Chapitre 7
Là, aux confins du nid, je vois l'extérieur pour la première fois. La fausse nuit, concrète, tangible, matérielle, qui nimbe des étendues d'austérité battues par le vent cinglant comme une poix volatile et consciente. Négative est son émanation, c'est d'elle que vient la lumière inversée. Les portes, mélange de roches dures et de terre remâchée, gisent en morceaux, écroulées sous les assauts externes, pour ne jamais de nouveau se lever. L'ouverture béante, un effondrement désordonné de murs éclatés qui se répand en un escalier de ruines. Une tombe. Autour de moi se trouvent des dizaines de carcasses d'insectes morts depuis si longtemps. Certains ont pu rentrer, course effrénée, pour mourir d'inanition face aux cloisons avec lesquelles le nid s'est enterré. En me retournant, je les vois mieux. Aveuglé par la lumière noire, je n'avais pu apercevoir que des formes vagues, mais maintenant, je les vois. Les insectes, par vagues, se sont attaqués sans espoir aux parois solidifiées pour essayer d'en forcer le passage. Les cris, je peux percevoir leur cris. Désespérés. Beaucoup sont encore figés dans leur derniers moments, suspendus aux murs, les membres durablement enfoncés dans les maigres interstices qu'ils ont essayés de creuser en vain. Au-delà des frontières, à l'extérieur, il y en a encore des dizaines de visible, mêlés dans l'agrégat de pierre, le corps brisé par l'éboulement. Ou attachés aux contours de l'ouverture, tentant de fuir ce qui avait fini par arriver. Essaims de pertes. Mausolée éteint. Leurs corps desséchés luisent légèrement face à la lumière noyée, transparents, poreux, rongés. Les autres, qui n'ont pu atteindre les portes, doivent se trouver à jamais avalés dans le miasme qui nous afflige. Je reporte mes yeux sur le cataclysme de la nuit. Il fallait que je la vois, au moins une fois. Les volutes de ses formes endormies sont encore hostiles, s'entremêlant dans des maëlstroms inconscients, dans des lacérations d'informes. En me concentrant pour supporter sa vision, j'entends ses hurlements muets, sirène de douleur. Je ne suis pas sensible à sa présence. Je peux supporter son influence. Est-ce pour cela que je me suis éveillé après si longtemps. Est-ce pour cela que je suis revenu maintenant. Je me détourne de cette désolation pour revenir dans les chambres intérieures. Je ne peux plus endurer les cris de ces carcasses.
Réveillé, extirpé. M'étais-je endormi. Mes paupières, comme entachées, récalcitrantes à s'ouvrir. Aucune lumière. C'était encore le milieu de la nuit. M'étais-je effondré. Sommeil forcé, une migraine pour percer mon attention, iris fendus. Je restais inerte. Pourquoi bouger.
Du bruit. L'angoisse bavant dans mes entrailles, rongeant mes os, buvant mes moelles. Est-ce les gardes qui étaient venus. J'attendais. Qu'on vienne me prendre, me piler en me liant à elle encore plus longuement. Laps de temps. Rien. Je me redressais, assis sur mon lit, lourd de ma chair engourdie. Mon crâne qui semblait noyé dans son suc, se heurter à chaque mouvement. Personne ne semblait venir. Pas encore. Patience malaisée, les instants englués, bourbes continuelles. Rance macération qui me rappelait la réalité de mon environnement même lorsque j'en reniais la vue. Brisez mes yeux.
