3.17 - Regrets

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Les pièces d'un sordide puzzle commençaient à s'emboîter dans l'esprit de Snow. Cependant, quelques zones d'ombre subsistaient que nul ne pouvait combler, sinon les morts et les phantasmes.

De retour au stand de chapeaux, elle fut bien en peine de se concentrer à nouveau. Lui prêtant main-forte, Ashley et Alice l’assommaient de questions à propos de l'entrevue qui venait de s'éterniser, et Snow songea, amusée, qu'elles se comportaient alors comme les amies d'autrefois. Peu encline à s'attarder sur les détails, elle confessa seulement que Philippa souhait offrir à Red et elle son soutien, au besoin.

— Tu devrais me remercier, nota Alice. Si je ne vous avais pas aidées, toutes les deux, vous ne seriez pas si proches.

Un éclair de colère traversa les yeux de Snow, mais elle se contint. Alice tâchait de se convaincre que quelque chose de positif avait pu ressortir de ses prophéties fumeuses. Ashley, quant à elle, ne devait rien savoir de leurs petits secrets. Alors, Snow tut sa rancœur et la journée s'acheva dans un climat plus détendu.

Tandis qu'elles remballaient, la petite s'exclama :

— Comme je suis contente qu'on soit redevenues amies, toutes les trois ! Vous viendrez chez moi prendre le thé, ce week-end. C'est d'accord ?

Ashley, qui n'avait jamais souhaité reconduire cette amitié, s'apprêtait à protester, mais Snow l'en empêcha en répondant la première :

— Ce serait avec plaisir Alice, mais je crois que... On est au-delà du thé, maintenant, n'est-ce pas ? On devrait passer une soirée ensemble, se raconter des histoires et se tresser les cheveux. Pourquoi pas vendredi ?

— Vendredi. Oui. C'est moi qui invite !

La pauvre Ashley allait encore s'opposer, mais Snow se pencha à son oreille et lui souffla :

— Une nuit dans un vrai lit, Ash.

Ainsi l'affaire fut entendue. Alice aurait droit à sa première soirée pyjama, Ashley à un sommeil heureux. Quant à l'instigatrice de cette nuit entre copines, elle espérait glaner de quoi combler les trous qui contrariaient ses hypothèses.

Restait à avertir Red de la chose, ou à trouver une excuse. Sa conversation avec la doctoresse lui trottait en tête et Snow ne voyait pas comment regarder sa bien-aimée dans les yeux et lui mentir une seconde fois. Aussi elle attendit sans l'en avertir, une journée entière, puis tout le vendredi. En regagnant le logis ce jour-là, elle n'avait toujours pas idée de ce qu'elle devait avouer.

La boutique s'affichait close, lorsqu'elles passèrent la porte, mais elles trouvèrent Rosa à sa table de travail, occupée à lustrer le fusil familial qui ne quittait le mur que pour pour être astiqué, une à deux fois par mois.

Snow avait espéré que la vieille dame serait de sortie au Blue Bird. Elle déplorait que Rosa eût à être témoin d'une possible dispute qui, l'heure avançant, ne tarderait pas.

Quand Red et elle se trouvèrent seules dans la chambre, celle-ci entama de la cajoler. Préoccupée, la brune n'arrivait pas à se laisser aller à ses caresses et ses baisers.

— Quelque chose te travaille ? s'inquiéta son amante.

— Eh bien, je... Oui. En quelque sorte. C'est ce conte.

— Quoi ? Vraiment ?

Elles s'assirent sur le lit et Snow exposa :

— Je sais que c'est idiot, mais je n'arrive pas à me le sortir de la tête. Tu vois, plus les jours passent, plus je me rends compte que... ce n'est pas un conte. Tous les personnages qui entourent Darena sont des gens qu'on connaît. L'auteur ne s'en cache même pas, il suffit de voir les acronymes. Darena, Andrea. Lianor, Lorina. Neque, Queen. Alors voilà : un type mort a écrit une histoire dans laquelle ma belle-mère est un tyran. Comment ça peut ne pas me travailler ?

La main affectueuse de Red lui pressa la cuisse à travers sa jupe.

— Effectivement, je peux comprendre que ça t'obsède.

— Tu n'imagines même pas ! J'ai commencé à mener l'enquête. J'ai appris que Queen, la mère et la tante d'Ashley maltraitaient le frère d'Erwan au lycée. Elles ont brûlé l'un de ses manuscrit. Quelques années plus tard, c'est lui qui brûle vif, chez elle. Chez Queen. Les Delogre n'ont plus de maison et, d'Andrea, il ne reste que quelques dents.

— Ça a un lien, tu crois ?

