Chapitre 15

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De nouvelles strates souterraines, de nouveaux monuments, de nouvelles stèles. Au-dessus de moi, fixées à la roche et aux gravats, les gargantuesques ruches, les mortes colonies. Elles s'épanouissent de leur myriade de chambres hexagonales couleur de cendre, n'abritant aujourd'hui que les restes craquelant d'exuvies séculaires. Je les distingue, entreposées dans leur puit, les chrysalides desséchées, friables et à l'enveloppe opaque. Ces ruches, ces amas de mastication ouvrière, surplombent le temps qui a avalé ses architectes, et la matière néanmoins délitescente tombe en une fine pluie de poussière qui pave la voie que j'emprunte. L'obscurité alors recule pour m'offrir la vue des chambres supérieures qui se superposent les unes aux autres dans les hauteurs étroites qu'offrent la crevasse où je suis. Tant d'espaces vides qui pèsent sur un silence mortuaire, et j'avance, toujours, sous les milles alvéoles abandonnées de légions ensevelies.

Brutal retour à moi. Plongé. Immergé. Dans des nimbes opaques. De l'air. Les bras battants le liquide pour me remonter. De l'air. Mes poumons comprimés. Ma gorge recroquevillée sur elle-même. Émersion impérieuse en une grande goulée bruyante d'oxygène. J'écartais les mèches de mon visage, de mes yeux, reprenais le rythme de mon souffle retrouvé. Laissais mes organes se retendre en évitant de replonger. Je regardais autour de moi, regardais les fuites les échappées. Autre sifflement perçant les distances plus loin en arrière. D'autres voix mâles jetées dans le lointain. Qui poursuivaient-ils. Tous traqués. Peu importe, partir, il me fallait partir d'ici. Nage loin de ces lieux putrides. Esther, où étais-tu.
Encore un peu, plus que quelques brassées pour me sortir de ces vases immondes. La lune ne pouvait se refléter ici. Les restes d'algues huileuses accrochant les déchets, les rejets qui couraient dans le flot de ces eaux insanes, lit des indésirés issus des pêches continuelles. Limon excrémentiel, rejets d'entrailles d'entités marines évidées, les corps morts se heurtant contre mes membres. Encore un peu. Elle a dû s'échapper, elle n'a pu se faire prendre, pas ici. Chacun de mes mouvements s'empêtrant dans la pellicule qui alourdissait la surface, ne faisant qu'un avec les restes de poissons pourrissants. Là, une jetée. Je m'agrippais, me hissais au-dessus des stagnances palpables qui s'accrochaient à mon corps. La trop fine pluie qui tombait ne pouvait me nettoyer de ces gangues externes forcées. Un genou sur ce support de bois rongé, hors de ces canaux. Enfin.

Je reprenais mon souffle agressé, réfrénais les envies de vomir afin de me purifier, me débarrassais des lianes graisseuses qui embrassaient les creux de mes habits. À recracher les souillures qui tapissaient mes langues. Haletant, haletant. Adrénaline de chute qui se diluait avec chaque toux écorchée supplémentaire, j'en avais presque oublié l'usure de mes membres. Je regardais, cherchais autour de moi. Le long du cours, cascades ignées. Là-bas, tremblant dans les troubles de mes visions. Les eaux balayées de projecteurs, fusillant les vapeurs rances en quête des fuites qui étaient les nôtres. Silence, écoute. À genoux sur ce ponton vide, était-ce sûr. Échos rémanents de courses distantes, il n'y avait l'air d'avoir personne. Comment s'en assurer, je ne pouvais, ne pouvais rester sous ces ouvertures criblées. Je me redressai-
Échec, confusion d'appuis, retombé. Vertiges, vertiges. Assez de ces facilités. Effort pour concentrer mes armatures lâches en un équilibre durable. Bien. Vite. Pas claudiquant sur ces planches mouillées, je quittais les bancs caustiques de l'écoulement, prenais les marches qui se-
Grésillement de tension aux lisières de phosphores martelant. Luminaire tremblant sous son verre au-dessus de moi, convulsions saccadées d'ambres assassines en éveil. Non. Non. Mes yeux ne le supporteraient pas. Feinte agonie de diode. Surcharge montante avortée en un murmure d'extinction, évaporation en diminution.

