Chapitre 23 Le grand déballage

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Et, c’est avec un grand soulagement que la famille accueillit Lucie.

Après les embrassades de rigueur, Mamie Bianca prit la parole.

Elle qui était habituellement effacée dans les discussions familiales semblait vouloir y occuper toute sa place.

Avant de ne nous occuper que de la situation actuelle de Gérard, je voudrais soulever une question que me pose Rose. Elle se trouve actuellement, disons en ménage, avec Pierre qui est restaurateur, comme vous le savez. Et elle nous demande d’intégrer Pierre dans le monde d’aujourd’hui. Elle propose d’appeler en haut le monde actuel, et en bas, le monde ancien, pour nous simplifier les choses.

Que pensez-vous de cette possibilité d’intégration ?

Anna, qui n’aimait pas beaucoup toutes les modifications, susceptibles de changer sa vie tranquille, était contre.

Elle argua que le Pierre en question avait déjà un certain âge qu’il avait acquis dans le monde du bas. Et, s’il venait ici, ce serait probablement pour constater qu’il était mort, ou peut-être en difficulté dans une maison de retraite.

Rechercher sa maison qui pourrait avoir été démolie, rechercher vainement ses vieux amis, se recueillir devant sa propre tombe, sur laquelle serait indiquée la date-choc de son décès. Date qu’il n’oublierait, bien sûr, jamais, et qui risquerait de traumatiser Rose.

Inversement, le voyage vers le bas ne peut que se révéler plus excitant. Toutes les personnes que nous connaissons aujourd’hui, étant toujours vivantes, ou en attente de naissance.

Je dois ajouter, continua-t-elle : nous avons acquis un énorme lot de faux billets anciens, utilisables dans le monde d’en bas. Mais nous sommes incapables de lui fournir de l’argent pour vivre ici, ni de lui procurer une carte vitale lui permettant de se faire soigner.

Mamie Bianca promit d’informer Rose des risques d’une intégration de Pierre dans notre monde.

Tous étaient désolés, car c’était le signe de la première fracture dans la famille, Rose risquant de choisir de poursuivre sa vie dans le monde d’en bas.



Lucie prit à son tour la parole pour raconter son périple, et elle s’indignait de la visite du René d’en haut au René d’en bas.

Comment était ce possible ? Qui avait permis cela ? Que valait la fameuse protection par L’ADN des transferts hors famille ?

Elle était outrée. René avait tout raconté à son homologue, et devant l’évidence, elle n’avait eu d’autres possibilités, que de confirmer ses dires.

Tous ses efforts qu’elle avait déployés pour réussir sa mission étaient anéantis, et elle exigeait d’en connaître le ou les responsables.



Personne ne prit la parole.

On aurait pu deviner que les responsables étaient ceux qui baissaient les yeux.

Le silence devenait gênant.



Mamie Bianca se lança :

Si le linge sale se lave en famille, alors on va le laver. Et l’on ne va rien oublier.

Lucie se plaint de voir sa mission s’achever trop tôt. Et bien, elle aurait pu s’achever plus tôt encore.

Je vais tout vous raconter. Tout.



Un soir, Papy est rentré de son atelier en pleurant. Il criait : je l’ai tué, je l’ai tué. J’ai tué la petite amie de René. Il était sur son lit, et il ne cessait de sangloter. Je l’ai consolé, mais je ne savais pas trop quoi faire, car je ne comprenais pas la situation.

Quand il s’est calmé, il m’a expliqué qu’il était descendu dans le monde du bas pour abattre René qui montrait une attitude bien trop explicite à l’égard de Lucie.

Il avait pris son pistolet.

Il l’avait suivi et s’était caché tout près. Il allait tirer quand une femme s’est placée sur la ligne de tir.

Elle gesticulait, et il attendait qu’elle se déplace pour tirer. Il a tiré au mauvais moment, et il a tout de suite compris qu’il s’était trompé. Le corps de la fille était tombé sur René, le protégeant, il ne pouvait plus tirer.

Papy a réussi à ne pas se faire remarquer, et à se fondre dans la population.

Je lui ai confisqué le pistolet, constatant qu’il contenait encore des cartouches.



Le lendemain, ou le surlendemain, je ne me souviens plus, Rose est montée, et m’a raconté toute l’histoire. Du moins, la partie qu’elle connaissait. Et elle me parla de l’enterrement de la jeune femme.

J’avais un très mauvais pressentiment. La nuit, j’avais fait des rêves de morts. J’étais angoissée.

J’ai demandé à Anna de m’accompagner. Cela a semblé l’amuser, et elle a accepté.

J’ai donc pris un seau, une brosse, une serpillière, et, bien sûr, le pistolet que j’ai mis dans mon sac.

Au cimetière, nous avons vite repéré la tombe de la petite, et nous en avons choisi une autre, pas trop loin, qui nous permettait de surveiller la cérémonie.

Et, après avoir rempli le seau avec de l’eau, nous nous sommes mises à nettoyer la tombe.

Nous riions comme de petites folles, en évoquant ce que l’on pourrait dire à son propriétaire, s’il se présentait. On s’était trompé, c’était notre journée de bonne action.

Nous en avions presque oublié l’enterrement quand des éclats de voix nous mirent en alerte.

Je vis un homme porteur d’une arme menacer René. Je sortis rapidement le pistolet du sac, et, sans presque viser, je tirais. Je vis l’homme tomber. Je lâchais le pistolet dans le seau plein d’eau sale qui l’a dissimulé. J’ai arraché un bouquet de fleurs fanées et j’ai annoncé à Anna : on s’en va.

Nous sommes repartis tranquillement. Une des personnes assistant à l’enterrement est bien venue vérifier que nous n’avions pas d’arme, mais il n’avait pas insisté. Nous ne présentions pas des profils de tueuses.



Papy n’en croyait pas ses oreilles : il demanda : tu sais utiliser le mécanisme de démarrage automatique, qui permet de revenir au point de départ sans assistance ?

Bien sûr, je sais tout faire.



Papy sentait que son invention lui échappait.

De plus, il craignait que le représentant de la planète lointaine, chargé de surveiller la Terre, ne s’alarme des deux meurtres perpétrés par la famille.

Lors de leur entretien, il avait clairement exprimé un impératif : on ne touche pas au passé.

Et il avait laissé entendre qu’ignorer ce message pouvait engendrer une situation conflictuelle.



Mamie Bianca reprit la parole :

Maintenant, pour la rencontre entre les deux René, c’est de ma faute.

Mais j’ai eu pitié de lui.

On joue avec son double, un peu comme le pratiquaient les sorciers avec les poupées vaudoues. Ils créaient une marionnette, et lui faisaient subir des supplices. Ils lui plantaient des clous, et c’était l’original qui souffrait.

Et puis, ce qui est fait est fait. On ne peut pas y revenir.





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