Sonorité de verre brisé. Et le silence. L'appréhension encore. Que se passait-il. Je me dressais sous mes architectures pliées, usées, violées. Pas encore brisées. Porte que j'ouvrais sur le corridor éteint, sans mouvements. Rumeurs d'éclats qui tombaient de façon éparses. Respirations contenues. Pas de voix, rien. Qu'avait-elle fait cette fois, qu'imposerait-elle ce soir-là. Les murs qui transpiraient toutes les teintes de l'amertume, de la frustration. Chaque morceau était une offense, chaque partie était un témoin, chaque parcelle était un rappel. Même en regardant l'encadrement éclairé qui me menait à elle je ne pouvais pas ne pas voir toutes ces années écoulées dans le pus, la sueur et les excréments qui se déversaient chaque jour de sa bouche abhorrée. La porte entrouverte qui me séparait du sexe immonde qui m'avait rançonné la vie. Bris de verre que l'on rassemblait dans des gémissements à peine étouffés. Néanmoins suffisamment audibles pour tenter d'atteindre ma chambre. J'ouvrais. Écroulée par terre, dans les restes de la table qu'elle avait brisé dans sa chute d'ivrogne. Étalée sur ses jambes nues à essayer de prendre appui sur des surfaces qui n'étaient pas couvertes des étincelles vives, à écarter de ses mains ce qu'elle pouvait, en de faibles complaintes faussement larmoyantes. Des semaines à essayer de ne pas la regarder, d'éviter de souiller mes yeux sur son obésité. Exposée, en spectacle, offerte.
Elle me regardait.
- Et voilà, j'ai encore échoué.
Mais jusqu'où pouvais-tu t'abaisser. Même ici, à tenter de m'apitoyer, de m'arracher dans sa douleur feinte des expressions de compassion.
Je restais debout, silencieux. Je regardais. Ce que je ne voyais que depuis trop longtemps. L'amertume sur son visage. La frustration face à mes refus. Sa colère était sale. Petite.
- De toute façon tu te fous de comment je me sens, de ce que je peux penser.
Les écluses qui se brisaient, qui se rompaient lentement au milieu de mon mutisme prolongé. À essayer de me contenir, de retenir les artères qui s'étiraient sous ma peau. Tous mes os se fracturant dans la lutte de mes muscles raidis. Écarte-toi. Écarte-toi de moi.
- C'est toujours pareil, toujours la même chose. Je travaille pendant que toi tu ne fais rien. T'es bon qu'à nous mettre plus bas encore.
L'impression de mes lèvres et de mes gencives qui s'écorchaient, s'effritaient dans la contrition de ma mâchoire. Ma langue allait sauter. Le sifflement. De mes tempes contractées aux lisières de céder.
Tournée brusquement vers moi, sa face suante et larmoyante d'apitoiement.
- Tu ne vois pas que je fais tous ce que je peux, que je me ruine tous les jours pour toi ? Et toi tu restes là, à être égoïste, à ne penser qu'à toi. Pour une fois qu'on avait quelque chose de bien...
Levée de meutes sous mon torse, milles gueules qui s'ouvraient dans mes viscères pour chercher à happer les hurlements qui me détruisaient, toutes les limites de mon corps paralysé, le sifflement, le sifflement qui brutalisait mes yeux mes tempes mes peaux mes veines. Tout mon visage qui saignait de lui faire comprendre.
Approchée de moi dans une nouvelle tentative les fêlures multipliées de tous mes ligaments en d'assourdissantes évaporations qui tordaient, concassaient, brisaient mes envers.
- Tu ne vois pas que tout est de ta faute ?
Ces mots.
Ces mots.
Ces mots.
Repoussée en un geste de dégoût je me détournais m'écartais fuyais. Je ne pouvais endurer une seule réalité de plus. Elle m'avait suivi sur le seuil de la porte, tentant de m'arrêter, tentant de me parler, mais je n'entendais plus rien. Je ne pouvais percevoir que ce sifflement persistant, un grondement interne qui venait étouffer les sons et emmurer mes sens. Il fallait que je sorte, que je respire. Elle me suivait, je le savais. Respirer. Images confuses de lacérations mutilant mes paupières. Taisez, éteignez ces échos rémanents, ces réalités beaucoup trop prégnantes. Toute sa gerbe immonde qui constituait ma chair. Condamné, souillé, entaché, élevé, maculé, profané. Respirer. La porte, la poignée, les rues. Sortir faire perdurer le poison contre d'autres affaissements, s'étendre en de toujours plus profondes nimbes. Ses mots distants tentant de m'arrêter, épieux poreux, fantasmes aux semences tangibles rivant mon corps. Elle parlait encore et encore, tentait de me retenir, de me river. Assez, assez de ces médiocrités cycliques. Schémas répétés, rigides, taisez-les, supprimez-la. La porte. Atteinte. Prête à s'ouvrir, la poigne sous me-
Éruptions fêlant toutes mes gorges et mes langues et mes dents alors que sa main s'était accrochée à la peau de mon épaule pour me retourner contre elle. La surface de ses doigts élaguant tout mon épiderme en un écorchement spontané.