Que.

Le silence. Elle ne marchait pas. Je regardais l'allée qui s'érigeait derrière son corps, pente courbe pavée de ses semblables à l'abri des masures négligées. Elles restaient éteintes. Non. Plus haut, au sommet, certaines fonctionnaient. Exposaient, dénudaient, affichaient. Mais pas toutes. Je me retournais, regardais de l'autre côté de la rive. Silencieuse dans son uniformité exsangue. Le courant n'était revenu que partiellement, sa restitution incomplète. La panne, ses dommages encore prégnants. Avaient-ils trouvés Esther. Vitrifications de mes artères, vite. Fouets sur mon visage, sur mon dos des pluies qui prenaient les humeurs de l'averse. Je reprenais mes pas, écoutais les entours instables en suivant les bordures de la rive où s'amoncelaient les taudis et les bâtisses en bois pourri. Il, il y avait comme de restant dans l'air le résidu des électricités amputées. Soupir de souffre qui se mêlait aux relents de viscosité, aux fumets des restes poissonniers. Temporaire, éphémère. Je ne savais pas. Je devais faire vite. Ruissellements continus sur mes vêtements, sur mes tempes. Lave-moi. Purifie-moi. Je devais retrouver l'endroit où nous avions été séparés. Elle ne pouvait être allée loin. Elle avait dû se cacher. Elle avait dû. Entre les charpentes croulantes de hameau en décomposition. Il n'y avait rien ici. Personne. Les ampoules étranglées. Les éprouvés dédales de pierres noyées, boueuses. Entrelacs de bourbe. Où étais-je. Je sentais toutes mes dents se presser contre mes lèvres, cont-
Agitations à l'embouchure de la rue où je me trouvais, rejeté au sol dans l'ombre d'ouverture éteinte. Corps poursuivis, travailleurs, contrebandiers, trépassés. Nous n'avions pas été les seuls à avoir été surpris par le retour du courant. Attends. Attends. En contrebas, j'écoutais. Plus au-dessus, dans la rue qui dominait la rive, des bruits de rassemblements, dévalant les pavés. Les courses se perdant plus loin, je m'aidais du sol pour me relever. L'averse tombant toujours plus forte. Les rumeurs de chasses nombreuses dans la nuit qui m'entourait. Épuration complétée maintenant que la lumière le permettait. Courraient-ils après Esther. Contrition de mes moelles en l'imaginant rattrapée par les gardes, que lui feraient-ils. Sur le chemin je trouvais une arme de fortune, reste de bois suffisamment solide. Vite. Je ne les laisserai la trouver. Couvre mon odeur, couvre mes fumets. Comment revenir.

Rassemblement de mes meutes écroulées, je ne pouvais rester au milieu de ces rets qui filaient, filaient l'air autour de moi. Se resserraient si lentement. Plus de bruit assuré de mes possibles déplacements. J'avançais. Me risquais. De nerfs en nerfs. Veinures palpitantes au bout, cette progression bloquée par des luminaires alimentés. Qui tremblaient les accès. Ce chemin était mort. Je ne retrouvais pas l'accès aux rues que j'avais quitté. Dans les troubles de mon spectre visuel, les langues de brouillards, invoquées par la pluie. Enterre moi. Dissimule moi. Les rumeurs fluctuantes mais rémanentes de mouvements précipités à des distances que je ne parvenais à évaluer. Un cri, et des lacérations canines. Que tous les corps se mettent en travers de son corps et de ces mâchoires. Souffle perdu contre les murs, vertiges sous-jacents, je me perdais. Je me perdais. Le brouillard avalant mon corps, rongeant mes vues. Halète, comme une bête fatiguée de courir. J'étais, j'étais descendu jusqu'ici. Je devais. Monter. Inspire. Salines étuves qui répandaient des contenus sur nous. Sur nous. Dégagé de mes retraites, avance. Dans des sillons étranges. Sous la garde des troubles maisons de pêcheurs, déserteurs de nos confusions. Monuments de nos déformations. Titubantes avancées. Un autre hurlement, à quelques rues de là. Brusquement interrompu. Combien étaient poursuivis dans ces bas-fonds. Récalcitrants, contrebandiers.

