La fuite

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 Héride courait à perdre haleine, des cris retentissaient partout dans la ville. Elle pouvait entendre les hurlements des soldats placés sur la muraille toute proche, qui vociféraient des ordres pour maintenir la défense. L'ennemi semblait trop puissant.

 Sa priorité était d'aller retrouver ses parents. La perspective de perdre sa mère et son beau-père lui était insupportable, et elle essayait d'ignorer de telles pensées, se concentrant sur sa course effrenée à travers les rues de Cité-Cime. Partout où elle allait, elle croisait des gardes essouflés, certains n'étaient que de simples messagers chargés d'aller prévenir les habitants de l'assaut. Quelques uns transportaient des caisses d'armes telles des arcs ou des arbalètes, plus utiles depuis les hauteurs. L'ennemi n'avait pas encore franchi la lourde porte de Cité-Cime, il restait encore du temps pour fuir.

 Héride tourna à un étroit carrefour entre deux hautes bâtisses, et dut freiner brusquement lorsqu'un soldat déboula devant elle.

 « Hola, ma petite ! s'exclama-t-il, manquant de lui donner un coup dans le ventre du manche de son épée. La fuite, c'est à l'autre bout de la ville ! Tu dois partir tout de suite ! »

 Héride ne s'arrêta pas pour lui répondre, le dépassa rapidement, et reprit sa course jusqu'à sa maison.

 Les cris des gardes se préparant au combat au corps à corps n'étaient pas faits pour la rassurer. La tension était montée d'un cran, et la peur lui nouait le ventre : le soldat n'aurait pu être plus concis, ils couraient tous un danger de mort.

 Elle aperçut enfin la maison de sa mère, entre deux hautes habitations sans fenêtres, au bout d'une ruelle sombre. Les lumières étaient allumées, à l'intérieur, et il semblait y avoir de l'agitation. Sans hésiter, Héride poussa la porte d'entrée, manquant de frapper son beau-père de la poignée intérieure. Il portait une grande sacoche de cuir remplie d'affaires fourrées dedans à la hâte, et sa mine était inquiète : ils avaient déjà eu vent de l'invasion proche, et se hâtaient d'emporter tout ce qu'ils pouvaient avant de fuir. Héride courut jusqu'à l'étage, où elle trouva sa mère, Méria, figée devant la fenêtre de sa chambre. Héride s'avança près d'elle, tout en la secouant par l'épaule.

 « Mère ! s'écria-t-elle. Il faut y aller, vite ! Ils seront là d'une minute à l'autre ! »

 Mais Méria ne répondit pas, ses yeux étaient écarquillés, fixant le mur d'enceinte de Cité-Cime, qui se dressait au-dessus des toitures des maisons.

 « Ils ont franchi la porte, murmura-t-elle, en détournant enfin le regard. Le combat va commencer. J'ai rassemblé tes habits, à présent il faut partir. A nous deux, nous pourrons les éviter et nous mettre en sureté.

 — Quoi ? Mais, et Beau-Père... s'exclama Héride, incrédule.

 — Tous les hommes de la cité sont appelés à défendre leur ville, répondit gravement Méria. Prions les divins qu'il s'en sorte vivant. »

 Héride essaya de se persuader que cela arriverait, mais elle avait vu une étincelle étrange, dans le regard de sa mère : du découragement. Elles le savaient toutes deux, il n'y avait aucun espoir qu'il revienne de cette bataille.

 Juste avant de quitter leur maison, ils s'embrassèrent longuement, puis le mari de Méria les salua d'un geste de la main, avant de rejoindre le front, armure de cuir enfilée et épée à la ceinture. Héride tentait de se retenir de pleurer, tandis que sa mère l'entraînait vers le Nord-Est de Cité-Cime, là où se trouvait l'autre porte, plus petite, où les femmes, leurs enfants et les vieillards étaient censés s'enfuir. Héride ne pouvait s'empêcher d'avoir peur, et elle avait beau se répéter que c'était naturel, le sentiment avait une dimension cachée, une dimension bien plus grave qu'elle ne parvenait à comprendre.