- Tu sais que je ferais tout pour toi, que tu es tout ce que j'a-
Recule. Infusions d'impulsions excisées en un choc clouant tous les silences. Tous mes muscles s'étaient propulsés en un seul réflexe immédiat. Sifflement qui avait atteint son paroxysme. Respirer. Mes phalanges en convulsions d'excitation, imprimant les sensations de leur impact. Souillure, souillure. Profanée ma main qui tenait encore fermement la bouteille. Elle était tombée à la renverse, se tenant le visage, me regardant du dessous dans l'incompréhension de ces secondes prolongées. Paralysé sous les empalements de mes propres imprécations, les muscles compulsés en lisières de ruptures, ne réalisant ce qu'il s'était passé. Le sifflement, vibration linéaire de mes tempes contractées, pointe aigüe remontant les échelons de ma nuque contractée. Était-ce le silence ou mon ouïe qui était morte ici. Et je respirais. À mes pieds et immobile. Tremblants mes doigts, sentant le poids du verre qui venait de se briser contre elle. Que faire.
- Sa-
Que comprendre. Comment agir. Elle essayait de me parler, mais les mots s'écroulaient dans les excroissances de sa gorge avant de parvenir à en sortir complétement. Elle s'appuyait sur son coude, tentait de se relever, compressant toujours son visage de sa main, chutant à moitié, débordant sur le sol qui la soutenait. Amère putain poison rampant. Ses cuisses qui roulaient dans leur masse en quête d'une position pour se relever. Chaque aspérité de ces peaux connus en des successions séculaires. Ma mâchoire, verrouillée en de continues intensités. Fends-toi, fends-toi.
- Sa-
Ses lèvres qui s'ouvraient en des épanchements salivaires, se comprimant sous le pathétique de ses ressentis, ses yeux déformés par la réalisation de sa propre horreur. La faiblesse de ses proies. La briser, la briser enfin. Chacune de mes vertèbres qui s'alignaient les unes avec les autres sous les susurrements de ma moëlle en éveil. Coule, coule dans les rameaux ossuaires. Imprègne les côtes, étire les gueules. N'ose plus répandre ta répugnante main sur moi, n'ose plus prononcer mon nom au bout de tes langues vomies. L'intensité de carcan qui s'amenuisait sous l'ivresse de ma vision, qui se diluait dans les phases de ces douces, douces pulsions. Sauvages étaient mes tempes. Elle essayait de me deviner, de me comprendre de ses pupilles limitées et embuées, tout en reculant, se traînant de ses avant-bras qui accrochaient le pavé sec de leur adipeuse empreinte. Un premier pas. Je la regardais impassible, digérant cette nouvelle réalité. Regard de détresse, réalisation de faiblesse. Je n'étais plus ton fils depuis des années. Mère, tu ne l'avais été que par conséquence de procréation, résultante de mixité de chairs étrangères. Disparais. Dans le flux de tes intestins puants, aménagement de tes excuses, lit de prochains fantasmes censés tromper tes propres béances. La graine non raisonnée, foisonnante moisson de ta propre et suprême erreur. Comprend-la. Comprend-la. Réalise-la.