Attends. Ici.

Je reconnais cet immeuble. Dans les indistinctes sueurs, les bancs entravant et voilant mes gorges. Oui, oui, je reconnaissais ces formes. Goulées de perspirations froides, perlées de traques. Encore un peu plus loin. D'autres accès à moitiés écroulés, j'entreprenais de gravir les débris ruisselants sous la pluie, quittant les effusions de la rive. Dissimule le fil ardent qui s'empêtrait dans mes yeux, noyait mes attentions. Vertige, nausée, le souffle, le souffle. J'avais étendu toutes mes entrailles sur les murs, traçant ma voie jusque-là. Tapissé de mes clavicules ces entrelacs. Dans les murs de brumes dressées, dans les haleines qui étouffaient les traques alentours. Les façades qui s'érigeaient, s'érigeaient sur moi comme des stèles prêtes à retomber, à m'inhumer. Les rumeurs de courses, rémanentes. Toujours plus présentes. Les passages suintants d'ombres imperturbées par les stimulations souterraines. L'appel de nos étreintes. Rassemblement de mes consciences dilapidées sur ces chemins plusieurs fois traversés. Dans la brume. Difficile. De se concentrer. Mon empreinte, mes restes. Lumières impitoyables, je les voyais se rapprocher de ma vision. J'étais proche de là où je l'avais perdu. L'éclat était moins puissant, mais suffisant pour piler mes rétines. Vertige croissant, j'irais m'éventrer sur leur verre pour la retrouver. Quelques pas, encore, enc-
Sur ma droite, la ruelle. Ruée prochaine, des bruits de pas frappant le sol avec véhémence, des battues resserrées sur moi. Ici, exposé, en pleine lumière. Paralysé je regardais, devinais le mouvement qui grandissait dans l'ouverture adjacente, le halètement des corps filant chaque district en quête de mes os. Ne reste pas, reprends-toi, le son toujours plus proche, bouge, bou-

