Chapitre 1 Papy a disparu

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Depuis sa retraite, Papy bricole dans son garage et dans le petit local situé juste derrière la maison.

Papy a beaucoup bourlingué pendant sa vie professionnelle. Ingénieur dans les domaines de l'atome, des énergies, de l'électronique, il n'a cessé de se perfectionner. Il entretient des relations avec des personnes ayant les mêmes intérêts que lui. Et, il effectue ses propres recherches.



Papy a disparu.

C'était surprenant. Le matin, après son petit déjeuner, il se retirait pour bricoler dans son garage. Parfois, il se rendait en bus à la grande surface d'Auchan, muni d'un cabas. Et il demandait toujours à Bianca, sa femme, ce qu'il fallait acheter.

Il ne conduisait plus depuis un certain temps, et il ne possédait plus de voiture, ce qui éliminait dans notre esprit le risque d'accident.

Nous avons attendu son retour toute la journée, avant de nous résigner à déclarer sa disparition à la police. René, son gendre, fut désigné pour accomplir cette formalité.

Interrogatoire police.

Le policier commença à enregistrer sa déclaration. René lui remit sa carte d'identité ainsi que celle du disparu, qui ne l'avait pas emportée. Il disposait d'un ordinateur, mais ne tapait sur le clavier qu'avec un doigt.

- Depuis quand a-t-il disparu ?

- Depuis ce matin.

- Pouvez-vous me le décrire, quelle est sa taille, la couleur de ses yeux, comment était-il habillé ?

René prit son téléphone portable, pour appeler Marie, et il le passa au fonctionnaire.

- Marie, ma femme, elle vous répondra mieux que moi.

- Marie qui ?

- Marie, ma femme, elle porte le même nom que moi.

- Son nom de jeune fille.

- C'est le même que celui du disparu qui est son père.

Le fonctionnaire accepta enfin de lui parler, et elle répondit sans hésiter à toutes les questions.

À la fin, il lui demanda si elle n'avait pas quelques renseignements supplémentaires à donner, susceptibles d'orienter l’enquête.

Au fur et à mesure que Marie parlait, on le sentait de plus en plus nerveux. Il n'arrivait pas à suivre avec son seul doigt, le flot d'informations qu'elle lui apportait.

Et quand elle en arriva à :

- et, mon père a connu une enfance difficile, car, à cinq ans, dans la forge de son père, il devait tenir le pied du cheval pour qu'on pose un fer sur son sabot,

le policier qui était tout rouge s’arrêta de taper, et lui dit :

- madame, on ne peut pas écrire tout ça.

Et il mit son doigt frappeur de touches, douloureux, dans sa bouche.

Sur il signa le procès-verbal.

- Nous allons envoyer une voiture qui sillonnera votre quartier, et le signalement de la disparition sera diffusé dans tous les postes de police.



À la maison, personne n'avait rien vu venir. Tout semblait normal.



Nous avions arpenté toutes les rues aux alentours, interrogé les chauffeurs de bus en leur montrant la photo du Papy.

Nous avions cherché des éléments d'informations sur son ordinateur, mais à notre grande surprise, tous ses fichiers étaient cryptés et donc impossibles à lire sans détenir les mots de passe. Personne n'était au courant de ce que nous appelions ses douces lubies, et certains disaient en cachette qu'il s'isolait pour regarder des photos cochonnes.

Mamie Bianca avait fait le tour de l'atelier qu'elle connaissait si bien, pour y faire le ménage chaque fois qu'il s'absentait, et elle n'y avait détecté aucune anomalie.

D'ailleurs, le Papy était d'un naturel paisible, et il n'y avait qu'une chose qui le contrariait dans la vie : son gendre qu'il traitait de bon à rien, et qui le mettait dans une colère noire, presque chaque fois qu'il le croisait. D'ailleurs, ils se croisaient peu, car le Papy se réfugiait dans sa chambre pour éviter de prononcer des mots désagréables.



Deux jours plus tard, le Papy réapparut, exactement comme il était parti. Soudainement.

La police classa l'affaire sans suite. Les petits vieux qui disparaissent après avoir bu un grand coup de trop, et qui réapparaissent ensuite, c'était trop banal pour valoir un signalement télévisé Alerte Enlèvement.

