Chapitre 11 Polo

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Quelques années auparavant, je patientais dans une salle d'attente de la fac de lettre, et je faisais comme d'habitude les cent pas.

Un étudiant assis sur un banc m’interpella, alors que je passais près de lui :

Péripatéticien ?

Ce mot que je ne connaissais pas avait pour moi une consonance négative, et je me retournais vivement.

Ne t'énerves pas, ça veut dire promeneur en grec.

Je lui demandais pourquoi il me disait ça.

Parce que depuis que tu tournes en rond, tu me donnes le tournis.

Je m'assis à côté de lui.

Qu'est ce que tu fais ?

Philo, et toi ?

Éco, mais je viens pour consulter les conditions d'admission à l'IAE.

Mon dada, c'est la stratégie d'entreprise, et toi ?

Le mien, ce sont les théories de Freud. Cela représentait un semestre de cours seulement, mais je veux en faire ma profession.

Freud, le créateur du lapsus, génial ?

Plus que ça …

Une porte s'ouvrit, l'étudiant se leva.

C'est à moi, si ça t’intéresse, je passe à la cafette après mon rendez-vous.

Je lui ai fait un OK de la tête.



Je le rejoignis à la cafette derrière la fac. Comme tout le monde ici, il buvait son café. Dans la journée, des étudiants comme moi parvenaient à en boire quatre ou cinq par jour.

Nous regardâmes une partie de baby-foot en cours. Comme d'habitude, l'équipe des Koweïtiens marquait but sur but, avec élégance. On entendait le claquement sec des balles qui entraient dans les buts.

Je lançais la conversation :

Avec un ami, nous sommes les seuls à leur tenir tête, mais ils finissent toujours par nous battre.

Moi, j'admire, mais je ne pratique pas.

Alors, ton Freud ?

Une mine d'or.

Ça, c'est précis.

Non, attends, c'est juste parce qu'il y en a trop, et que je ne sais pas par quoi commencer.

Ce type a compris tous les mécanismes psychiques, et il les définit clairement. Et en plus, il traite avec efficacité tous les problèmes complexes de l'homme. Je suis en train d'acheter tous ses bouquins, et si ça t'intéresse, je te les prête. À la fac, ceux qui sont intéressés par ses travaux ne sont pas nombreux, alors, cela me fait plaisir si ça t’intéresse.


Je lui demandais :

Tu t'es lancé dans une psycho ?

Oui, mais pour le moment, ça stagne. Je résiste, mais c'est normal au début. Ça va passer.

Depuis combien de temps ?

Trois mois, mais ça aussi, c'est normal. Ce n'est pas une thérapie brève qui ne provoque que des déplacements des symptômes. C'est une guérison, un nettoyage total du psychisme.

Tu as des problèmes ?

Probablement.

Comment sauras-tu que tu n'en as plus ?

Je ne sais pas encore, je le sentirais, ou le psy me le dira.

C'est pour cela que je bouquine autant, et cela me plairait de pouvoir en parler avec quelqu'un.



Polo était un bon mec, j'ai passé de nombreuses heures avec lui avant de partir au service militaire.

Il essayait en vain de me convaincre du génie de l'auteur, et moi, jouant l'avocat du diable, je m'ingéniais à démolir ses arguments.

J'ai plus appris dans ces confrontations sur le fonctionnement du psychisme humain que dans toutes les lectures que j'avais pu effectuer à ce jour.


À mon retour du service militaire, j'ai eu la joie de le retrouver, constatant avec plaisir que Freud avait disparu de ses centres d’intérêt.


Ma soirée chez Polo se présentait bien.

Cela faisait un bon moment que nous n'avions eu l'occasion de nous revoir.

Nous parlions de tout et de rien, et la conversation se dirigea sur Élodie.

Si elle est pas mal, pourquoi tu ne la gardes pas ?

Je lui répondis que je n'avais aucune intention de sortir avec une arapède ni de me marier, et que, si je devais sortir avec quelqu'un, c'est moi qui déciderai.

Mais, je sais bien que si un jour, je me résous à me marier, je perdrais mon indépendance.

Il me demanda : la dernière fois que tu as dragué, c'était quand ?

Je ne mis pas longtemps à lui répondre.

C'est très récent, c'était juste avant que je loue ma chambre à Marseille, m'évitant les allez retours sur Aix.



Dans le car, j'étais assis à côté d'une jeune hôtesse très mignonne, costume bleu, chapeau bleu.

Je décidais d'engager la conversation, ce qui ne correspondait pas à mes habitudes.

Du début à la fin du voyage, elle ne s'est pas départie de son sourire. Elle répondait à mes questions concernant son travail, et le déroulement de ses journées.

En retour, elle me questionnait sur le mien, sur les diplômes nécessaires.

Arrivé près d'Aix, je me suis montré plus direct, lui demandant si je pouvais la revoir.

Elle me répondit, toujours souriante, que sa profession la mettant en contact avec le public, elle avait l'interdiction formelle de fournir des données personnelles tant qu'elle portait l'uniforme.

Je lui répliquais qu'elle ne portait pas l'uniforme tout le temps.

Bien sûr, me répondit-elle, mais à ce moment-là, je suis avec mon petit ami.

Son sourire était toujours le même, pas chambreur. Et je me suis rendu compte à cet instant que j'avais affaire à une vraie petite professionnelle.

Depuis le début, elle m'avait débité la plaquette publicitaire de son école, elle avait maintenu une conversation agréable pendant tout le temps, et elle en avait amené la fin, de telle manière que son interlocuteur n'ait en aucune façon l'impression d'avoir été rejeté.

Et, j'avais passé un bon moment.

Moi, me dit Polo, si j'engage la conversation dans un car avec une nana, elle se tourne vers la fenêtre et donne l'impression de compter les voitures qui nous croisent. Ça ne donne pas envie de recommencer.


Je luis demandais :

Il n'y a rien à boire chez toi ?

Voilà une bonne façon agréable de changer de conversation.

Il me demanda : et la nana, celle d'avant ?

Cette histoire ne m'a valu que des ennuis. Le curé m'a dit qu'il fallait que je m'humanise, Cloé que j'étais dégueulasse, et Antoine, que mon histoire était rigolote en surface, mais profondément choquante en profondeur.

Alors, je n'en parle plus. De plus, tout le monde semble la connaître.

Et maintenant ?

Maintenant, j'essaie avec une super nana qui me plaît beaucoup. Mais la situation est farcie de problèmes. Son dada, c'est de m'expliquer que je ne comprends rien aux femmes, mais que ça n'est pas grave. Et elle m’abrutit de questions, ce qui devient fatigant à la fin.

Et pour couronner le tout, elle me dit qu'elle veut rentrer dans les ordres, et enfin, elle a un grand frère, un véritable colosse, qui est toujours dans la pièce ou dans celle d'à côté. Ce qui me trouble, c'est que chaque fois que je lui ai proposé de faire quelque chose de raisonnable, ensemble, mais sans son frère, elle a refusé, arguant seulement de sa fidélité à Dieu, ou quelque chose comme ça.

Polo me dit :

Ça doit être le genre allumeuse, qui te laisse croire que tu l'intéresses, mais qui trouve toujours la bonne excuse pour reculer.

Ça doit être ça.



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