Lorsque je me présentais à mon premier rendez-vous avec Gérard, je tenais sous le bras le livre de compta avec corrigés qu'il m'avait conseillé d’emprunter à la fac. J'avais apporté aussi de quoi prendre des notes.

Il habitait dans un petit appartement ancien, bien meublé, au centre d'Aix.

Je me demandais comment la soirée allait se passer.

Je sonnais, et c'est une jeune femme qui vient m'ouvrir.

- Je suis Lucie, la sœur de Gérard.

Elle me fit la bise et me laissa entrer.

Gérard était assis sur un canapé, il me fit signe de m’asseoir à côté de lui.

Avant d'attaquer l'objet de notre entretien, il me présenta sa sœur :

Lucie a décidé de consacrer sa vie à Dieu. Elle va intégrer un couvent dans peu de temps.

En attendant, elle me fait la cuisine. Elle n'y comprend rien en comptabilité.

Pour ma part, je trouvais triste qu'une jolie fille comme elle ait choisi ce chemin.

Je montrais à Gérard que j'avais travaillé près de la moitié des chapitres du livre, en effectuant tous les exercices. J'y avais travaillé plusieurs heures par jour, me levant tôt le matin pour parvenir à mes objectifs. Je lui relatais les quelques difficultés que j'avais rencontrées, et que j'avais notées par écrit.

Il m'expliqua ce que je n'avais pas compris, et me posa ensuite des questions auxquelles je répondis facilement.

Il avait vraiment une jolie sœur. Il n'aurait jamais dû me dire qu'elle allait entrer en religion.

Tu restes avec nous pour manger, c'est à la bonne franquette ?

J'avais bien envie de rester avec eux, aussi je n'ai pas cherché une excuse pour refuser, et j'ai dit oui tout de suite. J'ai donc répondu bêtement : c'est gentil de m'inviter.

La comptabilité ayant été explicitement exclue de la conversation, celle-ci se révéla agréable.

Lucie voulait absolument tout savoir au sujet de ma rencontre avec l'ange. Comment j'avais été sûr que c'était bien un ange, quel effet ça faisait, d'en rencontrer un.

Je lui dis que quand quelqu'un surgit soudain dans une pièce fermée à clef, alors que celle-ci était vide quelques instants auparavant, on a un instant de stupeur. Quand la personne vous annonce qu'elle est un ange, on reste incrédule. Quand elle vous annonce porter un message de Dieu qui correspond exactement à l'actualité du moment, vous êtes entre deux eaux.

Mais, quand elle disparaît ensuite devant vous de la même manière, le doute disparaît.

Pour ce qui est de l'effet, c'est surtout le contenu du message indiquant que la petite malade serait sauvée, qui m'avait marqué.

Comme je lui demandais ce qui l'avait poussé à choisir sa voie, qui, dans mon esprit, était une voie sans issues, qui la coupait du monde des vivants, elle sourit.

Si vous m'aviez rencontrée il y a peu de temps, vous auriez pris un air suffisant pour me demander pourquoi gâcher sa vie à la poursuite d'un Dieu qui n'existe peut-être pas. Mais maintenant, vous êtes un des rares humains qui puisse croire en Dieu, preuve à l’appui.

Mon choix est un choix humain, et je vais vous l'expliquer.

Vous êtes le dernier qui devrait s'autoriser à le contester . Un choix de vivre dans la croyance et dans la prière.

Vous avez été témoin des effets de la force de la prière. Dieu miséricordieux est touché par les prières sincères, et il vous l'a montré. Bon, je reconnais que le résultat n'a pas été à la hauteur de la promesse, mais vous en connaissez les raisons.

Il semble, si je vous écoute, que la poursuite des fadaises imposées par les petits ego des hommes soit le top modèle de la participation au monde des vivants.

Sincèrement, je ne le crois pas, et je ne pense pas que vous le croyez vous-même.

Je ne sais pas ce qu'elle faisait avant de s'enticher de la religion, mais elle avait réussi à me tordre le cerveau. Et je ne savais plus trop quoi penser de tout ça. Sauf que c'était dommage de la voir prendre une telle décision, et que j'aimais bien parler avec elle.

J'avais toujours joué l'avocat du diable, mais il semblait qu'ici, le diable était battu à plate couture.

Il était près de minuit quand je suis rentré chez moi.

Cette invitation m'avait revigoré. Les appréciations positives sur mon travail de Gérard avaient boosté mon moral.