Poigne soudaine sortie des murs, me propulsant dans leur sarment. La barre dressée prête à s'abattre en un seul mouve-
Cesse !
Esther. Esther. Esther. Toi, Esther. Je laissais lentement retomber mon bras, mon poignet se briser sous le poids de mon arme de fortune, sur le point de m'effondrer. Esther. Les abîmes de ses prunelles épuisées. Les veines noires de ses cheveux s'accrochant désespérément à son visage, trempés de pluie et de danger. Ici, entre les lames dressées, entre-deux parcellaire, passage étroit caché par les façades humides de nuit. L'eau se jetait du haut des toits loin au-dessus de nous, retombait en sourdes trombes à nos pieds. Pas de lueur crible ici. Crépuscule non consommé, offrant les marines luminescences de limbes amphibies. Je te voyais. Tellement fatiguée, recouverte de nouveaux traumatismes apparents, de stigmates vifs. Sa noblesse phtisique. Combien de temps encore pourrions-nous courir. J'aurais voulu toucher de mes paumes tes marques, m'assurer de ton existence instable, tremblante. Mais j'avais peur que la chair se révèle mirage craquelant, croulant sous des touchers trop bruts. Esther. Corps passant en trombe devant l'ouverture où nous étions. Pas un mot, pas un geste. Rivés contre la pierre alors que nous voyions fuir d'autres personnes. Accalmie momentanée, ses iris brutalisées qui me fixaient l'impératif, le risque de notre position.
- Il va tenter de me retrouver...
Je le savais, je ne le savais que trop bien. J'humais l'air autour de nous, me concentrais sur ces humeurs acides émanant des corps en activité. Les gardes ne tarderaient pas à se répandre sur toutes ces parts. Besoin d'espace, besoin de traquer les derniers terreaux dissidents qui refusaient de s'éteindre. Continue de me regarder, ne t'arrête jamais. Que faire, comment fuir. Comment rejoindre le refuge. Toute cette lumière, toutes ces confusions. D'abord nous devions nous écarter. Ravivé par sa présence, relancé par son essence. Mes sens qui s'aiguisaient contre les baves rongeantes de l'urgence. Douce pression sur mon torse. Esther. Elle avait posé sa paume contre moi. La tiédeur délicate qui courait sous le pli de mes vêtements. Elle semblait tant éreintée. Tiens, tiens encore, éprouve le martellement des pas à mes côtés pendant quelques instants supplémentaires. Nos écumes sont longues et endurantes nos houles. Je me laissais aller à repousser lentement une mèche qui balafrait son visage du long de mes doigts. La froideur impassible de son visage presque virginal, acérant l'attention de ses yeux qui me transperçaient. Fracas sourd non loin, barricades brisées, corps tentant de s'émanciper. Toi, si proche. Je ne te laisserais pas cette fois-ci. Je te le jure. Mais nous devions fuir. Son visage tourné dans la direction des traques qui reprenaient, celles dont elle venaient de me sauver. Il nous faut trouver un autre chemin. Quittant notre cache à la première occasio-

- Esther !
Vocifération fendant l'air autour de nous, rivant nos membres à de froides paralysies. Je me retournais. Expulsé d'un des derniers passages ouverts, craché par les entrelacs secrets que je ne connaissais, comme engendré par l'acier, un homme. Hostile. Toutes les limites de son corps définies par l'agression. Esther inerte mais je sentais ses muscles se tendre à mes côtes. L'un des leurs.
L'appréhension, se dirigeant sur nous sans interruption. Tu n'oseras me la prendre. Je m'interposais alors qu'il se pressait sur elle, l'empêcher de progresser. Confusions de mouvements, rejeté sur le sol. Ne l'approche pas, ne la touche pas. Redressé je prenais ses épaules, le tirais hors de ses tentatives pour le ramener dans mes entraves. N'ose suivre son tracé. Clavicules saisies jetées à mes pieds. Entre mes mains il se débattait, me repoussait, tentait de fuir par le seul passage qu'il avait trouvé.
Retourne gire dans ta lie, retourne attendre les dogues en furie. Mais ne t'impose jamais sur notre voie. Sur nos routes sacrifiées. Le plaquant contre le mur alors qu'il cherchait à no-
Grand mouvement de sa main, choc sourd. Hébété.
- Samuel !
Quelque chose m'avait frappé. Dans le trouble je le regardais, nouveau mouvem-
Impact, au sol. Tout, si vague. J'essayais de me redresser, glissais sur les pavés trempés. Mes paupières embuées, le monde passé au-travers d'un mur de gaze. Esther. Où es-tu. Sonorités confuses de lutte. Redressant ma nuque, je-

