et confiance en soi.

 Elle salua chaleureusement la vendeuse, qui était en train de ranger des figurines de bois peintes à l'intérieur d'une vitrine. Héride s'approcha du comptoir.

 « De quoi as-tu besoin, jeune fille ? demanda Madame Ruliver d'un ton presque enjoué.

 — Ma mère m'a envoyé chercher du sel et du poivre, expliqua l'albinos. Oh, et si vous pouviez m'y ajouter un sachet de feuilles de thé !

 — Du thé noir ? » demanda la commerçante, tout en se dressant sur la pointe de ses pieds pour atteindre l'étagère où était disposés bocaux de sel et de poivre.

 Elle attrapa un petit sac finement cousu rempli de feuilles noires et sèches, puis posa le tout sur une balance.

 « Cela sera tout, ma petite Héride ? demanda la bonne femme rondouillarde.

 — Vos figurines sont vraiment jolies, est-ce que je pourrais en avoir une ?

 — Leur prix est de cinq miers, mais je te la donne à trois, puisque tu es une de mes meilleures clientes », sourit Madame Ruliver avec un clin d'oeil.

 Elle ouvrit la vitrine et en sortit une figurine de bois. Elle représentait un magicien en robe grise recouverte de spirales bleu sombre, au visage pâle et aux yeux d'un bleu intense. Héride mit quelques secondes à comprendre qu'il représentait un albinos du très ancien ordre de Tiarem, un groupe de magiciens à la peau blanche et aux yeux bleus ou roses très puissant, qui avait aidé le royaume d'Orovei durant la longue bataille des Cent Tours, il y avait de cela des siècles. Quelque part en elle, Héride songea que cette figurine avait été créée à l'image de ses ancêtres, les mages les plus puissants des sept royaumes. Elle la serra dans son poing fermé, et saisit son petit panier rempli de ses achats. Elle allait partir, quand Madame Ruliver la rapella :

 « Oh, Héride, il faut que je te dise, s'exclama-t-elle, alors que la jeune albinos se retournait. Mon ami Batian l'apothicaire m'a dit que ta mère lui devait de l'argent depuis une semaine ! Il voulait que je te le rapelle. Pourras-tu le lui dire ?

 — Bien entendu, fit Héride en hochant de la tête. Je m'en assurerai. »

 Mais elle n'eut pas le temps d'ouvrir la porte, car un officier de la garde s'en chargea avant elle, faisant tressauter le carillon. Son visage était inquiet, mais il semblait garder son sang-froid d'une main de maître.

 « Quittez immédiatement ce magasin ! s'écria-t-il. Courrez vers la sortie Nord-Est ! L'ennemi est à nos portes !

 — Que se passe-t-il ? s'étrangla Madame Ruliver, qui semblait avoir mal entendu. Quel ennemi ?

 — La ville est attaquée, il vous faut fuir ! hurla l'homme d'un ton dur. Jamais la garde ne pourra arrêter un tel assaut, au mieux, la contenir ! Ne contestez pas les ordres du général, fuyez ! »

 À ces mots, il claqua fermement la porte, tout en courant vers une autre.

 Héride et Madame Ruliver échangèrent un regard paniqué, puis l'épicière courut vers l'escalier, au fond de la pièce.

 « Va prévenir tes parents, ma petite ! s'époumona-t-elle. Fuis ! »

 Sans plus réfléchir, l'adolescente quitta l'échoppe et partit en courant en direction de sa maison, située à une demi-douzaine de rues d'ici. Cité-Cime, attaquée ? Par un ennemi qui dépassait les forces de la garde du roi ? Mais, par tous les dieux, qui pouvait être assez puissant pour faire aussi peur à des soldats ? Héride comprit alors que sa vie était en danger, et que sa survie allait dépendre de sa rapidité...

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