Chapitre 5 Pourquoi moi

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Comme je n’arrêtais pas de me plaindre de mes employeurs, de mes collègues de travail, et de la terre entière, en résumé, Rose me dit :

- écoute, René, tu devrais rencontrer des gens qui sont vraiment malheureux, qui sont seuls et abandonnés. Et tu arrêterais de déverser ta pitié sur toi même. Fais un effort.



Elle me proposa de faire un petit stage dans un hôpital pour soutenir moralement, régulièrement, pendant quelques heures chaque fois, des personnes seules hospitalisées.

Personnellement, ça ne me disait absolument rien, mais le curé la soutenait et semblait tenir à son idée. Bon, c'était une activité qui ne me coûtait rien financièrement.

Alors, pourquoi pas.

Le curé me demanda ma carte d'identité, et remplit lui-même un imprimé qu'il me fit signer.

Voilà, vous n'avez rien à faire, l’hôpital vous contactera.

Quelques jours plus tard, je reçus une convocation à une heure de réception de l'hôpital.

Lors de ce rendez-vous, après avoir montré ma carte d'identité, on me créa un dossier dans lequel je fournis mes dates et heures de disponibilités.

On m'expliqua que ma mission consisterait à soutenir moralement des personnes malades qui ne bénéficiaient pas d'un accompagnement familial, et qui pour cette raison pouvaient souffrir de solitude.

En complément, on ajouta que pendant une période probatoire, je ne pouvais rester seul dans la chambre d'un malade, et de plus, que le malade pouvait à tout moment me récuser si ma présence ne lui convenait pas.

Sur quoi, lu et approuvé, je signais en bas de la feuille.

- C'est fini.

- Oui, c'est fini, vous pouvez rentrer chez vous.

J'avais donné le numéro de téléphone du boulot, car je savais que ce type d'activité sociale serait bien vu par mes chefs.



Peu de temps après, je fus convoqué à l’hôpital.

On m'expliqua rapidement que les volontaires étaient rares en ce moment, et que l'on me confiait une mission, techniquement peu difficile, mais émotionnellement compliquée.

Il y a dans la chambre à côté une jeune fille espagnole qui ne parle pas le français, sans famille, et atteinte d'un cancer généralisé très rare.

Et elle le savait.



Actuellement, deux sœurs jumelles, très engagées dans leur mission, très pieuses, sont près d'elle.

Nous ne nous faisons pas trop d'illusion sur l'aide réelle que vous pourrez apporter à la malade, vous avez indiqué un niveau débutant en espagnol, mais vous pourrez peut-être les décharger émotionnellement par moment.

Les rapports qu'elles nous ont faits après leur dernière visite montrent qu'elles sont fatiguées, et en train de craquer.

Le curé qui nous a soumis votre dossier nous a indiqué que vous étiez plutôt un homme insensible à tout.

En général, ce n'est pas un point très positif, mais dans ce cas là, ça peut l'être.



Quand j'entrais dans la chambre, il faisait presque sombre. j’aperçus la malade dans son lit, elle semblait très jeune, son visage paraissait très blanc.

Ce que je remarquai immédiatement, c'était le bas de sa figure qui était un peu plissé, comme si elle serrait les dents de toutes ses forces.

Elle regardait fixement devant elle.

Rien dans son comportement n'indiquait qu'elle m'avait vue entrer et tenait compte de ma présence.

Les deux sœurs m’ont accueilli d'un sourire et d'un hochement de tête.

Je n'ai d'ailleurs, pendant toute la durée de cette mission, jamais échangé le moindre mot avec elles.

Elles étaient assises sur une chaise, toutes les deux du même côté.

Je pensais qu'elles devaient intervenir chacune à tour de rôle. Quand on est jumelles, c'est quand même plus facile.

Je pris une chaise libre, et m'installai de l'autre côté du lit.

L'une des sœurs lui murmurait à l'oreille des mots que je n'arrivais pas à comprendre.

À certains moments, le visage de la malade paraissait un peu moins crispé, ses dents semblaient un peu se desserrer.

Les seules paroles qu'elle prononçait, et que je comprenais étaient « porqué mi » pourquoi moi.

Ces mots revenaient, comme une idée fixe, revenaient, revenaient, revenaient …

J'étais plutôt horrifié par la situation. Je ne savais pas quoi faire, quoi dire.

Heureusement pour moi, la sœur entretenait le monologue, ce qui me dispensa d'intervenir.

Je me suis demandé pendant tout ce temps, ce que je faisais là, et même, j'ai failli partir.

C'était très impressionnant.

Plus tard, les infirmières ont envahi la chambre pour prodiguer les soins quotidiens, et nous avons dû céder la place.

En sortant, j'ai demandé si je devais faire un rapport de ma visite. La femme m'a souri et m'a indiqué que la première fois, ce n'était pas nécessaire.

Elle m'a demandé si je souhaitais continuer.

Je lui ai répondu oui, d'une voix mal assurée.

Je rentrais chez moi, mais les images de cette fille me hantaient.

Je n'arrivais pas à me débarrasser des porqué mi qui tournaient en boucle dans mes oreilles.

Je me demandais la raison pour laquelle le curé avait insisté pour m'envoyer dans cette galère.

Mais, au fond de moi, une petite voix me disait qu'il fallait que je poursuive l'expérience.

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