Chapitre 29 Ça passe ou ça casse

10 minutes de lecture


Gérard nous avait tous réunis à son domicile. Rose et son chéri, René et ses trois enfants, et il avait même invité Antoine et Cloé.

J'avais accepté de venir à la demande pressante de mon vieux double.

Gérard avait expliqué, pour que tout le monde ait les mêmes informations, tout ce qui concernait la théorie de la jointure du temps.

Il en avait profité pour raconter à Antoine et Cloé, comment ils avaient utilisé la machine à transférer des personnes, d'une période temporelle à une autre.

De petits groupes se formaient.

Deux de mes futurs enfants ainsi que René tentaient de me convaincre de mener une petite vie tranquille, de conserver mes routines d'autrefois, arguant qu'ainsi, je rejoindrais mon futur originel.

Ce qui ne manquerait pas de sauver la vie de mes enfants.


Gérard s'était enfermé dans la pièce à côté avec les autres invités. Il devait probablement essayer de convaincre les habitants de l'Ancien Monde, car ils pouvaient, à juste titre, se montrer incrédules.


Pour ma part, j'entendais ce qui ses disait, mais je n'écoutais pas.

Toi, tu joues ton avenir et le mien, eux jouent leur peau. C'était ce que m'avait dit mon double.

Dans un précédent entretien, il avait évoqué des sujets qui ne me faisaient pas rêver :

Tu vas faire des heures de travail, beaucoup d'heures.

On te laissera tranquille à la maison, enfin, presque.

On trouvera toujours à te critiquer.

Il avait même ajouté :

Je te propose d'organiser notre résistance au changement. C'est notre seule chance de ne pas finir en esclavage dans cette famille. Des corvées, toujours des corvées.

J'avais vu que ces gens étaient capables de monter de véritables opérations commando, pour parvenir à leurs fins, sans se préoccuper, ne fût-ce qu'un instant, des répercussions sur ma propre vie.

Opération manipulation, et dernièrement, opération pour m'obliger à rompre avec ma petite amie.

Je n'avais pas du tout l'intention de permettre à ces gens fourbes de survivre et d'être collés à moi pendant toute ma vie.

Et je pouvais peut-être offrir à mon double, et à moi-même, une autre vie, plus agréable que celle qu'il a menée.


Puisque nous sommes entre menteurs et manipulateurs, je fis mine d'accepter leur proposition, me réservant de me conduire à ma guise.

Nous nous quittâmes donc sur un accord.


Le lendemain soir, à la sortie du travail, je décidais de prendre le car, et d'aller dormir chez ma mère.

En entrant dans le car, j’aperçus la jeune hôtesse que j'avais rencontrée quelques semaines plus tôt, dans les mêmes conditions. (Pour ceux qui ont oublié, prière d'écouter Les passéonautes partie 4)

Elle était toujours vêtue de son costume bleu, et assise à côté de la fenêtre. Je pris place à côté d'elle. Elle souriait toujours, comme la première fois.

Je lui demandais si son école était toujours aussi stricte, au sujet de la divulgation par les élèves de leurs données personnelles. Elle me répondit qu'elle s'appelait Nicole. Je lui donnais mon prénom, et répétais la question.

Les consignes n'ont pas changé, mais j'ai quitté mon petit ami.

Elle conservait toujours le même sourire, mais celui-ci semblait avoir chaque fois une signification différente.

Je ne sais pas pourquoi, mais il me semblait que je devais répondre quelque chose.

Je me lançais :

On peut continuer notre conversation, à l'arrivée ?

Non, j'ai papa et maman qui m'attendent. Ils s'inquiètent si je suis en retard.

On approchait du terminus, et je devais accélérer le mouvement.

Comme je ne savais pas comment m'exprimer clairement, je déchirais une page d'un carnet que j'avais dans la poche, et lui demandais, si elle était d'accord, de bien vouloir y noter un lieu où je pourrais la retrouver.

Elle nota l'adresse d'un bar, près de son école, et me dit : entre midi et deux.