- Tu-
S'agrippant de toute sa médiocrité à un meuble contre le mur, à l'autre bout de la pièce, elle se relevait, se hissait en de pénibles geignements. Ingère-la. Avale-la. Bois-la. Les éclaircis instables des foudres rassemblées, illuminant l'appartement de leurs épilepsies. Laisse-la descendre le long des crevasses de ta subjectivité. Dans l'encadrement de la fenêtre elle se tenait, découpée sur les nuées en implosions successives, en érosion, en destruction, en affaissement de toutes ses parcelles élimées. Concentration hostile de basalte fumante, je m'approchais. Tes étreintes, asséchées. Tandis qu'elle se pressait toujours davantage contre l'ouverture sur l'extérieur en débâcle. Entend-la.
La mémoire de tes viscères avait enduré l'enlisement de toutes les heures entassées. Gravées les biles, les vues, les langues. Et rien, rien n'avait été perdu.
Les lèvres qui s'ouvraient une fois de plus dans une tentative de communication. Arc de mon bras, impulsion de mes nerfs pour bannir ses paroles prochaines. Verre brisé, craquement de bois, rupture de corps en confusion de gestes vifs.
Basculée.
Basculée en une chute dans les averses férales. Une simple et brusque inspiration se confondant dans les sonorités ambiantes occultantes.
Tout avait été si soudain.
Je regardais l'espace creusé dans le bois, la rupture dans la continuité de ses barreaux cerclés d'échardes. Il n'y avait rien. Je parvenais lentement à reprendre possession de mes membres engorgés, laissais retomber le goulot explosé de ma main. Un pas après l'autre, éliminant ce qui me séparait de l'étendue tumultueuse. Vociférations de mes essences, je voyais les rafales chargés de pluie s'écraser contre le monde comme autant de lames au cran renouvelée par chaque expiration. Les rumeurs des vagues disproportionnées qui s'en prenaient aux fondations de la ville. S'écroulent les supports et les architectures. Plus proche, encore. Les réponses latentes, étourdies. Éclats humides éclaboussant mon visage, mes mains. Mes mains. Bourrasques de hurlements s'empêtrant dans mes membres, m'enlaçant de leurs poignes intangibles. Ma semelle, buttant contre le rebord brisé. Avalée. Verticalité ouverte dans les embruns en transe, je regardais en bas, me penchais par-dessus l'empreinte effacée de la rambarde. Il n'y avait rien. Le grillage malmené par les intempéries, secoué brutalement de sous ses pans faiblement fixé. Directement sous moi, le sommet de ces maigres limites. Tordu, plié sous l'impact disparu. Et au-delà, les falaises à pic, les gueules marines grandes ouvertes en des déchirements de luttes voraces, fumantes, s'éventrant sous les nuées en pleines implosions. Pas de traces, pas de taches. Plus de marques huileuses de sa présence. Engloutie dans des tombes de chute. L'eau qui ruisselait sur ma face en veines ouvertes, labiles, nimbant mes yeux, mes lèvres. Inspire le sel, et l'averse, et la tempête, et les bris de bois fracassés. Bois, la fêlure de ces entraves.
Mouvements précipités, agrippés aux lisières de mes vues. Quelqu'un. Le temps d'entrevoir la silhouette en fuite dans l'allée plus bas. Rappel des gardes devant venir. M'avait-on vu, avait-on vu la chute. Adrénaline infusant tous mes pores hypertrophiés. La fuite. Je me précipitais, quittais le repaire abhorré, m'expulsais hors de l'immeuble, regar-
En bas de la rue, les faces oxydées, promesses amères tournées vers moi. Gel de mes entrailles en les voyant s'approchant groupés. Jamais. Elle. Action de mes membres hors de l'entrée je me ruais vers la direction opposée. Stridence écrouant mes tempes dans des implosions d'adrénalines supplémentaires. Les sifflements sonores de la milice explosaient derrière moi, donnant l'alarme à tous, tous. Je courrais. Courrais, courrais sans me retourner sous la pluie battante, le choc de mes semelles contre les pavés trempés se répercutant avec brutalité. Aucune idée d'où je me précipitais, d'où je me jetais, mes poursuivants audibles sur mes traces. J'essayais de partir en direction des entrelacs de ruelles que je connaissais pour m'y terrer, m'y effacer. Mais je ne regardais même pas où je me dirigeais. Je ne faisais que courir, éperdument courir sous l'averse cinglante. Juste assez de lucidité pour ne pas m'approcher du centre, animé de milles mains gantées. J'enjambais les obstacles sur mon chemin sans m'arrêter, sautais par-dessus les murets qui surplombaient des rues inférieures pour violemment m'y écrouler avant de me relever pour reprendre ma course. Les sifflets explosaient à intervalles irréguliers, de concert avec le martellement métallique de bottes qui me parvenait de tous les côtés. Courir, éviter les murs d'aciers, ne pas se laisser piéger. Dans de morts puits. Pour me faire concasser contre ces parois en une masse informe de muscles en lambeaux.