Red penchait la tête sur elle, soucieuse. Elle n'avait plus eu cet air-là depuis qu'elles enquêtaient sur les mystères d'Henry. Si Snow en disait davantage, sa petite amie plongerait, les pieds dans le plat, se lancerait avec elle dans les méandres du passé d'Hartland. Que découvrirait-elle ? Que, poussée à bout par sa grand-mère chérie, son horrible mère avait vendu son corps pour quelques mots doux. Que l'une de ses rares alliées, le médecin qui attestait chaque mois de ses progrès, avait elle aussi abusée de Ruby. Et en quoi cela la consolerait-il ?

Philippa Drake avait livré tous ces vices à l'élue de son cœur, des histoires que tout le monde cherchait désespérément à enterrer, et ce Chat monstrueux s'en était pris à Thalie. L'ignoble vérité valait-elle la peine que Red encourût pareille sentence ? Non. Snow ne livra donc pas plus de ses fastidieuses découvertes. Omettre, se répétait-t-elle, ce n'était pas mentir.

— J'ignore si ça a un lien, feignit-elle. Mais il n'empêche que je veux comprendre. Je veux savoir qui était Queen ; ma gentille belle-mère, ma victime et le bourreau de ce type. Et il n'y a qu'une personne qui peut me raconter ça, Feu-follet. Parce que, pour elle aussi, Queen était une tortionnaire.

— J'ai peur de deviner...

— Lorina Marvel. Elle ne parle pas, mais elle raconte beaucoup. Alice peut me traduire ce qu'elle signe et...

Red s'écarta soudain.

— Alice ?

— Oui. Écoute, je ne lui fais pas confiance, moi non plus. Mais elle nous a donné un coup de main aujourd'hui et j'ai pensé que...

— Un coup de main ? s'écria la rousse en se levant comme un ressort. Tu veux dire, comme quand elle a donné un coup de main à Ashley pour se faire étrangler ? Ou quand elle t'a donné un coup de main pour faire feu sur...

— C'est moi, la coupa Snow. C'est moi qui ai pressé la détente, et personne d'autre. Qu'est-ce qu'Alice a fait d'autre que croire à ses histoires et en abreuver tout le monde ? Je sais bien qu'elle déraille. Mais elle n'est pas responsable de mes fautes.

— Ce n'est pas ta faute ! s'emporta Red, un poing cogné contre l'armoire.

Elle enfouit aussitôt sa main douloureuse entre les plis de son chemisier. La tendresse comme seul rempart à la colère, Snow se redressa à son tour, saisit l'avant-bras heurté et l'embauma de ses baisers.

— Arrête de me chercher des excuses, murmura-t-elle. Tu avais toutes les raisons du monde de te défendre contre Byron. Moi, j'ai paniqué. J'ai été incapable de faire confiance à celle qui essayait de m'aider. Je sais que Queen n'était pas l'ogresse qu'a dépeinte Andrea, ni l'empoisonneuse dont j'avais peur. Il y a un monstre en chacun de nous. Parfois, il se réveille et mord. On ne se résume pas à ça, mais on ne peut pas juste dire : « Ce n'était pas ma faute. »

— Byron était un monstre, et rien d'autre, souligna tristement Red.

— C'est vrai. Il n'y a qu'avec les regrets qu'on y échappe. Et, crois-le ou non, Alice regrette.

Snow caressa le visage de sa douce et, dégageant les crolles de feu qui tombaient sur sa joue, dévoila sa mine sombre.

— Je t'ai fait une promesse, rappela-t-elle. J'ai dit que je bâtirai notre avenir. J'ai dit que l'on ne s’exilerait pas. Et j'ai dit, surtout, que l'on donnerait une chance au monde. Eh bien, c'est ce que je fais. Je donne une chance à ceux qui ont fauté, parce que je suis capable de me mettre à leur place. Parce que je suis coupable.

Red eut beau se détourner, médire qu'Alice, volontairement ou non, détruirait leur idylle, Snow ne céda pas. Elle affirma qu'elle passerait la nuit chez les Marvel, avec Ashley. Et la femme de son cœur put bien s'offusquer encore, et menacer de lui garder la porte close, la jeune fille ne se démonta pas. Elle prépara ses affaires et quitta l'appartement, un baiser refusé par les lèvres adorées.

— Je t'aime Red, l'assura-t-elle en embrassant sa tempe fiévreuse. Fais-moi confiance. Je ne laisserai jamais rien se mettre entre nous. Je serai là demain. Je vais obtenir les réponses dont j'ai besoin et, après ce week-end, je te promets qu'on vivra heureuses jusqu'à la fin des temps.

Elle quitta la boutique, le cœur lourd. Les larmes s'écoulèrent, à l'idée de ne pouvoir endiguer la fureur de sa compagne. Elle se jura toutefois de mériter son pardon, dès que la malédiction serait une foi pour toute hors d'état de leur nuire.

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