Le lendemain, à midi, Marie, de l'Ancien Monde, était contrariée. Un contretemps avait empêché le moniteur d'auto-école de venir, et elle n'avait pas pu prendre sa leçon.

Elle passa devant un bar dans lequel un ancien collègue de travail dévorait son sandwich. Elle lui fit un sourire, un petit signe, et elle poursuivit son chemin.



Aï, ça coince.

Dans l'Ancien Monde, Pierre était inquiet. Rose avait des problèmes de mémoire. Elle avait rendez-vous avec Gérard, mais elle ne se souvenait plus, qui il était.

C'était le signal. Le signal que tout se passait mal, que la jointure du temps n'avait pas eu lieu, avec toutes ses conséquences.

Pierre devait, de toute urgence, rencontrer Antoine et Cloé, pour tenter de suivre le plan imaginé par Gérard.

Eux trois étaient les seuls à ne pas avoir oublié tout ce qui s'était passé.

Tous ceux du monde d'en haut vivaient dans un nouveau présent, et ils se souvenaient uniquement de leur nouveau passé.



René était toujours à la retraite, mais, dans cette nouvelle vie, il n'avait jamais été chef. Pas plus dans son travail, qu'à la maison.

Il avait épousé Anne, qui était experte-comptable, et qui lui avait mené la vie dure. C'est elle qui avait le gros salaire, et elle ne manquait pas de le faire savoir.

Certes, ils avaient connu de bons moments ensemble, au début, mais cela avait tourné au cauchemar pour lui, quand Anne avait acheté le fonds d'un expert-comptable qui partait à la retraite.

Pour payer les lourds remboursements, elle avait dû trouver de nouveaux clients, sans pouvoir embaucher.

Les salariés, bien sûr, travaillaient un maximum, comme dans tous les cabinets comptables, mais René servait de variable d'ajustement. Journées et semaines interminables, congés non pris, salaire minoré.

Quand l'emprunt du cabinet fut entièrement remboursé, Anne ne chargea pas de stratégie. Elle se contenta de ne pas remplacer les salariés qui partaient à la retraite.

De plus, le cabinet appartenait en propre à madame, et la retraite de monsieur, basée sur de petits salaires, était ridicule.

Côté avantages, Anne était fille unique, et ses parents décédés ne participaient donc pas aux persécutions de René.

Si ce dernier avait connu son futur, il est certain qu'il aurait été présent, avec son collègue de travail, dans le petit bar, devant lequel Marie était passée.


Marie, cela n'a pas été dit, était titulaire d'un diplôme d'ingénieur en électronique.

Elle était encore débutante, mais elle travaillait déjà comme assistance d'un directeur de recherche dans un centre d'études.

Elle avait rencontré Marcel, un jeune commercial ambitieux, qui, en plus de son emploi, avait créé une petite société.

Celle-ci avait commencé, en achetant à l'étranger des composants électroniques, pour les revendre en France, après avoir offert aux clients, des garanties sur la qualité des produits. Point très important en la matière.

Ensuite, il avait ouvert un atelier fabriquant, à la demande, des accessoires de sécurité pour les gros ordinateurs.

Marcel n'aurait jamais pu développer la société sans les compétences de Marie.

Marie arrêta officiellement de travailler pour s'occuper de ses trois enfants, mais elle gardait toujours un œil et une oreille dans l'entreprise.

Maintenant, à la retraite, la société revendue, elle s'occupait surtout de ses enfants, qui, quel que soit leur âge, ont toujours besoin de leurs parents.

Marcel, lui, s'ennuie un peu pendant cette retraite.

On peut estimer, connaissant le nouveau futur de Marie, qu'elle, au moins, aurait été bien inspirée, d'éviter de passer devant le petit bar ce jour-là.


Je retrouvais Nicole dans le bar, à l'heure convenue. Nous nous fîmes la bise et commandèrent deux menus, boisson comprise. Le repas se déroula merveilleusement bien.