Pétrification de mes intestins, de mes organes, en entendant les premiers aboiements de chiens. Percées animales mêlées dans les rumeurs de poursuites, ils étaient plusieurs. Vite, courir, courir. Mêmes ruelles aux mêmes façades de pierre aux mêmes embranchements et aux mêmes scellés et aux mêmes couleurs défilant chaotiquement devant moi sans distinction possible en un enchaînement paniqué de briques trempées et baignées des reflets troubles des cieux écartelés. La pluie, la pluie noyait absolument tout. Ma traque, ma ruée. Aube crépusculaire, liminaire suintement.
Je me plongeais sous une cascade sale, cataphracte assourdissante des eaux qui étaient en train de déborder sous les apports continuels de la tempête, en espérant dissimuler ma trace aux gardes. En profitais pour reprendre ma respiration brisée qui déchirait ma gorge et mes poumons abrasés. Quelques instants, suspendus dans la débâcle générale. Des bruits creux. Cherche. Non loin. Rumeurs de reniflements. Pressé contre la pierre l'angoisse qui m'étranglait, tendait tous mes muscles. Juste au-dessus de moi, explosion sonore, aboiements des chiens en furie.
Je me jetais à nouveau dans ma course effrénée, en fond les hurlements canins dénonçant ma présence, ameutant toutes les chasses, poursuivant toutes mes fuites. Je me précipitais, le souffle coupé, butant et chutant à mesure que je progressais. Plus loin, plus loin, peu importait où, loin de ces gueules bâtardes. Les sifflets qui s'éloignaient, semblaient moins douloureusement proche. Dans ce chaos de rues noyées, dans mes râles époumonés qui cinglaient mes tempes, il n'y avait que les grognements et feulements et l'orage, l'orage qui explosait en des trombes de violences, brûlant le ciel de ses langues embrasées frappant le monde de ces fureurs spontanées. Déchirant les lanières de la ville pour l'écrouler. À l'angle d'un immeuble, échoué sur une longue ruelle, je sentais mes entrailles lentement se nouer en en voyant la conclusion. Fermée, en un cul de sac. Évaporation soudaine de mes forces, pas ici, pa-
Le mur. Le mur n'était pas d'acier. Sous les rideaux fouettant ma vue, je le distinguais mieux. Il était de bois, l'une de ces palissades artisanales qui prévenaient les chutes dans le vide des niveaux inférieurs. Aboiements dans mon dos se rapprochant et résonnant contre les parois qui m'entouraient. Plus le choix. Cours.
Épuisement de mes muscles éprouvés pour prendre un maximum de vitesse, ultime effort je fonçais contre la barricade improvisée y élançais tout mon poids pour en briser une ouverture dans un fracas brutal. Suspension dans les débris envolés les secondes le vide la chute le monde me fonçait dessus. Temps fracassé en un choc sourd.
Écroulé, sur les pavés trempés.