Brutalité transperçant mes intestins il l'avait frappé dans le ventre, la clouant an sol. Toutes mes veines, toutes mes veines hurlant son nom.
Approché d'elle alors qu'elle était encore à genoux, comprimant son estomac. Brutalement il avait relevé sa tête en la tirant par les cheveux. Contracté par ce que je que je voyais, reviens à toi, reviens à toi. Mes membres ne me répondaient pas. Je pouvais voir son expression tordue par la douleur, pleine de mépris pour celui qui osait l'user de cette façon. Bouge, bouge, remue tes membres, reprends contrôle. Déverser, déverser toute mon animalité sur son corps. Glissant ses mains autour de son cou, il commençait à resserrer sa poigne, pendant que je me tendais en avant, recomposais mon corps. Échines positionnées en traque, gueules débordantes. Elle avait posé ses mains contre les siennes, le fixait de son regard, endurant la compression de sa trachée et de sa gorge. Je voyais les muscles des bras de son assaillant se dessiner et rouler sous la tension qui leur étaient appliqué. Brutalité. Ce n'est pas comme cela que ce devait se passer, ce n'est pas de cette manière qu'il fallait lui offrir sa violence. Elle commençait à frapper les bras de l'homme qui l'étranglait, ouvrait la bouche en de vaines protestations pour obtenir de l'air. Mais il n'en relâchait pas sa prise. Je pouvais voir les traits convulsés d'Esther, sa peau subissant les effets de l'absence d'oxygène. Non. Non. Cette vision était pour moi. C'était à moi de faire cela. Tu n'oseras pas me la prendre.

Rupture de mes tendons en des tensions trop longtemps endurées. Je me propulsais hors de ma cachette pour me jeter sur lui, l'écrouler de tout mon poids. Tombé, sur le sol avec lui. Il essayait de se relever. Tu as osé. Confusion de gestes et de bestialité. Coup dans mes intestins. Repoussé de mes prises, rejeté sur le sol. Mes inspirations ravalées en des kystes obstrués. Je dévorerais ta langue. Les gestes de me relever, de me hisser. Je dévorera-
Oppressé de nouveau contre les pierres, poids séculaire sur ma trachée. Ses mains sur ma gorge comprimée, repoussant en arrière mon asphyxie. Je ne pouvais le voir. Brise moi. Brise ces sarments de chair. Éclate cette insuffisance d'entité. Le sang en explosions myriadées sous ma peau, sous le globe de mes yeux éprouvés. Je frappais. Aléatoirement. Son visage, ses côtes, ses bras. Cette pression de carotide affaissée. Je ne pouvais le voir. Les secondes interminables qui s'entassaient les unes sur les autres en d'amorphes piles de paniques exsangues. Non. Dégageais l'espace nécessaire de mon corps en quête d'un objet aléatoire. Le sol aveugle, relief accrochant mes doigts. Propulsé contre sa tempe le bris de pierre qui remplissait ma main. Appui de mes jambes sur les pavements, renverse l'immanence de ton impuissance. Suprême pression je le basculais, agrippais les poignets meurtriers, écartais les rivets de ma trachée pour le rejeter plus loin. Les inspirations douloureuses fendant mes lèvres je portais mes regards sur lui.