Nicole me racontant les diverses péripéties liées à son travail. Son costume d’hôtesse attirant les hommes comme des mouches, elle devait, sans arrêt, trouver de nouvelles façons de les repousser.

Je lui dis qu'il ne devait pas y avoir que le costume qui attirait les hommes.

À deux heures, elle me quitta pour rejoindre son lieu de travail, non sans avoir accepté un rendez-vous à mon domicile, en début de soirée.


Pierre, Antoine et Cloé se retrouvèrent dès qu'ils le purent. Ils étaient là pour appliquer la théorie que Gérard avait mise au point, et qu'il leur avait longuement expliquée.

D'après lui, si la jointure du temps était cassée, il était possible de la reconstituer plus tard, si les joints n'avaient pas été trop écartés.

Dans le cas d’espèce, selon l'histoire qui circulait dans la famille, Marie et René se seraient rencontrés dans un petit bar que René fréquentait à midi.

Le parcours habituel de Marie ne l'amenait jamais à passer devant ce bar.

Et, c'était par un incroyable concours de circonstances qu'ils s'étaient croisés, un cours de conduite dans une auto-école ayant été annulé.


Mais, cette démarche, qui consistait à interférer avec l'avenir de René, ne plaisait pas à tout le monde. Antoine et Cloé en avaient longuement discuté de leur côté.

Gérard avait prétendu, lors de leur entretien en tête à tête, que René n'était pas un homme fiable, et que leurs manipulations étaient justifiées.

Cela les avait profondément choqués. René était un ami, et il n'avait à aucun moment confirmé ce reproche.

Pierre avait eu connaissance, de par sa relation avec Rose, d'une foule de confidences, montrant chacune que René n'était pas réellement un personnage recommandable.

À son avis, avec ses amis, il devait certainement donner le change.


Gérard avait dû gérer ce qu'on appelle un conflit d’intérêts. Pour éviter d'acter sa disparition, ainsi que celle de ses sœurs, il préconisait de faire entrer, de force, dans sa famille, un individu dont il ne cessait de répéter qu'il était malsain pour cette même famille.


Pierre, lui, était inquiet, car Rose semblait avoir perdu la tête, et il souhaitait ardemment que tout redevienne comme avant.

Et puis, ils avaient tous apprécié la présence de Gérard, Lucie, et Gertrude, et ils regrettaient leurs disparitions.

Ils finirent par décider, à l'unanimité, de suivre les instructions de Gérard.



Gérard avait fourni tous les itinéraires habituels, ainsi que les heures d'entrées et de sortie du travail, de Marie et de René.

Il avait noté l'adresse de l'auto-école, le nom de son moniteur, et le modèle de voiture qu'elle utilisait.

Pour être efficace, il fallait que leurs interventions soient synchronisées.

Cloé allait s'inscrire à l'auto-école, elle prétendrait qu'elle n'avait plus conduit depuis qu'elle avait passé son permis, et qu'elle souhaitait se réhabituer.

Elle prendrait donc une leçon tous les matins. Cela lui permettrait de visualiser le planning des cours, fixé au mur, derrière le bureau de la secrétaire, et donc, d'être avertie de la venue de Marie.

C'était elle qui devait donner l'alerte.


Antoine serait alors chargé de se présenter à la sortie du travail de René, dans le but de l'accompagner à la terrasse du petit bar. René ne refuserait sûrement pas d'accompagner son ami, dans un endroit où d'habitude, il allait spontanément.

Et, pour compléter l'opération, Pierre devait faire en sorte que la voiture que devait emprunter Marie ne puisse pas démarrer.


Pierre se plaisait à penser à toutes les manières qu'il connaissait d'immobiliser un véhicule. Il avait été jeune, en son temps, et il se remémorait toutes les blagues qu'il avait pu faire à l'époque.

Malheureusement, il n'allait pas utiliser une solution astucieuse, mais tout simplement, crever deux pneus à la voiture.



Nicole était ponctuelle. Je la fis immédiatement monter à l'échelle, ce qui l'amusa. Elle ne me fit pas perdre mon temps, et se déshabilla rapidement.