Engourdissement de ma perception, la pluie ruisselait sur mon corps inerte. Jeté à bas. La douleur. La douleur qui commençait à percer dans tout mon corps. L'épaule avec laquelle j'avais forcé le passage, éteinte. Péniblement je me tournais sur le dos en un grognement poussif, exposant mon visage à la fraîcheur des trombes. Personne ne m'avait suivi dans ma chute. Je pouvais voir la palissade explosée à plusieurs mètres au-dessus, terriblement loin. Chaotique débordement des eaux, ruissellements qui se jetaient du haut des murs pour s'effondrer tout le long de la rue où j'avais échoué. Je ne pouvais rester. J'essayais de me relevais, douloureusement, du mieux que je pouvais. Me cacher. M'oublier. Quelque part. Où attendre. Pointe ardente dans ma jambe alors que je m'appuyais dessus. Le genou, je le sentais vulnérable. À boîter, claudiquer pour me traîner aussi rapidement que mon corps me le permettait. Je ne pouvais plus courir. Douleur qui se précisait à chaque seconde. Sueurs, sueurs froides. Au travers du voile de pluie et d'épuisement mêlés qui noyait mes yeux, je ne reconnaissais rien. Appuyé contre les pierres d'un immeuble, je poursuivais, n'entendant rien de plus dans le fracas des cascades débordantes, dans l'étourdissement de mes sens. Ne venez me chercher. Il, il devait y avoir un endroit où s'étendre. Confusion de mes orientations, j'essayais de me concentrer. Ce quartier. Quasiment entièrement scellé. Morte enclave. Sous l'orage en débâcle, il n'y avait que des façades mutilées pour s'offrir à mes mains, que des portes vitrifiées d'acier. Acier, acier, encore, toujours. Je trébuchais, à tâter, chercher quelque chose.
Mon corps subitement figé.
Dans les retombées chargées, feint écho. Perçu trop faiblement.
Répétition. Non, non. Aucun doute. Aboiements, dans la distance. Traqué impitoyablement. Ils s'approchaient, ils m'avaient retrouvés, et les autres ne tarderaient pas à le rejoindre. Je m'élançais en m'appuyant sur ma jambe valide, tentais d'accélérer ma cadence avec des pas sautés, parvenais à dépasser une ruel-
Dans mon dos le bruit de courses animales. Retourné à temps pour voir gueule ouverte se jeter sur moi. Mâchoire refermée sur mon avant-bras, le choc de son corps propulsé me rejetant brutalement contre un des scellés couvrant une fenêtre. Mes os. Fracas claviculaire assourdissant dans l'impact, j'essayais de me libérer. Le chien tirait, tirait de toute ses forces, déchirait le pli de mes vêtements alors que j'essayais en vain de me dégager, l'échine, la nuque en feu. Écharde, saillie. Charogne. Me débattant contre lui, parvenant à l'envoyer contre le mur. Relevé pour se jeter de nouveau immédiatement. Perdant l'équilibre je tombais, sentais ses dents fouiller ma chair pendant qu'il restait insensible à mes coups. Je roulais avec lui, m'acharnant contre sa gueule animale, essayant de la briser à la seule force de mes doigts, à percer ses yeux noirs. Lâche mes veines mes nerfs mes tendons sont miens les tiens ne sont rien. Les muscles de mon bras qui s'ouvraient. Rupture. La fureur, la douleur. L'adrénaline. Repoussé d'un coup de pied dans les côtes, le faisant pousser jappement de douleur, j'essayais de me redresser avant de retomber sous ses assauts. Mon bras en sang, en défense, égide de l'émail qui voulait mes organes. Écrasé sur moi, à fouiller bestialement dans ma chair pour m'immobiliser, pour m'intercepter. Essayais de le repousser de mon bras mutilé, de le frapper de toute mes forces. Sa gueule bloquée, au-dessus de mon visage, je sentais son haleine tiède se répandre sur ma face. Bave sanguine perlant mes yeux mes lèvres. Désespérés tâtonnements au hasard autour de moi dans l'espoir de trouver quelque chose pour frapper. N'importe quoi. Mes résistances qui perdaient pieds mon bras infirme lacéré. Salives maculées ses crocs prêts à se refermer sur ma nuque pour l'éventrer. Poigne de fer sous mes doigts je la prenais l'abattais d'un coup sec sur le crâne qui voulait me défigurer.