Ventilations de fureurs emmagasinées je voulais hurler, crier, déchirer, éventrer. Je ne supportais pas de le voir essayer de bouger, essayer de respirer en face de moi, en face d'elle, en ma présence, en mon domaine. Je me jetais à nouveau sur lui, le plaquais sur le dos, l'écrasais. Reste au sol, chien. Il avait esquissé un mouvement que j'interrompais en frappant une première fois son visage de mon poing fermé. Écale impertinente. Je recommençais. L'impact répété, propagé dans toutes mes veines. Deux fois, trois fois. Il essayait de se protéger, de se couvrir de ses bras. Mais je les écartais, continuais. Toutes les muscles tendus en une seule direction, en un seul but. Je n'étais plus que ces phalanges se brisant contre ces traits, je n'avais plus que ce besoin. Il essayait de s'écarter. Tu ne peux pas. Cinq fois, six fois. Je voulais sentir toute sa face s'écrouler sous mes doigts, fracturer et rompre toutes les fibres de son être. Encore. Dix fois. Douze fois. La masse perdait de sa solidité, avait cessé d'essayer de parer mes coups. Tu n'es plus rien, tu ne peux plus rien. Le compte perdu. Je continuais à frapper jusqu'à en perdre le souffle, jusqu'à me noyer sous l'ivresse de mes fureurs. Je ne pouvais plus reconnaître son visage en sang, ses traits brisés, ses dents ruinées, retournées dans le creux de sa bouche détruite. Je sentais sous mes cuisses son corps pris de légères convulsions, son visage déformé hoquetant des rejets de salive et de sang. Je me tenais sur lui, le dominant de toute cette colère épanchée, haletant bruyamment, essayant d'ingérer le plus d'air possible. J'avais l'impression de ne pas avoir pu respirer. Je regardais ses mains trembler sur les côtés, les fluides de sa peau se répandre en des masses informes hors de ses orifices. Mes côtes, ma gorge. Feulement férale, je coule sur ta carcasse comme milles charognards insensés en quête des derniers lambeaux de ton visage déchiré. Ma main, encore sur sa face, m'appuyant dessus, couvrant les fêlures exsudantes et palpitantes, emplissant ces crevasses de mes ongles. Plus la force de te débattre, de fuir. D'oser perdurer en ma présence liminaire. Je cherchais les dernières haleines suffoquées qui s'échappaient de ses arcades brisées. Contemple. Ressens. Endure. Plus jamais tu ne prononceras mon nom en ces rives souillées. Je buvais chacun de ses râles comme les lampées d'un nectar trop pur pour que je puisse le supporter. Ma gueule, proche de la sienne. À m'assurer que sa soumission restait la même. Tension. Attente de souffles de rages diluées mais encore contenues. Infuse moi. Les tressautements de toutes mes chairs exaltées, ravivées par les emprises passées de ses mains en convulsion. Tous ces affaissements, ces cribles concussifs qui me lançaient à chaque instant des traits de leurs tisons de feu de pourpre nidoreux. Chacun de mes nerfs en vie, portant l'attention de mes consciences éclatées sur eux. Ce que c'était bon. De sentir les ligaments répondant en vibrations d'agonie aux imprécations de leurs convocations. D'infliger, de tordre, de rompre. Plus jamais tu n'oseras proférer ces mots qui sont mon adage et ma dissolution. Ces glyphes de macération. Je m'aidais de son visage pour me relever. Et voyais, dans le pli de sa chemise ouverte, le tatouage de la dague retournée. Tu ne parviendras à l'atteindre ici. Mais ses mains. Vierges d'encre. Ce n'était pas son protecteur. Peu importait. Je me dressais du haut de ce corps anéanti, étendais les élancements des voutes de mon dos. Mes vertèbres en édifice. Mes phalanges. Ouvertes. Usées. Fracas de fureur aux conséquences de réalité. Inspire. Esther. Non loin. Elle me regardait, accroupie sur le sol, les yeux et la gorge rougis, encore pleine des douleurs qui émanaient de ce cercle que je dressais en nos noms. Siffle avec moi les capiteux arômes de bestialités renouvelées pour toutes les nuits qui devaient nous suivre. Ces iris humides, encore privés d'oxygène. Soudain vertige me prenant avec les retombées de l'adrénaline, nausée, l'impact sur mon crâne comme écho permanent.