Elle n'était pas du style à abandonner l'initiative à son partenaire, et cela me plaisait plutôt. Mais, cela me déstabilisait, pour exécuter ce que je savais faire, et bien faire.

Quand nous eûmes terminé nos ébats, nous sommes restés un bon moment, sans parler, chacun dans notre coin. Je m'attendais à recevoir, comme à chaque fois, un petit compliment destiné à récompenser mon travail, auquel je répondais que tout le plaisir avait été pour moi.

Bizarrement, ce compliment ne venait pas.

J'avais pourtant acquis (écoutez la vidéo numéro un nommée Le Bêtisier du Confessionnal) une maîtrise dans l'art de la chose, que j'étais capable de reproduire à la perfection, à chaque fois.

Nicole prit la parole :

Ça ne va pas coller. Tu fais l'amour comme une machine, je pourrais même dire machinalement. Tu n'es jamais en phase avec moi, et c'est ce qui m'importe.

J'ai l'impression, que tous les deux, nous faisons notre numéro, chacun notre tour, sans tenir compte des réactions de l'autre.

Et puis, tu ne tiens pas la distance.

On ne va pas pouvoir continuer ensemble. C'est dommage, car tu me plaisais bien.

Elle se rhabilla et quitta l'appartement.



C'était le jour, le grand jour.


Cloé avait vu sur le planning de l'auto-école que Marie devait prendre sa leçon de conduite sur une Peugeot 204 à midi.

La 204 était utilisée par un autre moniteur de dix heures à onze heures.

Pierre aurait une heure pour effectuer son travail, et cela ne laisserait pas suffisamment de temps aux employés pour changer deux pneus sur la voiture avant midi.

Cloé se précipita chez Antoine puis chez Pierre. Sa mission était terminée.


Antoine était venu me chercher à la sortie de mon travail. Il avait besoin que je lui rende un service.

C'est exceptionnel, me dit-il, mais je veux t'en parler tranquillement. Il me proposa donc de venir prendre un sandwich et une bière avec moi. Et il se dirigea vers la terrasse du bar, ou un collègue de travail était déjà attablé.

Ce dernier nous proposa de prendre place à sa table. Antoine accepta, et nous entreprîmes de consommer notre sandwich et notre bière.


À un moment, mon collègue a appelé : oh, Marie, Marie.

Une jeune femme s'est retournée, et nous a rejoints. Il nous a présenté :

Marie 

René.

Antoine s'était éclipsé, mais cela n'avait pas retenu mon attention.

J'appris que la Marie en question n'avait pas pu suivre son cours de conduite à l'auto-école, car la voiture qu'elle devait utiliser avait eu deux pneus crevés.


Je lui proposais de prendre un sandwich avec moi. Ce qu'elle accepta.

Je lui proposais que nous fassions une partie de flipper ensemble. Ce qu'elle accepta.

Je lui proposais ensuite de faire un tour au bord de mer derrière ma moto. Ce qu'elle accepta.

J'aimais bien les gens qui étaient toujours d'accord avec moi.



Après avoir scrupuleusement charcuté les pneus de la 204, Pierre retourna immédiatement à son domicile, pour évaluer l'état de la mémoire de Rose. C'était elle qui avait permis le lancement de l'opération, c'était elle qui les informerait, à son insu, du résultat.


Antoine et Cloé l'avaient rejoint, et Pierre ayant ouvert une bouteille de champagne millésimé qu'il avait extrait de sa cave, personne n'avait plus de doutes, quant au résultat de leur action.



René, toujours retraité, n'avait pas conscience de la vie abominable qu'il avait évitée, ce qui ne l'empêchait pas de se plaindre de celle qu'il menait.

Marie avait quand même réussi à passer son permis de conduire, dans l'Ancien Monde.

Leurs enfants étaient réapparus au même instant, mais comme ils ne se s'étaient aperçus de rien, il était inutile d'en parler.







Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Harimax ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0