Sourd, brutal choc.
Le chien, tombé sur le côté en un gémissement douloureux sous l'impact qu'il venait de subir. Latence, incompréhension. Se relevait comme hébété. Rassemblait ses muscles pour bondir encore. Au sol. Arc d'épuisement de rage je frappais de nouveau la boîte crânienne avec la barre de fer. Brisure audible il s'était écroulé, jappant sous le coup. Gémis, gémis. Encore. J'abattais mon arme, faisant tressauter ses membres sursauter ses réflexes. Pour l'achever. Plus fort. Encore. Feulements éteints. Je continuais. Je continuais. Je continuais bien après que ses gémissements se soient stoppés, bien après avoir senti les os craquer sous la pression. Jusqu'à ce que la douleur de mes articulations, de mon échine m'arrête. Fin d'adrénaline, fin de course. Essoufflé, je m'arrêtais, regardais les ruissellements noirs qui se déversaient hors de la masse informe de sa gueule ensanglantée sous la pluie. Mon bras, recroquevillé, atrophié contre moi. La peau et les muscles déchirés. Affaissement de mon adrénaline, percuté par l'épuisement. Sur le point de m'effondrer sous le poids de ces minutes, de ces jou-
Sifflements stridents, trop proches, trop proches. Je regardais désespérément autour de moi, pas de repli, pas d'abri. Je ne pouvais aller nulle part, je ne pouvais plus courir. Trouver, ils allaient me trouver ce serait terminé. Aucun échappatoire. Je m'échouais contre le mur. Me laissais glisser. À genoux sur le sol. Je n'avais plus la force de continuer. J'interrogeais le vide qui s'étendait devant moi, tacheté de la carcasse ensanglantée. Les trombes noieraient les restes, il n'y aura de traces pour marquer ces secondes. Stridences renouvelées, rapprochées. Extinction de mes veines. La fin. Mes yeux, indifféremment posé sur les éléments qui s'offraient à moi. Pierres pavés, déchets. Fenêtre scellée. Juste au-dessus du sol. Étrange. La plaque de métal. Elle me semblait désaxée. Effort désespéré, je m'y portais, y appliquais ma main. Branlante. Elle était branlante, bougeait sous mes doigts. Les gonds, les supports internes. Ils avaient dû sauter lorsque le chien nous y avait propulsé. Mes clavicules, des béliers. Aboiements tapissant mes sens, je regardais la plaque. Pouvoir me cacher, me glisser. Dernière fureur, dernière infusion, dernière rupture. Je ne sacrifierais ma vie à cause d'elle. J'essayais de faire sauter l'entrée d'acier en y donnant des coups d'épaule usée, relançant l'actualité de mes plaies, relançant les consciences qui se répandaient sur le sol. Refusait de céder, de s'ouvrir. De me laisser une chance de poursuive. Dans ma main crispée, la barre de fer que je n'étais parvenu à lâcher. Oui, oui. Je luttais, parvenais à la glisser dans le feint espace démis. Un levier. D'autres sifflets, d'autres courses. Aller, aller. Tout mon poids éreinté, pesé sur le levier improvisé qui rentrait dans mes côtes pour réussir à l'utiliser. Encore. La moitié de l'embrasure de la fenêtre. J'entrais à moitié, bloquais la plaque de mon épaule. La douleur obscurcissant ma vue. Dernier mouvement pour me jeter à l'intérieur, écorchant mes os. Brutalement écroulé avec la barre en métal, qui retentissait, comme extrêmement loin. Le scellé, retombé en un glissement lourd comme s'il n'avait jamais bougé. Hors de danger. Hors de danger. C'est tout ce qui m'importait. Les sifflets, les aboiements, les pas. Qui se précipitaient, s'amoncelaient. De l'autre côté des murs. Perdu dans la distance. Sourd, sourd. Étouffés par l'épuisement et la douleur assourdissante qui engourdissaient mon corps. Je ne voyais plus rien. Je voulais juste me reposer. Ne plus courir. Ne plus écouter.
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