Esther se relevant péniblement, venant à mon encontre pour me souteni-
Sifflement ardent, sirène de traque résonnant dans le quartier, accentuant le trouble qui m'imprégnait. D'autres ruées d'autres proximités qu'il nous fallait fuir. Ils venaient ici, venaient pour nous. Creusons, creusons nos abris. Elle me prenait par le bras, m'aidait à me maintenir debout. Le creux dans mes entrailles qui foudroyaient les muscles de mes cuisses. Pas encore. Ce n'était pas le moment de s'arrêter. Continuer, il me fallait continuer. À quelques rues à peine, gerbes de flammes grésillantes, l'un des lampadaires explosant sous sa trop fortes charges, ses éclats mettant en contraste d'autres courses, d'autres chasses. Ombres mouvantes, attirez l'attention loin, loin de nous. Vertige accentué, je me fiais entièrement aux directions d'Esther.
Qui nous dirigeait entre deux bâtisses, artère ouverte. Faille étroite entre deux murs, comme une fissure qui laissait deviner les infimes lueurs d'un autre côté. Nous pouvions passer. Notre seul accès pour quitter les ameutements qui se pressaient alentours. Elle s'était glissée la première, et me pressait à la suivre, à ne pas rester exposé.
Les parois refermées sur tout, écorchant notre peau alors que nous nous y forcions. Coulaient sur nos en rivières les rémanences des pluies, abandonnées sur les toitures, glissant sur des lits de tuiles. La pierre rongeait nos corps. La douleur qui vrillait mon crâne, maculait mes yeux, mon visage. Si fatigué. La pierre nous prenait, nous assimilai-
Tombé, écroulé sur le sol alors que j'avais atteint l'autre côté sans m'en apercevoir. Caillot rejeté, vomi. Léthargie, dissolution de mes vues. Esther. Enlisement.

Mes visions entrouvertes. Mouvements troubles devant moi. Toi. Les capiteuses vibrations de ses doigts retenant ma mâchoire. Entre deux bâtisses, ruelle oubliée et fermée, à l'abri dans l'ombre. Je la regardais, concentrais ces consciences qui filaient si rapidement. L'animation de ses brumes épuisées derrière ces traits qui n'en avait que trop vu. Ses iris qui parcouraient spasmodiquement mon visage, cherchaient les ruptures à l'origine du vermeille qui me maculait. Au travers de ma vision embuée, altérée, je la voyais me regarder, ses attentions ne pouvant être jouées, trompées, fausses. Ses mains entourant mes tempes, mes mâchoires, maintenant ma nuque défaillante. Ce sommeil. Ce sommeil qui me pesait, plongeait mes yeux au fond d'abimes de fatigues. Paupières, Vacillantes, dans les déclins de mes présences. Secousse, ranimant mon nom. Esther, l'inquiétude qui déformait son expression, sa prothèse agitant mon épaule pour me maintenir éveillé. Les lisières de conscience étirée, les creusements assourdis qui allongeaient ma tête. Je pouvais entendre des gens crier, courir, tout autour. Laisse-moi partir. M'endormir dans l'oubli de ces possibilités une fois de plus avortées. Lourdes mes inspirations. Distante, distan-
À nouveau le rappel de ses doigts délimitant les contours de ma face. Laisse-moi te regarder. Penchée sur moi, les cascades de sa chevelure retombant sur mes vues. Et au travers des rideaux d'inconsciences rampantes, ce visage que je n'avais de cesse de chercher. Les paniques muettes qui s'accrochaient, s'accrochaient à nos absences. Perdus, dans des tentatives de surface. Soupir brisé en regardant ses prunelles martelées. Émotions éreintées dans le bosquet de ses mains amputées, de ses mèches qui m'entouraient, m'isolaient du reste du monde.

Pourquoi étais-tu si belle.

L'enlisement de ma gorge, creusant de nouveaux abysses internes. Pourquoi la beauté de tes dégâts, l'infusion de tes débris. Pourquoi cette singularité qui ne rendait que tout cela plus amère. Laisse-moi m'effacer, m'éteindre dans les influences palpitantes qui couraient tes poignets. Rythmées léthargiques. Plus de force. La vaine lutte de mes consciences blessées. Sentant à peine la chaleur de sa peau contre ma joue. Glissante. Pression contre ma nuque. Râles, disparitions. Tout, tout lentement basculait autour de moi. Est-ce que je tombais. Réception tendre de mon échine, l'oubli rongeant mes dernières parts. Sa voix, sa voix. Résonnante aux confins de nos vies dans de délicates manipulations.
- Dépose ton visage sur mes genoux.
Feulent mes pertes. Pendant que ses doigts fendaient mes crinières souillées, heurtées. Cathartiques étreintes

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