Mais la famille voulait savoir. Et quand les femmes des vieilles familles italiennes veulent savoir, elles obtiennent toujours ce qu'elles veulent.

Il commença :

- Je lui ai dit ce que je pensais de lui, à ce petit con de René.

Comme l'assistance ne comprenait pas, il poursuivit : 

- Je lui ai dit qu'il était trop con pour épouser ma fille.

Anna, sa fille aînée lui demanda :

- Explique-toi, car on n'y comprend rien.

- Ça marche, j'ai créé ma machine à remonter le temps, je l'ai testée sur moi, je me suis défoulé sur le petit con. Et j'en suis revenu. Cela fait 25 ans que je travaille sur ce projet avec le même objectif.

L’empêcher d'épouser ma fille. Et, je reconnais que c'est trop tard.

Anna poursuivit :

- Et vous vous êtes dit quoi ?

- J'avais choisi une année au hasard. 1968. Quand je l'ai rencontré, j'étais à la fois rassuré et contrarié. Un homme d'une maigreur d'anorexique, avec une longue chevelure qui couvrait les épaules, une barbe qui cachait la moitié de la figure, et des lunettes qui cachaient le reste.

Ça me rassurait, car je pensais que ma fille qui a les pieds sur terre, et un bon sens sicilien, ne pouvait pas s'éprendre, et, à plus fortes raisons, se marier avec cet épouvantail.


Contrarié, car je savais que, par malheur, elle l'avait épousé.


Il était dans une manifestation de mai 68, avec les gauchistes. Je lui ai crié de tout. Mais il n'a rien entendu à cause du bruit de la manifestation.


En fait, je me suis contenté de le regarder et de l'insulter de loin. Je ne lui ai pas parlé. Je me suis dit qu'il devait peut-être avoir quelques qualités cachées, bien cachées, pour que ma fille accepte de l'épouser. Mais j'étais certain que ses hypothétiques qualités cachées me demeureraient à moi, à jamais incomprises.

Je suis donc revenu parmi vous sans avoir rempli la mission, en réalité, impossible à mener, que je m'étais fixée.



Anna ne lâchait pas prise :

-Pourquoi as-tu prétendu que tu avais parlé à René ?


- Parce que ça me défoule, parce qu'ainsi, je n'ai pas l'impression d'avoir travaillé à ce projet pendant tant d'années pour donner l'impression de m'être dégonflé, alors que je ne lui ai octroyé, en fait, que le bénéfice du doute.


Non pas que je doute que ma fille ait épousé l'homme le plus inutile que j'ai vu dans ma vie, mais, que de son point de vue, elle y aurait trouvé quelques avantages que je ne saurais comprendre.


Je dois ajouter, aussi incroyable que cela puisse sembler, que j'ai été immédiatement intercepté par une police du ciel. Ils m'ont interrogé, et prévenu que je ne devais effectuer aucune action à effets durables modifiant le futur. Et ils m'ont relâché.


Ils sont, selon leurs dires, responsables de la cohérence du monde dans le temps.


Je ne sais si je ne vais pas détruire cette machine, car il ne faudrait pas qu'elle tombe entre les mains de personnes, ou de pays malintentionnés. Tout ce que je sais, c'est que personne ne travaille actuellement sur un projet de ce type.


Changer l'histoire pourrait devenir un jeu dévastateur pour l'humanité, et moi, Papy, j'en porte la lourde responsabilité.



Le Papy, quoi qu'il en dise, était fier de lui. Il n'avait pas toujours été considéré à sa véritable valeur dans sa famille, et il tenait, avec les lourdes responsabilités qui étaient aujourd’hui les siennes, une espèce de revanche.

Il était le premier passéonaute de l'histoire.



Rose, la plus jeune des trois sœurs demanda :

- La machine ne pourrait-elle pas encore nous servir ? Combien de personnes peuvent être transférées simultanément ?

Le Papy semblait heureux de voir que son invention suscitait de l’intérêt.

- Trois personnes au total, c'est fonction de la taille de l'ouverture, et de la puissance de la machine.

Personne ne croyait à son histoire de police du ciel, mais c'était si bien raconté que nul n'avait osé le contredire.

             


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