 Au loin, les hurlements féroces des soldats se faisaient entendre. La jeune albinos serrait fort la main de Méria, au point d'en avoir les phalanges plus blanches que la neige. Mais sa mère semblait ne pas ressentir les doigts de sa fille, totalement omnibulée par sa fuite.

 Ils traversèrent de nombreux quartiers, quand un paysan portant un casque de combattant courant en sens inverse les interpella, paniqué :

 « Ils sont là ! hurla-t-il. Ils ont contourné la muraille, ils rentrent par la porte Nord-Est ! »

 Méria poussa un cri horrifié, alors qu'une foule de femmes, leurs enfants dans les bras, se dirigeaient d'un pas rapide vers elles. Elles furent bousculées, et Héride lâcha involontairement la main de sa mère. Elle était tombé au sol, des jambes pressées la bousculaient, lui donnaient des coups dans le visage. Aveuglée, elle hurla à l'aide, mais personne ne s'arrêta pour l'aider. Méria avait disparu.

 Soudain, des cris de douleur montèrent à l'arrière. Les ennemis les avaient rattrappés ! Sans aucune pitié, ils faisaient la peau aux femmes et aux hommes âgés, et embrochaient les mères sur leurs épées d'argent scintillant. Héride se redressa, étourdie par les coups qu'elle avait reçu, et aperçu un homme en épaisse armure sombre, au sourire carnassier et cruel, menacer une jeune femme portant un bébé dans ses bras. Aculée à une maison, elle affichait une mine terrorisée et serrait son enfant sous le gilet de sa robe. D'un geste vif, le guerrier lui arracha le nourrisson des bras, et trancha la gorge de la pauvre citadine. Et, alors que le corps sans vie tombait doucement sur les dalles de pierre de la ruelle, l'homme saisit le bébé dans ses bras et le berça doucement, avant de délicatement le poser dans une charrette qui arrivait près de lui. Ahurie par tant de cruauté, Héride se cacha derrière une maison, et s'enfuit en remontant la rue, en direction du château.

 Elle entendait des bruits de bataille autour d'elle, des épées qui s'entrechoquaient, des flèches qui fusaient en sifflant, des boucliers qui repoussaient les cous ou encaissaient les projectiles ennemis. Héride avait l'impression de se trouver dans un autre monde, comme si tout se passait au ralenti autour d'elle. Seule sa course effrénée en direction du fort du seigneur de Cité-Cime lui importait.

 Où était passée sa mère ? Qu'était-il arrivé à tous les villageois qui avaient essayé de fuir, ceux qui avaient été pris à revers par les assaillants ? Cherchaient-ils, comme elle, asile au château ? Ou avaient-ils fini entre les lames aiguisées et malpropres des guerriers ennemis ? Elle l'ignorait, et cela ne faisait que la rendre encore plus anxieuse. Cependant, elle ne tarda pas à obtenir de réponse.

 Une immense foule d'habitants faibles, femmes enceintes, vieillards, enfants, frappaient les grandes portes de la cour du palais en hurlant à l'aide, en pleurant, en criant. Derrière eux, les ennemis arrivaient, sortaient leurs épées de leurs fourreaux et se jetaient sur les habitants sans défenses. Sous les yeux horrifiés de Héride, un véritable massacre se produisit. Les assaillants étaient sans pitiés, mais tuaient uniquement les adultes de plus de trente années. Ils assomaient les autres à coup de pommeau d'arme, puis tiraient leurs corps inanimés vers des charrettes.

 Prise dans sa torpeur, Héride n'entendit pas le malfrat qui arrivait dans son dos, et qui, elle aussi, lui donna un violent coup à l'arrière du crâne. Alors, la jeune fille sombra dans le noir, et n'ouvrit pas les yeux avant de bonnes heures.

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